27 Septembre 2019
Résumé : Qui a lu l’œuvre publiée de Yann Moix sait déjà qu’il est prisonnier d’un passé qu’il vénère alors qu’il y fut lacéré, humilité, fracassé.
Mais ce cauchemar intime de l’enfance ne faisait l’objet que d’allusions fugaces ou était traité sur un mode burlesque alors qu’il constitue ici le cœur du roman et qu’il est restitué dans toute sa nudité.
Auteur : Yann Moix
Nombre de pages : 272
Edition : Grasset
Collection : Roman
Date de parution : 21 août 2019
Prix : 19€ (Broché) - 13.99€ (epub, mobi)
ISBN : 978-2246820512
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Loin des révélations de ces dernières semaines, j'ai abordé ce livre d'un point de vue totalement littéraire, ne prenant pas parti pour savoir si oui ou non, cela était réel ou pouvait être réel, mais juste comme un objet d'écriture afin d'être neutre.
Orléans est abordé par Yann Moix en deux mouvements au travers d'une période de son histoire qui a pour fil conducteur les classes d'école. La première, Dedans, narre une succession de scènes d'humiliations et de violences orientées par des parents vers l'enfant qu'est Moix, ainsi que la naissance de son amour des livres au travers, je l'ai dit, de ses années d'école commençant du CP pour s'achever à la terminale. La seconde, Dehors, aborde sa vie sur les bancs scolaires lors de ces mêmes années au travers d'anecdotes qui mêlent ses premiers émois, ses fantasmes, ses amitiés, ses hobbies.
Sans contestation, Dedans est la partie pour moi la plus intéressante et surtout la plus vivante même si elle est la plus dérangeante. Dérangeante par le fait que l'on se demande si tous les évènements tragiques qui y sont racontés se sont réellement déroulés ou non. On ne peut s'empêcher de se poser la question, de se sentir troublé, de se dire "oui, celle-ci est plausible" et "celle-ci, non, il en a rajouté", mais finalement qu'importe. Ce que l'on peut en retenir, c'est l'écriture. Cette première partie est remarquablement bien écrite. Et c'est tout le paradoxe de ce livre. Car, malgré les sévices racontés, on a du mal à s'attacher à l'enfant Moix tel que le Yann adulte le raconte. On ne sent pas de réelle empathie, alors que tout dans cet écrit devrait être fait pour que ce soit le cas, car les maltraitances sont terribles et les sensations poignantes. A contrario, c'est plutôt le malaise qui se fait sentir et surtout l'incompréhension fasse à des adultes voisins ou amis qui assistent à ces maltraitances physiques et morales et qui semblent en rire.
Alors peut-être est-ce dû à l'adulte que l'on connait et qui brouille le message qu'il tente de nous faire passer au travers de ce témoignage et dont nous ne pouvons nous empêcher d'avoir une perception biaisée au travers des médias, telle une mauvaise télé-réalité qui nous serait racontée d'un point de vue littéraire.
Quant à l'écriture, elle amène heureusement le plaisir de lire une langue un peu perdue, inusitée aujourd'hui, où les modes se marient, se culbutent, s'entrechoquent : un peu d'imparfait par ci, un peu de plus que parfait par là, un soupçon de futur antérieur et quelques pointes de gérondif.
Un retour à l'écriture d'antan. Pour cela, merci.
Malheureusement pour moi, en-dehors de ce plaisir trouvé, il y a ce narcissisme de l'auteur qui m'a là aussi dérangé et qui transperce au travers des lignes de Dedans et de Dehors. Yann Moix est tombé amoureux de Gide, enfant, et s'est mis dans la tête, il le dit lui-même, non pas de devenir un disciple mais d'être Gide, de devenir Gide, de se voir le nouveau Gide, d'être à son tour "Le génie de l'écriture".
C'est ensuite Francis Ponge et son adjectif Pongien dont il affuble le texte de Dehors à toutes les sauces. Tout devient Pongien chez Moix.
Finalement, au gré des classes et des anecdotes racontées depuis sa vie à la maison et sa vie à l'école, la première partie d'Orléans est vraiment la plus intéressante à lire, pleine d'affects, là où la seconde est plus ennuyeuse à cause des nombreuses digressions qui l'agrémentent.
Une question demeure cependant en refermant ce livre. Aurait-il mérité d'avoir le Goncourt ?
