11 Mai 2022
Résumé : À l'université de Salamanque, un groupe d'étudiants en criminologie découvre l'existence d'un tueur passé sous les radars depuis plusieurs décennies et qui met en scène ses victimes en s'inspirant de tableaux de la Renaissance.
À Madrid, l'enquêtrice Lucia Guerrero trouve son équipier crucifié sur un calvaire et se lance sur les traces de celui que l'on surnomme le " tueur à la colle ".
Tous vont être confrontés à leur propre passé, à leurs terreurs les plus profondes et à une vérité plus abominable que toutes les légendes et tous les mythes.
Auteur : Bernard Minier
Nombre de pages : 474
Édition : XO Editions
Date de parution : 31 mars 2022
Prix : 22.90€ (Broché) - 14.99€ (epub, mobi) - 4.95€ (audio)
ISBN : 978-2374484068
_______
Tout commence au pied d'une colline en Espagne. L'UCO, l'unité opérationnelle de la police judiciaire de la Guardia Civil est appelée sur place. Lucia Guerrero, y est enquêtrice et voit sur cette colline, son collègue, le sergent Moreira collé à une croix tel le Christ. Sur les lieux, un certain Gabriel est arrêté. L'homme a du sang sur lui et semble ne pas être dans son état normal. Et pour cause, il possède plusieurs personnalités, dont une, Ricardo qui serait le meurtrier...
Université de Salamanque. Un groupe d'étudiants et leur professeur Salomon Borges, spécialiste en criminologie et criminalistique, ont conçu un algorithme permettant de repérer des crimes similaires. Le nom de leur logiciel ? Le DIMAS. Cette base de données permet de faire resurgir trois autres crimes au mode opératoire qui semble similaire à celui dont fut la victime le sergent Moreira. Le premier remonte à trente ans en arrière. Borges en informe Lucia Guerrero qui va alors s'appuyer sur ces informations pour tenter de mettre la main sur ce meurtrier hors normes, surnommé le tueur à la colle.
Bernard Minier change ici de pays en s'immergeant et en nous amenant en Espagne. Son héroïne, Lucia Guerrero remplace celui qui a fait les beaux jours de ses premiers romans, Martin Servaz.
Premier tome donc de ce qui semble être une nouvelle série à venir. Avec Lucia, Bernard Minier s'est longuement documenté sur la police espagnole, la géographie et histoire des différents lieux dans lesquels il emmène son enquêtrice. Si le début du roman est plutôt bien amené - il ne traîne pas à mettre en place les premiers éléments - peu à peu le rythme se perd. En effet, l'auteur prend plaisir à nous montrer l'étendue de ses recherches et pour le coup ralenti son intrigue en inondant son roman de descriptions qui n'apportent pas toujours grand-chose.
C'est dommage, car les éléments de l'enquête et les différentes directions avec lesquelles il cherche à nous perdre pour nous guider ensuite vers la résolution de l’énigme sont plutôt bien ficelés. Plusieurs pistes sont là, allant du pédophile au pervers sexuel jusqu'au manipulateur qui tournent autour de Lucia et des membres du groupe d'étudiants, faisant d'eux de potentielles victimes.
Quant aux personnages en eux-mêmes, on passe inévitablement par le politiquement correct de l'époque. Dommage également que son héroïne, Lucia manque un peu de ce qui fait un personnage marquant. Ici, Minier a choisi une femme policier multi-tatouée dont le métier a ruiné le couple, qui a la garde alternée de son fils, prend soin de sa vieille mère un brin Tatie Danielle et qui se frite avec sa sœur aînée à propos de cette dernière. Bon, ce n'est pas un personnage très fun, mais un deuxième roman viendra peut-être lui donner plus d'épaisseur et la faire sentir moins angoissée.
Bref, un peu d'élagages dans les descriptions, et une ambiance plus tendue auraient donné à ce thriller un meilleur avis de ma part. Ça reste cela dit une bonne intrigue et une enquête plutôt bien ficelée à suivre.
A voir avec le prochain roman si les défauts se confirment ou pas.
_________
Lucia, de Bernard Minier - www.audetourdunlivre.com
LA LIEUTENANTE Lucia Guerrero examina son DNI. Gabriel Agustín Schwartz. Trente-deux ans. Né le 18 mars 1987 à Málaga. Résidant rue San Jerónimo à Madrid. Elle leva le regard. Cheveux blonds presque blancs, visage pâle, étroit, cils incolores.
Il avait les yeux grands ouverts, clairs, inquiets – ils furetaient à droite et à gauche –, des lèvres trop rouges, trop… humides.
— Gabriel Schwartz, commença-t-elle.
Les yeux du blond vinrent se poser sur elle.
— Ah non, c’est pas moi… Je suis pas Gabriel.
Elle haussa un sourcil :
— Tu t’appelles comment alors ?
— Ivan.
— Ivan… ? Ivan comment ?
— Ivan.
— Et qui est Gabriel dans ce cas ?
