Critiques littéraires, avis, livres gratuits, news. “Quand je pense à tous les livres qu'il me reste à lire, j'ai la certitude d'être encore heureux.” (Jules Renard) -
30 Octobre 2020
De l'autre côté du couloir, des pieds glissent sur le parquet de la chambre. Le lustre s'allume. Le bas de la porte du bureau s'éclaire. Elle est derrière, juste derrière, et pourtant, il ne peut y avoir quelqu'un derrière. À travers l'obstacle, ils s'écoutent, le vivant et le mort. Mais de quel côté est le vivant, de quel côté est le mort ?
Auteur : Boileau-Narcejac
Nombre de pages : 185
Édition : Folio policier / Gallimard
Date de parution : 1 janvier 1999
Prix : 11€ (Broché) - 6.90€ (poche) - 6.49€ (epub, mobi)
ISBN : 978-2070410248
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Boileau et Narcejac n’ont vraiment pas eu de chance avec les adaptations cinématographiques de leurs livres : ils ont inspiré des chefs d’œuvres qui ont malheureusement éclipsé le roman d’origine. C’est le cas pour D’entre les morts, qui a inspiré Sueurs froides d’Hitchcock. C’est également le cas pour le présent livre, Celle qui n’était plus. Premier roman publié sous le nom Boileau-Narcejac, en 1952, et premier succès.
L’encre en était à peine sèche qu’Henri-Georges Clouzot s’en inspire pour le scénario de son film Les Diaboliques réalisé trois ans plus tard. Et le succès du film phagocyte le roman à tel point que ce dernier a ensuite été rebaptisé du nom du film, le titre original n’étant gardé qu’en sous-titre et entre parenthèses.
Justice a été rendue au livre depuis, car dans les éditions récentes, il a repris son titre d’origine, le titre du film de Clouzot étant à son tour en sous-titre et entre parenthèses.
Il faut dire que comme dans tout bon polar, l’intrigue est très maligne. A la base, c’est une banale histoire de meurtre : un homme qui tue sa femme avec la complicité de sa maîtresse pour récupérer l’argent de son assurance-vie. Il veut maquiller le meurtre en une banale noyade, mais tout bascule quand le cadavre, qu’il avait placé dans son lavoir, disparaît. Il est difficile d’en dire plus sans gâcher l’histoire, mais les choses se gâtent pour notre assassin amateur, et il se demande s’il n’est pas en plein dans le paranormal. Le livre est écrit depuis son point de vue, on sent lentement mais sûrement l’angoisse monter en lui jusqu’au dénouement final.
Évidemment, pour ceux qui ont vu le film de Clouzot, il n’est pas difficile de deviner la fin du livre, même si le cinéaste a pris énormément de liberté avec l’histoire, puisqu’il n’en a gardé que la trame. Mais même si on en devine l’issue, on suit avec intérêt les affres du héros.
Ceux qui n’ont pas vu le film y trouveront bien sûr un plus grand intérêt. Mais s’il me fallait choisir entre découvrir cette histoire à travers la version de Boileau-Narcejac ou celle de Clouzot, j’avoue une préférence pour le film.
Dans tous les cas, ça vaut quand même le coup de lire ce roman policier bien ficelé.
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Celle qui n'était plus (les diaboliques), de Boileau-Narcejac - "www.audetourdunlivre.com"
Ravinel S'éveilla vers cinq heures, courbaturé, l’estomac lourd, le visage bouffi, les mains moites. Mais quand il se posa la question : « Qu’est devenu le corps? », la réponse vint, immédiate, évidente : « Le corps a été volé. » Et, sur le moment, Ravinel se sentit un peu tranquillisé. Il se leva, se débarbouilla soigneusement à l’eau froide, se rasa sans trop de nervosité. On l’avait volé, pardi! C'était grave, très grave, mais enfin, le danger changeait de nature. On s’arrange, avec un voleur. Il suffit d’y mettre le prix.
Les dernières fumées du sommeil achevaient de se dissiper dans sa tête. Il reprenait contact avec la chambre, les meubles, la vie. Il éprouvait ses jambes : elles étaient solides. La. maison l’entourait, familière, amicale, sans mystère. Voyons, avec un peu de sang-froid, c'est bien le diable si... On l'avait volé, quoi!... Pas à sortir de là.