Pour moi, c'est non. C'est certes un livre parfois poignant, bien écrit, mais qui manque de passion, de cette chose insondable qui fait d'un roman, d'une biographie un must à garder dans sa bibliothèque pour le lire et le relire encore et encore.
Ici, c'est plutôt ici un livre de Yann Moix pour Moix qui cherche à se comprendre et à se voir tel qu'il était et qu'il est devenu, et qui veut nous prendre à témoin. Ce n'est pas suffisant pour marquer les esprits littéraires et en faire un objet inclassable, insondable, magnifique, et étonnant.
Orléans n'a malheureusement rien de tout cela, malgré sa belle écriture.
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Maternelle. – Le monde rouillait. Derrière la fenêtre, c’était l’automne. L’air jaunissait. Quelque chose d’inévitable se déroulait dehors : la mort des choses. La cour de récréation, mangée par une marée de pénombre, revêtait des reliefs alambiqués. Je ne reconnaissais plus l’univers. Dans la salle de classe, éclairée par des néons grésillants, j’éprouvais, dans la bouche, ou plus exactement au fond du palais, un goût d’amande et d’abri. Rien n’était urgent parmi les dessins, les chiffons tachés, les flacons, les pots, les pinceaux, les éponges mouillées, les grosses lettres aimantées au tableau noir, les motifs en papier kraft. Le contraire de la guerre n’est pas l’amour, mais une fin d’après-midi orange, en novembre, dans une école maternelle. On n’y compte ni cadavres ni blessés ; nul n’y tremble. Tout y est chaud et bigarré. Le crépi, fissuré, de la bâtisse suffisait à nous isoler de la densité oppressante de la nuit noire et rouge.
Il eût suffi de briser les vitres pour faire surgir, tel un ouragan, dans notre coquille tiède et idéale, les cendres et les misères de la vie adulte, les vents amers, les larmes, les condoléances, les maladies. L’institutrice, bleutée, portait un chignon. J’aimais la façon dont elle effaçait le tableau, laissant, après le balayage frénétique de la surface, le spectre du motif précédent – en palimpseste – vouloir exister encore, comme ces blessures d’amour qui ne s’en vont qu’avec la mort.
L’odeur de la salle, faite d’émanations de gouache, d’alcool à stencil et de grains de café avec lesquels nous confectionnions des fresques (une vache difforme devant une inhabitable maison), possédait un relent de paradis et de décès – présence de tous ceux qui, avant notre existence, avaient été des enfants et qui, à présent, possédaient du sable dans les yeux. Les pupitres étaient doubles et s’ouvraient comme des couvercles. Dans leur gueule moisissait parfois une trousse ou pourrissait quelque dessin au feutre, dont le style était tantôt frémissant, tantôt brutal, éventuellement gouverné et perverti par la main d’une grande personne. J’avais trouvé le premier jour, à l’intérieur du mien, une mystérieuse figurine dont j’ignorais alors tout, orpheline de ce contexte, privée à jamais de sa raison d’être, et qu’aucune stratégie, aucune tactique, aucun calcul, ne mouvaient plus : un fou de jeu d’échecs. Il gisait là, dans l’obscurité et la désolation de ce petit bureau ridicule, humble employé relégué au placard, sans adversaire, comme terrassé à jamais. Nul ne savait quelles extravagantes parties il avait bien pu vivre, quels combats épouvantables, sur les cases mathématiques de sa destinée diagonale, il avait livrés. Il resterait le soldat inconnu de mon enfance ; muet, muré dans quelque chagrin, beige et de buis, éclaboussé au niveau du heaume – tout près de la fente qui le faisait bridé – par de l’encre bleue.
J’avais préféré le laisser là plutôt que de l’engouffrer dans la poche de mon gilet. Je voulais qu’il continuât à passer ses nuits dans sa cachette, ou dans son tombeau – je ne sus jamais, à vrai dire, s’il était mort ou vivant. Il représentait pour moi le modeste héraut d’une capitulation définitive ; il était l’abandonné par excellence. Il incarnait le vaincu. Surtout, il préfigurait les enterrements à venir, les noces de la défaite avec la mort. Chaque matin, les mains lavées au lavabo collectif, la blouse bleu clair enfilée, je vérifiais que sa routine d’endormi définitif se poursuivait sous mon coude, qu’il était resté là toute la nuit, qu’il n’avait pas bougé. Son prestige éteint me fascinait.
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