17 Février 2020
Résumé : Paul Duméry, ancien assureur frisant la quarantaine, vivote au jour le jour, tant bien que mal, dans une situation financière désespérée. En dernière extrémité, il accepte de rencontrer Sarrebry, un prêteur-usurier que lui a présenté son copain Daubelle. Par défi, sûr d'être incapable de tuer, il va au rendez-vous un marteau dans la poche...Et il tue l' usurier, lui dérobant une grosse somme d' argent. Le voilà en cavale...
Par le biais de son journal, un homme complètement amoral raconte comment il a tué par nécessité et décrit ses états d'âmes de tueur petit-bourgeois.
Auteur : Tristan Bernard
Nombre de pages : 192
Édition : Le Livre de poche (ed :2013)
Date de parution : 1933 (1ère ed.)
Prix : 1.66€ (poche)
ISBN : 978-2253166894
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Tristan Bernard brosse ici le portrait d’un homme quelconque, un français moyen, qui va commettre un crime par jeu ou par défi, sans vraiment y réfléchir. Cet homme, durant toute sa cavale, ne va jamais faire preuve de remord ... il va même trouver sa nouvelle vie de criminel en fuite plus intéressante que son ancienne vie de petit bourgeois, toujours en train de tirer le diable par la queue pour payer la pension de son ex-femme.
On le suit donc aux quatre coins de la France, en train de gérer en bon père de famille la petite fortune qu’il a dérobé tout en essayant de ne pas laisser trop de traces pour ne pas se faire attraper par la police.
Qu’on ne s’y trompe pas : ce n’est pas un roman policier, même si l’intrigue le laisse à penser. Il n’y a ni suspense, ni action. Le récit froid d’un homme qui a tué, c’est tout.
Un des mérites de ce roman est que l’auteur a réussi à donner une réelle épaisseur à ce personnage complexe : intelligent, sobre en émotion mais vaguement capable d’aimer son prochain. A un seul moment du livre, vers la fin, il a une sorte d’exaltation. Même si il n’est pas possible ici de dire à quelle occasion cela arrive pour ne pas déflorer l’histoire, on peut dire que c’est assez inattendu.
Ce livre est par ailleurs écrit dans un style qui colle bien au personnage… Ça tombe bien puisqu’il est écrit à la première personne. Un style simple, direct, sans longueur, crédible.
Si l’auteur est connu pour son humour subtil, son esprit et ses bons mots, qu’on ne s’attende pas à en trouver ici, sauf peut-être dans la dernière phrase du roman. On est plus dans le subversif, car enfin, ce tueur, Paul Duméry, il s’en faudrait de peu que ce ne fut n’importe lequel d’entre nous.
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Je lui donnai quelques renseignements sur la créance que je voulais lui céder et j’allai jusqu’à lui raconter que j’attendais une précision intéressante, relative à ce créancier dont on allait m’indiquer la nouvelle adresse. Tout cela était mensonger. Je tenais avant tout à garder une nouvelle occasion de le revoir.
Il me dit qu’il ne sortait jamais le soir et qu’on pouvait venir jusqu’à dix heures.
À dix heures, le soir, dans ce petit appartement…
Entendons-nous. Je me sentais incapable d’un meurtre ou d’un vol. Toute ma vie, il m’avait semblé que c’était un pas impossible à franchir. Je n’avais jamais commis le moindre acte délictueux.
… J’allai dîner ce soir-là chez un marchand de vins du faubourg Saint-Martin.
Tout en mangeant, je me répétai dix fois que j’étais tout à fait incapable de tuer ou de voler. Il n’y avait point à tabler là-dessus. C’était une impossibilité absolue.
Cette conscience de mon impuissance à devenir un malfaiteur me laissait tout le calme d’esprit pour imaginer un assassinat, qui se présentait vraiment dans des conditions favorables.
D’abord, je n’avais pas de casier judiciaire. Personne dans ma maison, dans mon quartier, ne fournirait sur moi de renseignements fâcheux. Enfin, pas de complice, pas de bavardage à craindre.
La chose une fois exécutée, je n’irais pas bêtement voir des filles qui me donneraient à la police. Je n’agirais pas comme ces criminels imbéciles, ces ingénus qui ne connaissent rien du monde. On les prend pour des malins tant qu’ils sont invisibles. Dès qu’ils ont quelques sous sur eux, ils ne savent plus ce qu’ils font. Ils vont s’amuser, comme des enfants.
Passons aux moyens d’action.
Les armes à feu font trop de bruit. L’idée de me servir d’un couteau me faisait mal au cœur. Je n’arriverais jamais à percer la peau d’un être vivant.
Et puis il faudrait acheter un couteau ou un browning. Et c’est là le bon moyen de se faire repérer.
Les marchands d’armes, aussitôt qu’ils lisent le récit d’un crime, sont si contents de jouer un rôle en apportant un renseignement à l’instruction !
… À la rigueur, je serais capable de frapper avec un casse-tête… Tiens ! un marteau… J’ai un marteau assez gros dans un tiroir. Il y a très longtemps que je l’ai acheté pour clouer des caisses, la dernière fois que j’ai déménagé.
Je vais rentrer chez moi. Et puis je reviendrai ce soir rue Meslay, avec mon marteau dans ma poche. Je ferai cela simplement pour continuer l’histoire que j’ai imaginée dans ma tête.
Serais-je capable, si j’avais vraiment l’idée de tuer quelqu’un, de prendre seulement le marteau et de l’emporter avec moi ?
Pourrais-je seulement franchir le seuil d’une maison où il y aurait quelqu’un à tuer ?
– Garçon, l’addition ! Vous ferez ajouter un petit verre d’eau-de-vie.
Je me sens un peu mou. Je ne veux pas être mou.
Et, du restaurant à ma maison, je marche très vite… Mais c’est trop loin… Je prends un taxi. Ça n’a aucune importance pour me faire conduire chez moi. Quand j’irai rue Meslay, c’est une autre affaire. Pas de taxi, pas de chauffeur bavard. Je sais bien que ces précautions ne signifient rien, puisque je n’ai aucune intention. Mais le jeu, c’est d’agir comme si j’avais positivement une intention…
Je me souviens que, dans le taxi, je me sentais très animé. Et j’ai monté impatiemment mes quatre étages.
Je n’ai pas trouvé tout de suite le marteau. J’ai cru qu’il était dans ce tiroir de commode… Ah ! que je me suis senti dépité !
Et puis voilà que, dans ce petit cabinet où sont mes vêtements, en passant la main sur un rayon assez élevé où je pose mes chaussures, j’ai mis tout à coup la main sur ce marteau, sur ce bon marteau. Il n’est pas grand. Il est bien équilibré, solide. On a le manche bien en main, et le bois de ce manche est fortement assujetti. Il ne joue pas dans la tête de fonte d’acier. Oh ! cette fonte, qu’elle est dure !
La concierge est en train de bavarder sur la porte. Elle m’a vu rentrer. L’embêtant, c’est qu’elle va me voir sortir. J’attends un instant. Peut-être va-t-elle faire quelques pas dehors pour accompagner quelqu’un ?
Après tout, à quoi bon feindre de ne pas sortir de chez moi, puisqu’il faudra rentrer tout à l’heure et donner mon nom en rentrant ?
Je ne sais plus à quoi j’ai pensé pendant la route, en gagnant la rue Meslay. C’est parti de ma tête. Je crois m’être dit un instant que je n’avais pas l’air d’un criminel, mais d’un homme comme les autres. Au fait, pourquoi aurais-je l’air d’un assassin, puisque tout cela c’est du chiqué ? Je sais bien que je ne tuerai pas.
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