Au détour d'un livre

Critiques littéraires, avis, livres gratuits, news. “Quand je pense à tous les livres qu'il me reste à lire, j'ai la certitude d'être encore heureux.” (Jules Renard) -

Vol des 704 os pour six nez, de Gordon Zola

 

Résumé : Un symposium sur le réchauffement climatique doit avoir lieu à Sidney sous la houlette de la nouvelle icône, Frida Cretinberg. Hélas, le bateau est arraisonné par une bande de pirates à la tête de laquelle se trouve le Rasta populiste. Nos héros se retrouvent bientôt coincés sur la curieuse île de Paulo Pau où gronde le Kho-Khot Minh Hut, un volcan de très méchante humeur.

Auteur : Gordon Zola
Nombre de pages : 160
Edition : Le léopard démasqué
Parution : 8 juillet 2020
Prix : 11€ (Broché)
ISBN : 978-2350491066

___________

Avis / Critique :

 

Les aventures de Saint-Tin et de son ami Lou, dont certaines ont déjà été chroniquées ici, sont une  parodie sous forme de roman des aventures dessinées d’un célèbre reporter et de son fidèle fox-terrier. Saint-Tin en serait d’ailleurs le fils caché (du reporter, pas du fox-terrier). Il est accompagné dans ses aventures par Lou, son ami le perroquet poète et séducteur, et par le capitaine Aiglefin, éclusier à la retraite habitant au Moulin Tsar, héritage des ses aïeux russes de la famille Hadockoff, où il héberge le professeur Margarine, cryptozoologue de renom.

L’un des charmes de cette collection, c’est que chacun des romans s’inspire de la trame du livre qu’il parodie. Dans celui-ci, Saint-Tin, le capitaine Aiglefin et le professeur Margarine se retrouvent invités sur le bateau du milliardaire Marceau Dassel, bateau dont les passagers vont être kidnappés par des bandits et emmenés sur la mystérieuse île de Paulau Pau.
Mais ici, le méchant de service – le Rasta Populiste – n’en veut pas à la fortune du milliardaire : il s’attaque à une passagère du bateau qui n’est autre que la jeune et véhémente Frida Cretinberg, l’égérie de la lutte contre le réchauffement climatique, et dont la ressemblance avec une personne existante n’est pas vraiment fortuite.

On retrouve ici tout l’humour de Gordon Zola, le fils caché de Flash et d’Émile ; un humour à base de calembours plus ou moins hasardeux et de situations abracadabrantes. C’est farfelu, ça se lit comme une BD (bande dessinée, et non pas bande des six nez) . Le style est vif, sans fioritures sauf si c’est justifié par un jeu de mot. La petite touche supplémentaire c’est la critique d’une certaine naïveté qu’a l’opinion publique à suivre aveuglément les icônes médiatique.
Ce livre est le dernier volet de la série… Dernier dans la date de parution, mais pas forcément le dernier de la collection. Il traite d’ailleurs à sa façon, sur la fin, l’actualité brûlante du corona virus, dans une note mystérieuse. À noter que la collection comporte une autre parodie du même album intitulé « Le Vol des 714 porcineys », qui n’est pas de la plume de Gordon Zola, mais de Bob Garcia.
En tout cas, c’est un livre que l’on peut lire de 7 à 714 ans.

 

 

Livres à lire du même auteur :
- J'écluse
- Le crado pince fort
- Train-Train au Congo

Lire l'interview de Gordon Zola
- Interview

____________________

Extrait :

Bukit ! Bukit !

Sourire vainqueur de Margarine.

– Il nous invite à monter… Voyez que mon accent n’est pas si mauvais.

– Il nous invite ?

Les deux voyageurs tentèrent de grimper tour à tour dans l’habitacle dont la capote en caoutchouc sale ressemblait à un gruyère.

– Tassez-vous, capitaine, la place est réduite.

– Je vois bien... Mais c'est une étuve là-dedans ! On va cuire comme deux poulets à l’étouffée !

Le chauffeur faisait déjà des exercices de poignet pour faire rugir quatre à quatre son trois-roues à deux temps, puis il poussa un cri de guerre en mettant les gaz à fond...

« Majuuuu ! »

Le bolide bondit en avant, le guidon en l'air et l’arrière écrasé au sol. Les deux passagers s’accrochèrent comme ils purent. Dans la sauvagerie du départ, la tête du capitaine transperça la capote, ce qui lui mit la chevelure en plein air... Mise en plis gratis.

– Capitaine, vous n’êtes pas soigneux, hurla le professeur Margarine, essayant de couvrir le bruit de la pétrolette totalement emballée, si vous croyez que ces gens ont les moyens !