— Un autre…
Elle le fixa. La jambe gauche de Lucia remuait sous la table. Convulsivement. Elle bougeait depuis qu’elle s’était assise dans la pièce, face à lui. SJSR : syndrome des jambes sans repos.
— Bien, euh… Ivan. Tu es accusé du meurtre du sergent Moreira (un trou à l’estomac quand elle prononça son nom), tu comprends ?
— Ce n’est pas moi, insista Gabriel en se mordant la lèvre. J’ai rien fait.
— Je vous rappelle que jusqu’à preuve du contraire mon client est un simple témoin dans cette affaire, intervint l’avocat gominé assis à côté de Schwartz.
Elle observa le blond puis l’avocat puis de nouveau le blond, ses yeux ouverts comme ceux d’un enfant, son regard sautant d’un coin à l’autre de la pièce.
— Il y a tes empreintes digitales partout, dit-elle, sur le corps, sur la croix, sur l’échelle… sur l’arme du crime. Et tu as le sang de la victime sur tes vêtements…
— C’est pas moi.
Il avait l’air si timide. Il n’avait pas l’air d’un tueur.
— C’est qui alors ?
— C’est Ricardo.
— Qui est Ricardo ?
— Quelqu’un de très méchant…
— Ah bon ?
— Oui…
Elle essaya d’ignorer les taches de sang séché sur l’éclatante salopette orange. Tout comme l’image mentale de Sergio nu et crucifié sous la pluie.
— Comment tu sais que c’est lui ?
— Parce qu’il me l’a dit.
Elle tressaillit :
— Ricardo t’a dit qu’il l’avait tué ?
— Lieutenante, intervint l’avocat commis d’office, étant donné… l’état de mon client, je vous demanderai de ne pas prendre en considération cette dernière remarque.
— C’est à moi d’en juger, maître, répondit-elle fermement. Écoute, Gabriel…
— Je ne m’appelle pas Gabriel : je suis Ivan.
Il s’appelait Gabriel Schwartz. Il ne devait pas matcher souvent sur Tinder, mais il avait matché dans les fichiers de la Guardia Civil : plusieurs condamnations pour des vols à droit.
— Et comment tu t’appelles ? demanda Arias, désarçonné.
— Je suis Marta. J’aime vos yeux, monsieur l’agent. Ils sont beaux…
Lucia fut scotchée par le changement brutal de physionomie. Elle avait presque l’impression de voir une femme.
— C’est quoi, ce cirque ? s’énerva Peña à côté d’elle.
— Euh… Marta… tu sais pourquoi tu es ici ?
— Vous voyez bien que mon client n’est pas en état de répondre à vos questions, intervint le jeune avocat. Je demande qu’il soit examiné sans délai par un psychiatre !
— Pourquoi je suis ici, je n’en ai pas la moindre idée, confia Gabriel, alias « Marta », sans tenir compte de l’intervention de son conseil. Mais j’imagine que vous allez me le dire, monsieur l’agent.
— Bordel ! murmura Lucia, les nerfs à vif.
Elle serrait tellement les dents en fixant l’écran que sa mâchoire lui faisait mal. Ils n’allaient pas passer des heures à jouer à ce petit jeu. Elle lui aurait fait cracher le morceau avant.
— Je suis sûre que c’est un simulateur, articula-t-elle.
— Possible, la tempéra Peña. Mais tant qu’on n’a pas parlé à son psychiatre, on doit entrer dans son jeu. Sinon n’importe quel avocaillon nous la mettra profond, tu piges ? Le psy, il est en route ?
— Oui, répondit Lucia. Il ne va pas tarder.
— Marta, tu as quel âge ? demanda Arias dans les haut-parleurs.
— Quel âge vous me donnez ? roucoula la pseudo-Marta.
— Marta, tu sais qui a tué le sergent Moreira ? poursuivit Arias.
— Oui, c’est Ricardo…
— Et tu le connais, ce Ricardo ?
— Ben oui, évidemment que je le connais, on le connaît tous… Ce n’est pas quelqu’un de bien. C’est quelqu’un de méchant. Je ne l’aime pas. Il me fait peur.
Lucia devait admettre que la conviction avec laquelle « Marta » dressait le portrait du pseudo-Ricardo était assez perturbante.
— Tu peux m’en dire davantage au sujet de Ricardo ? proposa Arias.
— Non, je ne veux pas…
— Pourquoi ça ?
— Il me fait peur.
— Pourquoi il te fait peur ?
— Il fait peur à tout le monde.
— Il est si méchant que ça ?
Lucia fut frappée par l’expression d’angoisse apparue sur les traits de Schwartz.
— Il me fout les jetons, ce type, commenta Peña à mi-voix en se redressant.
Elle fut surprise. Son chef n’était pas spécialement connu pour sa suggestibilité. Peña était un dur. De la vieille école. Il avait affronté quelques-uns des truands les plus dangereux d’Espagne. Mais les changements de personnalité de Schwartz avaient de quoi déstabiliser le caractère le mieux trempé.
