30 Janvier 2023
C'est le buzz du moment : le livre du prince Harry. Il a déjà battu des records de vente, tous les aficionados de la famille royale attendaient des anecdotes croustillantes, les autres se demandaient ce que Harry, duc de Sussex pourrait bien encore raconter après son interview avec sa femme Meghan donnée à Oprah Winfrey, puis le documentaire Netflix. Serait-ce la bombe qui chahuterait la monarchie anglaise et la ferait chuter ?
N'est-ce pas le livre de trop après ce mélodrame familial qui perdure et qui a débuté il y a cinq ans ? J'avoue que ça ne me disait pas trop de le lire, mais tenant un blog littéraire, je me sentais un petit peu obligée de le faire.
Ouf, Harry de Sussex a eu le bon ton d'attendre que la Reine, sa grand-mère soit décédée pour se lâcher.
Bon, autant le dire tout de suite, le livre n'est pas explosif, c'est surtout en fait l'histoire d'un garçon, puis d'un homme qui cherche sa place non seulement dans sa famille, mais aussi dans le monde. Un homme marqué par la mort de sa mère, icône qui fut assaillie par les journalistes et auxquels le prince Harry voue une haine tenace. C'est finalement l'histoire d'un homme-enfant qui se livre sur son histoire personnelle et qui décrit le monde de la royauté tel qu'il l'a vécu, en a souffert, et démontre comment fonctionne le système depuis l'intérieur, où chacun semble être plus un numéro dans une hiérarchie qu'un être vivant. La Firme, une machine dysfonctionnelle qui fait figure de prison.
"The spare", en version originale, c'est l'histoire d'un homme qui voulait vivre sa vie et se dégager de ce carcan pesant alimenté par les médias, mais qui s'est finalement laisser prendre au piège par ces mêmes médias jusqu'à alimenter lui-même le cycle infernal.
"Le suppléant". Ainsi est nommé celui qui doit remplacer l'héritier en cas de décès ou d'abdication. "Le suppléant", c'est donc ici, Harry, prince du Royaume-Uni, duc de Sussex, second fils du roi Charles III et de feue Lady Diana. D'ailleurs, dès les premières minutes de sa naissance, il est affublé de ce titre, "Le suppléant", le second, la pièce de rechange, la réserve. On comprend au fil des pages de cette autobiographie, qu'à l'instar de sa grande tante, la princesse Margaret avec Elizabeth II, Harry se voyait plus dans le rôle du roi que William. Mais les rôles et le destin en ont malheureusement décidé autrement et le futur roi sera William et la place de Harry, c'est la seconde, celle du "Spare".
Passé ce regret, découvrons l'autobiographie d'Harry telle qu'elle apparait. Celle-ci se divise en trois grosses parties que l'on peut résumer ainsi : l'enfance et la perte de la mère ; l'armée, les voyages, la monarchie ; l'enfant devenu homme.
Tout du long de ce livre, ce qui nous frappe de prime abord, c'est l'omniprésence de sa mère Lady Diana non seulement dans ses pensées, mais aussi dans sa vie de tous les jours. Tout ramène à elle jusqu'à son fils Archie, qui regarde fixement un coin de tableau sur lequel figure un prénom : Diana... que personne n'avait vu auparavant.
Signe depuis l'au-delà ? Qui sait.
C'est donc surtout la souffrance d'un être qui pourrait être la souffrance de n'importe quel enfant ayant perdu un de ses parents, le parent aimé. Mais bien sûr, cet enfant là s'appelle Harry et il est né dans un cercle royal où les sentiments sont retenus, où la presse vous bombarde sans cesse, prête à dégainer l'appareil photo au moindre pas, faux ou pas, où l'étiquette perdure et où le protocole est omniprésent. Ce n'est pas une vie normale, c'est une vie vécue dans un espace doré, mais qui emprisonne. Bref, c'est l'histoire d'un type qui ne pouvant être le futur roi, voulait une vie normale, mais avec quand même les biens seyant à son rang. A sa décharge cependant, ne lui ayant jamais laissé le soin de se dessiner sa propre destinée, au cas où il lui faille remplacer son frère, difficile donc de se retrouver sans le sou d'un seul coup à l'âge de 30 ans.
