Au détour d'un livre

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Au bonheur des ogres, de Daniel Pennac

 

Résumé :

Côté famille, maman s'est tirée une fois de plus en m'abandonnant les mômes, et le Petit s'est mis à rêver d'ogres Noël.
Côté cœur, tante Julia a été séduite par ma nature de bouc (de bouc émissaire).
Côté boulot, la première bombe a explosé au rayon des jouets, cinq minutes après mon passage. La deuxième, quinze jours plus tard, au rayon des pulls, sous mes yeux. Comme j'étais là aussi pour l'explosion de la troisième, ils m'ont tous soupçonné.
Pourquoi moi ?
Je dois avoir un don...

Auteur : Daniel Pennac
Nombre de pages : 286
Edition : Gallimard
Collection : Folio
Date de parution : 3 octobre 1997
Prix : 19.30€ (Broché) - 8€ (poche) - 7.99€ (epub, mobi)
ISBN : 978-2070403691

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Avis/Critique :

 

 

Il s’agit du premier roman de Daniel Pennac. C’est aussi le premier dans lequel apparaît le personnage de Benjamin Malaussène, sorte de gentil grand frère un peu fantaisiste – il s’occupe seul de ses 5 frères et sœurs, tous nés d’un père différent et d’une mère indifférente – qui exerce ici la profession peu banale de bouc émissaire dans un grand magasin.

 

Dans ce livre, Malaussène est confronté à une série d’explosions dans le magasin où il travaille, qui semblent ne se produire qu’en sa présence. Tandis que le héros essaye de comprendre ce qui se passe, la police enquête.

A partir de cette trame, l’auteur ajoute une série de personnages tous un peu marginaux : la tribu des Malaussène : une sœur obnubilée par l’astrologie, l’autre photographe de génie, les autres à l’avenant… Une petite amie journaliste à Actuel (qui se souvient encore du journal Actuel ?) … Un commissaire de police qui se prend pour Napoléon … Un collègue gay qui héberge une bande de petit vieux, ami des brésiliennes du bois de Boulogne… Tout ça est très – trop – politiquement correct. Le livre a été écrit au cœur des années 80, tendance « touche pas à mon pote », et ça se voit : il collectionne les clichés de l’époque.

 

En ce qui concerne l’intrigue, elle avance paresseusement. L’auteur s’attarde surtout sur son personnage. Ça fait partie du charme de ce livre.
Cette intrique, elle n’est pas vraiment crédible, un peu tirée par les cheveux, mais ce n’est pas le plus important. Elle est plutôt bien servie par un style qui se cherche, qui essaye de faire un peu d’esprit, ça marche quelque fois, et ça incite à l’indulgence.

 

Au final, on s’attache au personnage et à son univers un peu « Bisounours ».

 


Pour un premier livre, ce n’est donc pas parfait, mais c’est plutôt prometteur. N’ayant pas lu d’autres œuvres de cet auteur, votre serviteur ne peut pas dire si la suite a confirmé ou pas cette impression, mais on passe un moment plutôt agréable à la lecture de ce roman.

 

Signalons enfin pour information que ce "Au bonheur des ogres" a été adapté au cinéma en 2013.

 

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Extrait :

Ce qui suit s'annonce par un coup de sonnette, le lendemain vingt-cinq décembre à huit heures du mat. Je m'apprête à gueuler : « Entrez, c'est ouvert », mais un mauvais souvenir me retient. C'est comme ça que Julius et moi, la semaine dernière, on s'est retrouvés avec un cercueil de bois blanc au milieu du couloir, flanqué de trois déménageurs à la mine constipée. Le plus pâlichon des trois a simplement dit :
– C'est pour le cadavre.
Julius a foncé se réfugier sous le plumard, et moi, les tifs en bataille, les carreaux ternes, j'ai montré mon pyjama avec un air désolé :
– Repassez dans cinquante ans, je suis pas tout à fait prêt.
Donc, on sonne. Je traîne les pieds jusqu'à la porte, suivi de Julius qui a toujours aimé faire connaissance. Une espèce de mastard tout en nuque, vêtu d'un blouson d'aviateur à col fourré, se tient devant moi comme un parachutiste irlandais largué sur la France allemande.
– Inspecteur stagiaire Caregga.
Un bâton blanc promu stylo bille. A peine a-t-il introduit sa masse dans l'apparte que Julius lui visse son museau entre les fesses. Le flic s'assied précipitamment sans foutre de beigne à mon chien. C'est peut-être ce détail qui me fait proposer :
– Café ?
– Si vous en faites pour vous...
Je file à la cuisine. Il demande :
– Vous ne verrouillez jamais la porte ?
– Jamais.
Je pense : « la liberté sexuelle de mon chien me l'interdit », mais je ne le dis pas.
– Je n'ai que quelques questions à vous poser. La routine.
Exactement ce à quoi je m'attendais. C'est le petit réveil des employés modèles du Magasin. Une dizaine de responsables syndicaux, une douzaine de rigolos indépendants, visités prioritairement par les flics. Le cadeau de Noël de la Direction à ses petits chéris.
– Vous êtes marié ?
L'eau sucrée chante dans la cafetière de cuivre.
– Non.
J'y verse trois cuillerées de café moulu turc, et je tourne lentement jusqu'à ce que ça prenne le velouté de la voix de Clara.
– Les enfants, en bas ?
Puis je repose le tout sur le feu et fais monter, en prenant soin de ne pas laisser bouillir le café.
– Demi-frères et demi-sœurs, ce sont les enfants de ma mère.
Le temps de laisser son petit crayon noircir son petit carnet, l'inspecteur Caregga lâche la question suivante :
– Et les pères ?
– Eparpillés.
Je jette un coup d'œil par la porte de la cuisine, Caregga écrit avec application que ma pauvre mère éparpille les hommes. Puis je fais mon apparition, cafetière et tasses à la main. Je verse le jus épais. J'arrête la main de l'inspecteur qui se tend.
– Attendez, il faut laisser reposer le marc avant de boire.
Il laisse reposer.
Julius, assis à ses pieds, le regarde avec passion.
– Quelle est votre fonction, au Magasin ?
– Me faire engueuler.