L’ex-éclusier n’entendait rien, absorbé par l'agitation ambiante. Autour, c‘était une jungle en folie où seuls les plus forts pouvaient survivre. Les voitures en charpie, les camions en surpoids, les scooters en sursis, les piétons en soucis… Juntox fonçait entre les voitures, en criant et en faisant de grands gestes précurseurs de son itinéraire... Ici, point de clignotant, mais de l’avertisseur solide et tonitruant, dont le taximotard usait à faire éclater tous les tympans qui passaient ; ici, point d’atermoiement, point d’hésitation, point de civilité, d‘empathie ; ici, aucune pitié pour les peu pieux pieds des piétons pressés et dépités ; ici, pas de respect pour les feux tricolores ; ici, seul comptait le but., la destination, la course ! Le client n’était même pas roi, non – ce n'était pas une notion indonésienne –, le client était un produit qu’il fallait déposer le plus vite possible à son point de chute pour en charger un nouveau. Point de chute qui risquer d’arriver plus rapidement que prévu.

– C’est très exotique, vous ne trouvez pas, capitaine ?

Centrifugé comme un astronaute en exercice, l’homme du Moulin Tsar n’était plus en état d’apprécier les valeurs touristiques de l’endroit.

– Ce pétaradeur à molette va nous tuer !

– Relaxez-vous, sachez apprécier la beauté des choses qui nous entourent.

Le plaisir proposé fut atténué par l’arrivée inopinée d'un camion-citerne à fort tonnage qui déboula d’une grosse artère. .. Pas de veine ! Juntox pila, envoyant le professeur s‘encastrer dans le plexiglas qui séparait les passagers du conducteur. Il en rit, le bougre. . . Plaisirs d’enfant retrouvés. Quant au capitaine, il compléta sa destruction de la capote en manquant de s’étrangler. . . Mort aux bâches ! Il se releva, le poitrail en avant, ressemblant à un chevalier sur un destrier devenu fou.

– Orphéon, vous avez vu ce jocrisse de carnaval hippy ?! Il fait n’importe quoi ! Espèce de poids sans coiffe ! Gâchis de bout d’souk ! Psychopompe sans foi ! Conducteur de péniche en eaux troubles ! Sac à hydrocarbure ! Polichinelle sans droit ! Arrêtez ce tombeau ouvert tout de suite !

Le pilote, protégé dans son propre habitacle de verre, de fer et de caoutchouc, n’entendait rien, sourd aux injures, aux camions-citernes, aux klaxons et aux colères d’autrui. Il continuait coûte que coûte. Nouveau coup de poignet… Gaz au maxi… ce qui renvoya le capitaine sur son siège, impuissant.

– Le malotru des îles ! Si nous arrivons d’un seul tenant, Orphéon, je dénonce ce paltoquet de gare désaffectée ! On ne peut pas laisser ce fou du guidon en liberté.

– Enfin, capitaine, soyez raisonnable, ce pauvre chauffeur en veut pour son argent, voilà tout.

– Vous voulez dire qu'il en veut pour mon argent !

– Ce ne sont pas des gens fortunés, il faut les comprendre.

Regard en biais.

– Vous les comprenez d’autant mieux que vous n’êtes pas fortuné non plus, que vous vivez sous mon toit et profitez des largesses que, pour une raison qui m’échappe, je continue de vous octroyer.

– Si ma présence vous chagrine, je peux très bien descendre.

– Chiche.

Le professeur Margarine posa une main affectueuse sur le genou du capitaine.

– Allons, mon ami, vous savez bien que je veille sur vous.

Œil en chou-fleur.

–Vous veillez sur moi ? Mais de quelle manière, animal ? Vous seriez capable de vous perdre dans votre chambre ! LÀ !

Le capitaine s’était mis debout, le doigt pointé. Le taxi venait de passer devant un immense bâtiment sombre et élégant, composé de vitres teintées sur poutrelles métalliques, plein d’une rigueur architecturale moderne et épurée. Malgré une contre-allée grassement arborée, on apercevait très nettement une collection de drapeaux qui voletaient au vent léger de la canicule ainsi que des haies sévèrement entretenues sur lesquelles étaient tendues des bâches bleues affichant fièrement « LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ ».

– Là, le drapeau français, c’est l’ambassade ! Arrêtez-vous !

Le chauffeur était toujours sourd aux revendications de sa clientèle. Il devait connaître par cœur les touristes « touristants » qui voulaient s’arrêter à la moindre beauté exotique aperçue.

– Stop !

Gaz maintenu, slalom en cours.

L’avenue Thamrin, droite et imposante, était une piste de jeux géante, bowling grandeur nature... Juntox comptait-il faire un strike ?

– Orphéon, ordonnez à cet énerve-gumène d’arrêter son engin ! Il ne voit donc pas qu’il a dépassé l’ambassade ? Et également les limites ? C’est fou ! Il ne connaît même pas sa propre ville !

– Vous êtes sûr que c’était l’ambassade ?

– Sûr ? Vous croyez qu’avec LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ, badigeonné en énorme, nous venons de passer devant l’ambassade de Chine ?

Le professeur se racla la gorge et tenta de mettre un peu de puissance dans sa voix d’aigrelette sans vibrato.