Que faire alors ?
Réponse : des docu, un livre sur lui, sa famille, ou tout le monde va en prendre pour son grade et où il va tenter de rétablir la vérité, ce qui semble en tout cas être la sienne et montrer l'envers du décor.
Dans ce livre, c'est aussi la complexité de sa relation avec son frère aîné, le Prince William qui ressort. Il y a de l'amour entre ces deux-là, mais au fil des années, la relation s'est distendue, s'est complexifiée et les deux ont des visions qui ne sont pas les mêmes. Le premier se fond dans la monarchie et veut la préserver, le second veut la faire imploser.
Il y a de la part d'Harry, une sorte de rancœur pour l'attention dont son frère aîné a auprès de la famille (due à son rang hiérarchique, bien entendu) mais aussi une sorte de compétition, toujours dans le sens de se faire sa place finalement au sein de "la Firme" et de s'affirmer face au Prince héritier. William est épargné par les journalistes à Eton et on lui laissera faire sa scolarité plutôt tranquillement. Pour Harry, ce ne sera pas le cas. La moindre incartade se retrouve dans les journaux. Il ne ressent pas de soutien de sa famille, ni de la royauté face à ses évènements et peu à peu, la rancœur semble instiller son fiel.
Le moment finalement, où il se sentira un peu libre, une entité à part entière, sera amené par son entrée dans l'armée. Ce sont les années de la première transformation. L'adolescent devient l'adulte, pas encore affirmé, mais qui s'extirpe du cocon. Et là, on a droit à des pages et des pages de détails sur les missions. J'avoue les avoir passées tellement cela m'a paru ennuyeux. Viennent ensuite son amour pour l'Afrique au travers de ses différents voyages (avec son père, puis ses amis), et ses turpitudes amoureuses.
On sent la souffrance d'un être, qui est profonde, l'immaturité du propos dans la première partie et seconde partie du livre, des anecdotes racontées dont on n'imagine pas soi-même les narrer au plus grand nombre : la perte de sa virginité derrière un bar, les talibans, l'accouchement de Meghan relaté comme dans une émission de téléréalité, l'enterrement du fœtus, la fumette, etc.
Mais avec la rencontre de Meghan, le ton change, l'enfant devient homme à son contact. On sent à la façon dont il en parle qu'elle lui a apporté une forme de combativité, l'a aidé à s'affirmer, à devenir enfin lui-même, un homme à part entière et non plus le SPARE. On découvre leur quotidien en Angleterre (Meghan lui cuisine du poulet, fait les courses.) Bref, une vie de petit-bourgeois, mais quand même dans un cottage royal. La chasse des paparazzi dès l'annonce de leur couple avec des articles loufoques, des propos racistes, et l'indifférence, semble-t-il, de la Firme qui lui enjoint de laisser couler ("Ça passera mon garçon"). D'ailleurs, on découvre l'omniprésence et le rôle des secrétaires royaux et c'est assez édifiant, je dois le dire s'il en est véritablement ainsi.
Ce livre, c'est en partie une autobiographie, et de l'autre côté, un déballage de tout ce que Harry avait sur le cœur, ce qu'il a enduré. Il en veut à sa famille qui le prive de ses biens, d'argent, du manque d'attention à son égard et envers sa femme, à la Firme, aux journalistes (qui, il faut le reconnaitre sont quand même des vampires), mais il tombe lui-même dans le panneau. Avoir vécu son enfance à la une des médias, fait qu'il perdure la chose en jouant le jeu qu'il leur reproche. Et puis, il faut gagner de quoi vivre... Et la seule chose que peut monnayer le prince Harry, c'est lui-même, et sa famille.
La boucle est bouclée.
J'en retiens donc un livre qui parle de la souffrance d'un homme qui cherche à panser la plaie du garçon qu'il a été. Pour ceux qui aiment la royauté et le couple Sussex-Markle. Les autres pourront s'en passer.
