27 Novembre 2016
Résumé : C'est ainsi qu'au bout de dix ans de réclusion Kate Fitzgerald est devenue une spécialiste de Freud. Aussi accepte-t-elle le marché que lui propose son psychiatre : enquêter sur des révélations susceptibles de remettre en cause les fondements de la psychanalyse en échange de sa mise en liberté conditionnelle. Elle sera aidée dans sa mission par un coéquipier : Jackie Lawton, un ancien cambrioleur reconverti en détective privé.
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Auteur : Catherine Gildiner
Nombre de pages : 496
Edition : 10/18
Collection : Grands détectives
Date de parution : 1 octobre 2008
Prix : 3.74 € (poche)
Avis / Critique :
Amusant le parti pris engagé par Catherine Gildiner, psychologue, dans ce roman qui a pour fond la psychanalyse et ses détracteurs. Qui est vraiment cet homme, président de la société psychanalytique américaine qui défie subitement la pensée freudienne en osant remettre en cause la justesse des théories de Sigmund Freud et notamment la théorie de la séduction. Cataclysme dans le milieu. Pour cela, il n'y a qu'une chose à faire : enquêter sur le-dit pourfendeur, mais aussi remonter aux origines des écrits et du mouvement Freudien. Tout se tient-il ou alors, y-a-t-il maldone ?
Le psychiatre Gandalton propose à Kate, condamnée pour le meurtre de son mari et qui, durant ses longues années en prison eut le temps de lire les ouvrages de Sigmund Freud, d'enquêter, en échange d'une possible remise de peine, aux côtés d'un ancien membre de la CIA, devenu détective privé.
De Vienne à Londres en passant par le Canada ; de Anna Freud, à qui ils rendent visite à une bande de joyeux drilles piqués de fumettes, spécialistes de Darwin et du père de la psychanalyse, Kate et son acolyte ne vont pas chômer pour tenter de trouver ce qui se trame là-dessous. D'autant qu'après leur passage, la liste des cadavres s'allonge...
Mais alors,
qui est derrière tout cela ?
Anna O est-elle vraiment celle que tout le monde pense ?
et que vient faire là-dedans Darwin ?
Parfois un peu long, on s'amuse néanmoins à suivre le cheminement de pensée de l'auteur et de ses personnages qui naviguent entre théories, espionnage et enquête. La fin est aux petits oignons et Catherine Gildiner s'est vraisemblablement beaucoup amusée à secouer le cocotier, et à mettre sur papier sa théorie (qui ne peut tenir pour cause de dates) pour les besoins de son histoire policière.
Intéressant et impertinent.
Extrait :
Assise à ma place près du hublot, la ceinture attachée, je faisais semblant de m’intéresser au magazine En route, tout en regardant les autres passagers entrer dans la cabine de la classe affaires. Le culturiste déclassé transformé en bonhomme Pillsbury, arborant une fine moustache à la Dashiell Hammett – sans les pointes –, qui m’avait offert le Coca, embarqua, le regard rivé sur un point. Il s’immobilisa devant ma rangée, balança son sac dans le casier au-dessus des sièges et s’affala dans celui voisin du mien. Il déplia la photocopie d’une photo de couverture de magazine, qu’il se mit à examiner. Puis il alluma une cigarette.
Dès que je pus m’y risquer sans être repérée, je jetai un coup d’œil au cliché en noir et blanc du visage effronté d’une fille de vingt-six ans. Comme j’avais vieilli en dix ans ! Je ne m’en étais pas rendu compte jusque-là. Jadis, j’étais blonde et svelte. À présent, j’avais les traits durcis, les joues creuses d’un travesti albinos. Seigneur, ai-je appris quoi que ce soit depuis cette photo prise au procès ? me demandai-je. Suis-je assagie ou simplement brisée ? Peut-être que c’est ça la sagesse, qui sait ?
Tout à coup, je compris pourquoi M. le Balèze fuyait mon regard : il suivait le même règlement que le mien.
« Merci pour le Coca, Jackie », hasardai-je.
Si Gardonne m’avait prévenue que nous serions sur le même vol, cela aurait facilité les choses. Jackie se tourna et me regarda pour la première fois : « C’est sur note de frais, Kate, ne vous faites pas de souci », précisa-t-il.