Juntox, berbendi… Tapa dangin kamuflage basoukah kamu barbak hati menghentikan kendaraammu ?

Pas de réponse à l’exception d’un coup de klaxon à poire pour signifier l’inconvenance d’un vélo incongru.

– Que lui avez-vous dit ?

– « Pourriez-vous avoir l’amabilité d’arrêter votre véhicule, sans vous commander ? »

– Tout ça ? Vous ne voulez pas qu’on lui offre des fleurs aussi ?

Le capitaine s’apprêtait à déverser un tombereau de jurons, destiné à impressionner un garçon que visiblement rien n’arrêtait et surtout pas la circulation, quand le bajaj pénétra sur un rond-point géant, en toute insécurité, à près de 80 km/heure. Le moment n’était plus à la discussion, mais au serrage de dents, de poings et de fesses. Les engins, quels qu’ils soient, déboulaient de partout sans aucune logique. Les klaxons fusaient de toutes parts ; quelques accrochages se réglèrent de loin à coups de poings tendus et de langues bien fourchues. À Jakarta, la carrosserie n’était pas un point d’orgueil.

Conte toute attente. le professeur Margarine, tout sourire dehors, était serein, concentré sur ce voyage chaotique et follement excitant.

– Ah, capitaine, regardez sur notre droite, le Monas, monument national, c’est une des plus grandes places du monde, la deuxième, je crois. N'est-ce pas splendide ? C'est le symbole de l'indépendance indonésienne. Savez-vous qu'en son sommet domine une flamme recouverte de plus de trente kilos d'or ? C'est incroyable, non ?

– Mais ce type ne s’arrêtera-t-il jamais ?! Il est devenu fou ! Déjà qu’il l‘était ! Mais c'est quoi ?

– L’avenue Merdeka Barat.

La bonne nouvelle !

L’équipée sauvage dura encore quelques minutes, où tout faillit arriver, surtout le pire, avant que n’apparaisse un bout de mer... villégiature bleutée, la mer de Java. Puis, une intrépide déambulation au cœur des docks affairés, fourmilière laborieuse où couraient des centaines d'ouvriers chargeant et déchargeant des bateaux de tous tonnages, battant pavillons de tous horizons.

– Orphéon, avec vos belles connaissances, nous sommes tombés dans un piège ! Nous allons finir dans l’humidité d’une cale sèche après que j’aurai été épongé de tout mon liquide ! Pas à dire, vous êtes le compagnon de voyage idéal ! L’homme qui évite les billets de retour... la belle économie !

– Ne dites pas de sottises, capitaine, ce pauvre garçon est peut-être tout simplement perdu.

– C’est nous qui sommes perdus !

Après avoir retrouvé un peu de verdure, quelques bordées de palmiers touffus et trois ou quatre bougainvilliers maigrichonnes, une marina plus cossue apparut… Quelques bateaux de plaisance y flottaient mollement devant ou sur lesquels des grappes de bourgeois internationaux faisaient trinquer leur flûte à champagne.

Juntox pila, achevant l’épopée. Il bondit de son siège et vint ouvrir la petite porte arrière à ses passagers, le buste courbé en une sorte d’allégeance commerciale. Les deux survivants sortirent, l'un satisfait d'une balade aussi enrichissante, l’autre désireux de faire rendre gorge à l'impudent. Prudence. Un regard panoramique permit au capitaine de s'assurer qu’il n'y avait finalement pas de piège et que la tonalité de l’endroit était des plus rassurantes. Collé-remonté, il déplia sa carcasse arthritée devant Ie chauffeur.

Pelabuhan ! Pelabuhan !

–jeunc homme, quelle est donc cette escapade rocambolesque ! Vous devriez avoir honte d’utiliser la naïveté de simples voyageurs étrangers pour faire votre commerce pétaradant !

Pelabuhan !

Pelabuhan  mollo, mon gaillard ! Croyez-vous vous en tirer à si bon compte ? Dix fois vous avez failli nous jeter sous les roues de poids lourds immatures ! Si vous traitez tous vos clients de cette manière, il ne faut pas vous étonner que vous n'ayez pas assez de roupies pour repeindre votre carcasse de la mort !

Juntox se mit à faire à nouveau le geste de la grande brasse qu’il mixa avec celui d’un crawl endiablé !

Pelabuhan !

– Écoutez, mon bonhomme, vous irez nager plus tard ! Vous devez prendre vos responsabilités ! Pas le moment de prendre vos aises ! D’abord, vous manquez de nous trucider, ensuite vous nous emmenez là où nous n’avons rien à faire ! Je vous préviens que je ne paierai pas un sou tant que je ne serai pas à l’ambassade de France !

Le professeur s’agita soudain, véritable sauterelle boulotteuse.

– Ah, capitaine, je comprends ! Vous allez rire… La confusion idiote ! je me souviens à présente que « pelahuban » signifie « port ». Ce pauvre bougre a compris « port » au lieu d’« ambassade ». Avouez que c’est cocasse !

– J’en pleure de rire !

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article