Au détour d'un livre

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Je vais encore me faire des amis, de Jean-Pierre Mocky

 

Résumé : Jean-Pierre Mocky n’est pas seulement une légende du cinéma français : inclassable et rebelle, il ressemble aux personnages de ses films. Aujourd’hui, une fois n’est pas coutume, il troque sa caméra contre une plume bien affûtée… et tout le monde y passe ! Famille, amours, réalisateurs, acteurs : la mémoire vive et le verbe haut, il nous livre une savoureuse galerie de portraits, riche en coups de cœur, coups de gueule et coups de sang.

Auteur : Jean-Pierre Mocky
Nombre de pages : 288
Édition : Le Cherche-Midi
Collection : Documents
Date de parution : 23 avril 2015
Prix : 17€ (Broché) - 12.99€ (epub, mobi)
ISBN : 978-2749130422

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Avis / Critique :


Bon, j'avoue, Mocky ce n'était pas trop ma came, mais comme j'adore Dominique Lavanant et Michel Serrault, j'ai regardé quelques-uns de ses films. Si j'en ai aimé certains, j'en ai détesté d'autres. Ce n'est donc pas sa filmographie qui m'a donné envie de lire ce livre, pas plus que le personnage que je ne connaissais pas plus que cela, mais une interview qu'il a donnée et dans laquelle il racontait des anecdotes de tournage avec un ton aussi irrévérencieux que ses films. Je me suis donc procurée ce livre et j'ai commencé à m'y plonger ne sachant trop ce que j'allais y trouver.

Tout d'abord Jean-Pierre Mocky a ce même ton irrévérencieux dans son livre que dans la vie. Il revient sur ses débuts au cinéma avec un rapide détour par les origines de ses parents, un lieutenant-colonel Russe blanc pour son père, une riche bourgeoise polonaise pour sa mère. Une fuite à Nice au temps de la Révolution Russe, et la famille Mocky se retrouve en France. Le père dilapide l'argent de sa femme dans les jeux, la Seconde Guerre mondiale arrive, le père expédie son fils en Algérie, falsifiant ses papiers et lui rajoutant trois ans au compteur.
Focus ensuite sur les débuts comme figurant, puis des rencontres qui vont lui permettre de commencer sa carrière : Fresnay, Sacha Guitry. Sa rencontre avec Laurel et Hardy, Michel Simon qu'il fera tourner, Bunuel, Groucho Marx, Gabin, mais surtout Bourvil

C'est un saut dans le temps qu'opère Mocky au tout début de son livre, sans oublier ses débuts d'acteurs en Italie, sa rencontre avec Clint Eastwood avec qui il se promenait nu chez la vieille dame aveugle qui les hébergeait, sa complicité avec Anthony Quinn, et ses parties fines au pays de l'amour.
Le livre de Mocky, c'est aussi ça : les femmes. Et il est cash quand il en parle, à l'instar de la gamine de 13 ans qu'il a mis enceinte alors que lui-même était ado et qu'il a du épouser, puis ses conquêtes, 700 au compteur, soit une par mois comme il le calcule.

Mais l'amour de Jean-Pierre Mocky ce sont les acteurs et ses films qu'il a tournés, les enchaînant les uns derrière les autres, avides d'histoires à raconter. Et des acteurs, il en a vu défiler. Certains sont devenus des amis, ou des collaborateurs, d'autres ont fait une simple escale. Et il n'est pas tendre avec ces derniers, pas plus qu'il n'est tendre avec ceux qui lui ont posé un lapin peu avant le début d'un tournage, ou qui ont oublié sciemment qu'il leur avait mis le pied à l'étrier. Quant aux politiques, à part deux ou trois, il n'hésite pas à les flinguer au passage.

Lire Jean-Pierre Mocky, c'est avoir un accès au cinéma d'hier, aux anecdotes de tournage, à des rencontres, le tout conté avec un ton anticonformiste et un brin râleur.
Personnellement, j'ai aimé et découvert un personnage qui m'a donné envie de redécouvrir sa filmo.
Finalement, Mocky s'est encore fait une amie, mais cette fois dans le bon sens.
 