Il ne moufte pas. Il inscrit.
– Métiers antérieurs ?
Bigre, l'énumération risque d'être longue : manutentionnaire, barman, taxi, prof de dessin dans une institution pieuse, enquêteur-savonnettes, j'en oublie probablement, et Contrôle Technique au Magasin, mon dernier boulot.
– Depuis ?
– Quatre mois.
– Ça vous plaît ?
– C'est comme tout. Beaucoup trop payé pour ce que je fais, mais pas assez pour ce que je m'emmerde.

(Elevons le débat, que diable !)

Il note.
– Vous n'avez rien remarqué d'anormal, hier ?
– Si, une bombe a explosé.
Là, tout de même, il lève la tête. Mais c'est exactement sur le même ton impassible qu'il précise :
– Je veux dire avant l'explosion.
– Rien.
– Il paraît que vous avez été appelé trois fois au bureau des Réclamations.
Nous y voilà. Je lui raconte la cuisinière, l'aspirateur et le frigo pyromane.

Il fouille dans sa poche intérieure, puis étale devant moi le plan du Magasin.
– Où se trouve le bureau des Réclamations ?
Je le lui désigne.
– Vous êtes donc passé au moins trois fois devant le rayon des jouets ?

C'est qu'il déduit, le bougre !
– En effet.
– Vous y êtes-vous arrêté ?
– Dix secondes au troisième voyage, oui.
– Rien remarqué d'anormal ?
– A part le fait que j'ai été braqué par un AMX 30, rien.

Il note en silence, recapuchonne son stylo, boit son café d'un trait, marc compris, se lève, et dit :
– Ce sera tout, ne quittez pas Paris, on pourrait avoir d'autres questions à vous poser, au revoir, merci pour le café.

Voilà. Il n'y a pas que dans les films qu'on reste longtemps à regarder une porte refermée. Julius et moi sommes séduits par la franche nature de l'inspecteur Caregga. Grand avenir dans la brigade du rire, ce garçon. Mais je tiens déjà le récit que je servirai ce soir aux enfants. Ce sera le même, à ceci près que les répliques fuseront, marquées au sceau d'un humour définitif, qu'on se séparera dans un mélange explosif de haine, de méfiance et d'admiration, et que les flics seront deux, deux affreux de mon invention que les enfants connaissent bien : un petit, hirsute, avec une laideur tourmentée de hyène, et un énorme chauve – à l'exception des deux pattes « qui abattent leurs points d'exclamation sur ses maxillaires puissants ».

– Jib la Hyène et Pat les Pattes ! hurlera le Petit.
– Jib la Hyène, pour son nom et sa gueule, précisera Jérémy.
– Pat les Pattes, pour son nom et ses tifs, précisera le Petit.
– Plus méchant qu'Ed Cercueil et plus fou que le Tchèque en Bois.
– Ils sont amis ? demandera Clara.
– Quinze ans qu'ils ne se quittent pas, répondrai-je. On ne compte plus les fois où ils se sont sauvé la vie.
– Qu'est-ce qu'ils ont comme bagnole ? demandera Jérémy qui adore la réponse.
– Une Peugeot 504 décapotable rose, 6 cylindres en V, dangereuse comme un brochet.
– Leur signe astral ? demandera Thérèse.
– Taureau tous les deux.

 

 

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