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Le suppléant, du Prince Harry - www.audetourdunlivre.com
Et puis tout le monde est passé à autre chose.
La famille a repris le travail, et moi le chemin de l’école, comme chaque année à la fin des vacances d’été.
Retour à la normale, disaient les gens d’un ton enjoué.
Depuis le siège passager de l’Aston Martin décapotable de Papa, de fait, on aurait pu croire que rien n’avait changé. Ludgrove School, nichée dans la campagne émeraude du Berkshire, ressemblait toujours autant à une église rurale. (Il me revient d’ailleurs en mémoire que la devise de l’école était une citation de l’Ecclésiaste : « Tout ce que ta main trouve à faire, fais-le avec ta force. ») Cela dit, je ne connais pas beaucoup d’églises rurales qui puissent s’enorgueillir de quatre-vingts hectares de bois et de prairies, de terrains de sport et de courts de tennis, de laboratoires scientifiques et de chapelles. Sans parler d’une bibliothèque richement fournie.
Si on voulait me trouver, en ce mois de septembre 1997, la bibliothèque aurait été le dernier endroit où chercher. Mieux valait aller voir du côté des bois. Ou des terrains de sport. J’essayais de rester constamment en mouvement, de m’occuper.
J’étais en outre, la plupart du temps, seul. J’aimais bien la compagnie des autres, j’étais d’un naturel sociable, mais à ce moment-là, je ne voulais personne autour de moi. J’avais besoin d’espace.
Ce qui toutefois, à Ludgrove, n’était pas une mince affaire, avec une bonne centaine de garçons vivant en promiscuité. Nous mangions ensemble, faisions notre toilette ensemble, dormions ensemble, parfois à dix par chambrée. Tout le monde savait tout sur tout le monde, jusque dans les détails les plus intimes – qui était circoncis et qui ne l’était pas, par exemple (dans notre jargon, nous étions ainsi répartis en deux camps : les Chauves et les Casqués).
Pourtant, je ne crois pas qu’aucun de mes camarades ait jamais fait la moindre allusion à ma mère au début de ce nouveau semestre. Par respect ?
Par crainte, plus probablement.
Pour ma part, en tout cas, je me gardais bien d’en parler à qui que ce soit.
Peu après la rentrée est arrivé le jour de mon anniversaire. Le 15 septembre 1997. J’avais treize ans. La tradition à Ludgrove voulait qu’il y ait un gâteau, des glaces, et j’avais la permission de choisir deux parfums. J’ai choisi cassis.
Et mangue.
Le parfum préféré de Maman.
Les anniversaires étaient toujours de grandes occasions à Ludgrove, car tous les élèves, et la plupart des professeurs, étaient d’une gourmandise sans bornes. On allait jusqu’à se battre pour être assis à côté de l’élu du jour – à la place où on était assuré d’avoir la première et la plus grosse part de gâteau. Je ne me rappelle plus qui a décroché le pompon cette année-là et gagné le droit de s’asseoir à côté de moi.
Fais un vœu, Harry !
Vous voulez que je fasse un vœu ? Très bien. Je voudrais que ma mère…
Et alors, surgissant de nulle part…
Tante Sarah ?
Un paquet entre les mains. Ouvre-le, Harry.
J’ai déchiré le papier cadeau, arraché le ruban. J’ai regardé à l’intérieur.
Qu’est-ce que… ?
C’est ta maman qui te l’a achetée. Juste avant…
Tu veux dire à Paris ?
Oui. Paris.
C’était une Xbox. J’étais fou de joie. J’adorais les jeux vidéo.
Voilà ce qu’on raconte, en tout cas. Cette anecdote revient souvent dans les divers témoignages qu’on a pu recueillir à mon propos, si bien qu’il faudrait la prendre pour parole d’évangile, mais je ne sais absolument pas si elle est vraie. Maman avait été blessée à la tête, avait dit Papa, mais c’était peut-être moi qui avais le cerveau endommagé ? Par un mécanisme de défense, très probablement, ma mémoire n’enregistrait plus tout à fait la réalité comme avant.
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