 

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Extrait :

1

La malédiction de Beethoven

Je suis de plus en plus connu. Sûrement parce qu’en France il y a de moins en moins de metteurs en scène qui comptent. La plupart sont morts : Claude Chabrol, Louis Malle, François Truffaut, Claude Sautet, Raoul Ruiz, pour ne citer qu’eux. Quant aux vivants... À de très rares exceptions près, comme Michel Gondry, François Ozon ou Xavier Giannoli, qui surnagent au milieu d’un océan de faiseurs, les réalisateurs d’aujourd’hui sont tellement inféodés aux exigences racoleuses de leurs producteurs qu’ils finissent par y perdre leur âme. Ce sont des prisonniers. Très souvent, d’ailleurs, ils disparaissent après un ou deux films que personne ne s’est déplacé pour aller voir. Dans le désert où nous commençons à être, on remarque davantage ceux qui survivent et qui tournent encore...

J’aurai bientôt 82 ans. L’âge canonique des hommages ronflants et des biographies officielles. Je suis entouré d’une ribambelle de gens qui disent m’adorer et vouloir m’honorer, comme une espèce de légende figée, de monument d’une autre époque. C’est bien gentil, mais aucun ne se pose la question de savoir si j’ai besoin d’aide pour tourner mon prochain film ! Lorsque la sacro-sainte Académie des arts et techniques du cinéma, qui, jusque-là, avait fait très peu de cas de mon travail, m’a téléphoné pour me proposer un césar d’honneur, je les ai envoyés aux pelotes ! Qu’est-ce que vous voulez que j’en fasse ? La bonne conscience de la profession, je m’assois dessus. Je suis loin de me prendre pour un génie, mais quand Mozart est mort, il a été enterré dans la fosse commune. Alors, un césar...

Je viens de lire Histoire de la vie et de l’œuvre de Ludwig van Beethoven, écrit en 1840 par Anton Schindler, son biographe. À la fin de sa vie, le compositeur était sans le sou. Son seul péché mignon était la bière. Un jour, il alla voir le propriétaire d’une brasserie située à deux pas de chez lui : « Je n’ai pas d’argent, mais si vous m’offrez un bock par jour, je vous fais cadeau de ma musique... »

Le brasseur l’envoya sur les roses. Il n’avait rien à carrer des partitions de Beethoven ! Dans son atelier de Montparnasse, Modigliani a vécu un dédain comparable. Un passant lui achetait une toile tous les 36 du mois, et pour trois fois rien. Pendant ce temps, il continuait à peindre. Il est mort sur un banc, sans un rond. Son atelier abritait deux cents toiles, qui ont connu le destin qu’on sait.

Même mon ami Orson Welles, en fin de carrière, ne trouvait pas l’argent pour boucler ses films ! La différence avec moi, c’est qu’il n’envisageait que des budgets colossaux. À l’aube des années 1970, François Truffaut et moi le trouvâmes un jour en train de se poivrer au bar Alexandre, en face du Fouquet’s : il venait de tourner Une histoire immortelle avec Jeanne Moreau – un téléfilm pour la deuxième chaîne ! – et n’avait pas pu réunir les fonds nécessaires à son dernier projet, Calme blanc, tiré du roman de Charles Williams dont il avait pourtant obtenu les droits. Comment rester indifférent à la déchéance et au désarroi d’un tel monstre sacré ? Nous eûmes alors l’idée de faire la quête auprès des gens de cinéma dont le quartier regorgeait. Seul Gilles Grangier, qui passait par là, accepta de mettre la main à la poche avec nous. À l’instar de Calme blanc, notre collecte ne dépassa pas le stade embryonnaire. Quand je pense qu’Orson Welles est mort en cachetonnant dans une pub pour le vin de Bordeaux !

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