J’ouvris mon livre, Ontogenèse et Phylogenèse, au moment où il prenait le sien, Développement de l’âme. Au bout d’environ une demi-heure, je compris qu’il appréhendait de m’adresser la parole, soit par nervosité, soit parce qu’il était claustrophobe. Bordel, pourquoi Gardonne avait-il sorti sa camisole de force en me collant aux basques un type aux petites dents jaunies et gâtées ? Vraiment, il avait l’air dangereux. Il faudrait m’en accommoder ; peut-être que quelqu’un de pire m’attendait à Vienne. Il semblait passionné par ce qu’il lisait sur le ménage de son âme. Songeait-il à se purifier de tous ses hold-up ? Je fis une tentative d’approche sur le mode familier : « Alors, comme ça, nous sommes des fouille-merde freudiens.
— Je n’ai jamais rencontré un freudien qui ne le soit pas », répondit-il sans lever les yeux.
Il n’était pas question d’abonder dans son sens. Encore un crétin frustré en plein déni qui n’avait pas lu Freud ou s’était contenté de le parcourir et, effrayé par son inconscient, avait décidé de le tuer. Me voilà forcée de négocier non seulement avec Konzak mais avec Jackie à la mâchoire pendante, pensai-je. Un Narcisse adapté et un inadapté.
En fin de compte, il décida de rompre la glace : « Vous avez déjà rencontré Konzak, le ponte freudien ?
— Une fois, il y a cinq ans, lors d’un de mes exposés sur Freud. C’était une réunion informelle après un colloque. Une semaine après, j’ai reçu une lettre où il me félicitait de mon travail sur la théorie freudienne des mécanismes de défense. À mon avis, il ne s’en souviendra pas.
— La plupart des hommes n’oublieraient pas une blonde d’un mètre quatre-vingts inculpée de meurtre qui fait, sous bonne garde, un exposé sur Freud à un colloque, dit Jackie en écrivant dans un calepin relié en cuir.
— Un mètre soixante-quinze, rectifiai-je.
— Quel était le contenu de la lettre de Konzak ?
— Il prétendait me connaître, ce qui était bizarre car je ne le connaissais pas plus que les autres participants du colloque. Il qualifiait notre discordance de “courageuse vu la réaction prévisible des conservateurs”, une outrance ridicule : il ne s’agissait que d’un exposé où je soulignais les erreurs d’un autre article dont l’auteur m’a écrit pour me remercier de la nouvelle perspective que j’ouvrais.
— Dix jours qui ébranlèrent le monde…
— Exactement.
— Flirtait-il avec vous dans l’espoir d’établir une correspondance
susceptible de donner lieu à un droit de visite ? » demanda Jackie qui dévorait un Nuts.
Cette idée ne m’avait jamais effleurée. Je n’étais pas le genre de femme avec qui les hommes flirtaient.
« Je n’en sais rien. D’abord je n’ai pas répondu à son petit mot, ensuite je ne l’ai plus revu ni n’ai entendu parler de lui.
— Comment a-t-il réussi à décrocher un tel poste ?
— Il est charmant avec les gens, ce qui flatte bon nombre d’entre eux.
— D’après mes recherches, reprit Jackie en feuilletant ses notes, c’est l’enfant chéri d’un immigrant polonais de la deuxième génération ; il a grandi à Rhode Island. Son grand-père a créé avec des Russes une société d’import-export que son père a développée : la vente de trésors prérévolutionnaires sortis en contrebande de Russie lui a fait gagner des millions ; il a aussi vendu des dollars en Russie, avant que tout le monde s’y mette. Pour couronner le tout, grâce à un réseau, il a décroché de gros contrats dans le domaine de la défense.
— Vous voulez dire qu’à l’époque de la guerre froide les États-Unis vendaient des équipements pour la fabrication de missiles à la Russie ?
— Plus précisément, les fournisseurs du gouvernement, que ce soient les métallurgistes ou les constructeurs d’avions, par l’intermédiaire de la société d’import-export du vieux Konzak. Dans les années 1970, la Russie lui devait trop d’argent, alors il a repris ses billes avant que tout ne merde là-bas. Il a pris sa retraite avec des millions. Sa femme venait d’une vieille famille WASP, le genre à se targuer d’avoir eu des ancêtres sur leMayflower.