— Tu sais où il se trouve ? continua doucement Arias dans l’autre pièce.
Schwartz se tortillait nerveusement sur sa chaise à présent, sa face agitée de tics nerveux.
— Et comment je le saurais ?
— Il ne t’a jamais dit où il habitait ?
Le blond haussa les épaules.
— Pfff, il habite là, comme tous les autres, répondit-il avec la voix de « Marta » en se tapotant la tempe du bout de l’index. Où tu veux qu’il habite ?
— Marta, parle-moi de Ricardo, c’est important, insista Arias.
Lucia vit Schwartz secouer la tête énergiquement, se mordre la lèvre, fermer les yeux en serrant très fort les paupières, les rouvrir.
— S’il vous plaît, ne nous faites pas de mal.
— Quoi ? fit Arias, déboussolé.
— Ne dites rien à Ricardo, s’il vous plaît, monsieur. Il nous fera du mal. S’il vous plaît… s’il vous plaît… s’il vous plaît…
Merde, la voix d’un enfant maintenant… Même son visage paraissait tout à coup encore plus enfantin. Ça suffit, pensa-t-elle.
— Je prends la suite, dit-elle à
— Je prends la suite, dit-elle à Peña.
Celui-ci tourna son regard vers elle :
— Tu es sûre ? Tu ne devrais pas t’investir autant, Lucia… Normalement, je ne devrais même pas te laisser participer à cet interrogatoire, tu le sais. Tu es trop impliquée émotionnellement. C’était ton coéquipier.
— Précisément.
Elle sortit dans le couloir, ouvrit la porte voisine, entra.
— C’est bon, dit-elle à Arias.
— T’es sûre ?
— Vas-y, je te dis !
— Lieutenante…, s’interposa l’avocat.
— La ferme, maître.
Elle avait parlé trop fort. Arias se leva et fila sans demander son reste.
— Ceci sera consigné, soyez-en sûre, s’indigna l’avocat, tout rouge.
Le petit garçon qu’était devenu Gabriel Schwartz l’observait d’un air étonné, comme s’il la découvrait pour la première fois.
— Je veux parler à Marta, dit-elle.
Le blond se redressa. Le sourire mielleux revint. Il regarda autour de lui, examinant le sol, le plafond, les murs.
— Ben, tu vois quelqu’un d’autre ici, ma chérie ? dit la voix roucoulante de Marta.
Lucia revit le corps nu et ruisselant de Sergio sur la croix, et la colère fit blêmir ses lèvres. Elle respira un grand coup.
— Moi aussi, je connais Ricardo, dit-elle sur un ton de défi. Tu n’es pas la seule à le connaître, Marta…
La pseudo-Marta lui lança une œillade méprisante :
— Pffff. Tu mens. Tu ne connais pas Ricardo.
— Oh que si.
— Je ne te crois pas ! J’ai la migraine… Vous avez quelque chose contre la migraine ?
— Tu n’es pas obligée de me croire. Mais je le connais, je t’assure. Il n’est pas aussi dangereux que tu le dis.
Schwartz haussa de nouveau les épaules :
— Pfff. N’importe quoi ! Ça se voit que tu le connais pas. Tu ne dirais pas ça sinon…
— Il joue les durs, mais c’est un trouillard, ton Ricardo.
Schwartz cligna des paupières nerveusement. Il jeta un coup d’œil inquiet autour de lui.
— Tais-toi ! T’es folle ou quoi ? S’il t’entend, il va venir !
— Qu’il vienne. Je lui dirai la même chose. Mais il ne viendra pas. Et tu sais pourquoi, Marta ? Il n’est fort qu’avec les faibles comme toi. C’est un poltron, ton Ricardo.
— Tais-toi ! J’ai mal à la tête, gémit Marta. Donnez-moi quelque chose : j’ai trop mal à la tête…
Lucia sentit son duvet se hérisser sur ses bras. Les paupières de Schwartz papillotaient à présent. Il tremblait et ses lèvres bougeaient comme s’il se parlait à lui-même, mais aucun son n’en sortait. Elle se redressa sur son siège.
— Marta ? dit-elle.
Pas de réponse.
Elle jeta un coup d’œil à la caméra. Si ce dingue tentait quoi que ce soit, elle lui mettrait une gauche et la cavalerie débarquerait dans la seconde.
Schwartz avait maintenant les yeux fermés. Lucia le scruta. Son visage ne trahissait plus la moindre expression. Un masque de cire. Comme s’il dormait. Soudain, il rouvrit les yeux, la faisant sursauter. Lucia vit un tel éclat de fureur les traverser, suivi d’une lueur si dure, si viscérale, à l’orée incandescente de son regard, qu’elle se raidit instantanément sur sa chaise.
— Tu sais qui je suis ? dit une voix plus basse, plus profonde, pleine de morgue et d’arrogance.
Lucia hésita :
— Ricardo ?
______________