Mais, à mesure qu'il examinait cette idée de plus près, des doutes apparaissaient, de plus en plus nombreux. Voler un cadavre ? Pour quoi faire ? Et quels risques pour le voleur ! Ses voisins immédiats, ils les connaissaient bien : à droite, en sortant, Bigaux, employé à la S.N.C.F., cinquante ans, le type même du petit bonhomme effacé. Son travail, son jardin, sa belote. Jamais un mot plus haut que l’autre. Bigaux cachant un cadavre! C’était grotesque. Et sa femme avait un ulcère à l’estomac. On l’aurait renversée rien qu’en soufflant dessus... A gauche, Poniatowski, comptable dans une fabrique de meubles, divorcé, presque jamais là. On disait même qu’il avait l’intention de vendre son pavillon… D’ailleurs, ni Bigaux, ni le comptable n’auraient pu être témoins de la scène du lavoir. Admettre qu’ils aient découvert le corps après coup? Mais il n’y avait pas d’accès au ruisseau. A moins d‘emprunter les terrains vagues, ou le pré d’en face. Enfin, pourquoi s’emparer du cadavre, si on ignorait le crime ?... Car il n’y avait qu’une explication au vol : le chantage. Mais nul n’est au courant de la police d’assurance. Alors ? Est-ce qu’on fait chanter un représentant de commerce ? Tout le monde sait que Ravinel gagne honnêtement sa vie, sans plus... Il est vrai que certains maîtres chanteurs se contentent de peu. Un petit fixe... une rente. Tout de même!... Sans parler du cran nécessaire. Savoir si le premier venu est capable de s'improviser voleur de cadavre. Ravinel, lui, n’aurait certainement pas eu le courage.
Il agitait toutes ces hypothèses sans former un raisonnement bien net, et le sentiment de son impuissance, de nouveau, l’accablait. Non, le cadavre n’avait pas été volé. Et pourtant le cadavre n’était plus là. Donc, on l’avait volé. Mais il n'y avait aucune raison pour qu’on l’ait volé. Ravinel sentit une petite douleur dans sa tempe gauche, et se massa le front. Pas le droit de tomber malade en un moment pareil. Mais que faire, bon Dieu, que faire?
Il tournait dans la chambre, se mordillant les joues, écrasé par la solitude. Il n'eut même pas la force de retaper la couverture du lit, toute froissée, de vider le lavabo plein d'eau grise, de ramasser la bouteille oubliée, qu'il se contenta de pousser sous une armoire, du bout du pied. Il prit son revolver, descendit l'escalier. Où aller ? A qui s'adresser ? Il ouvrit la porte. La nuit commençait de tomber. De longues traînées roses s’étiraient dans le ciel, et un avion bourdonnait quelque part. Un soir banal et solennel, qui gonflait le cœur de chagrin, de rancune, de regrets. Un soir comme celui de sa première rencontre avec Mireille, sur le quai des Grands-Augustins, tout près de la place Saint-Michel. Il fouillait dans la boîte d'un bouquiniste. Elle était là, feuilletant un livre... Des lumières s’allumaient autour d'eux, et l’on entendait le sifflet de l’agent, devant le pont. Idiot de se rappeler ces choses. Ça fait mal !
Ravinel marcha jusqu'au lavoir. Le ruisseau écumait un peu, sous le déversoir, remuant des reflets roussâtres. Une chèvre bêla dans le pré, sur l'autre rive, la chèvre du facteur. Ravinel éprouva un petit choc. La chèvre du facteur... Tous les matins, la petite l'amenait, l’attachait par une longue corde à un piquet. Tous les soirs, elle venait la chercher. Est-ce que...?
Il était veuf, le facteur. Il n'avait pas d'autre enfant. La fillette s’appelait Henriette. Elle restait, le plus souvent, à la maison, parce qu'elle était un peu simple d'esprit. Elle faisait la cuisine,le ménage. Elle se débrouillait bien pour ses douze ans.
- Je voudrais un renseignement, mademoiselle.
Personne ne l'appelait mademoiselle. Intimidée, elle n'osait faire entrer Ravinel, et lui, gêné, essayait de rattraper sa respiration parce qu'il avait couru, ne savait plus par où il devait commencer.
- Est-ce vous qui avez conduit la chèvre dans le pré, ce matin ?
La fillette rougit, tout de suite alarmée.
- Qu'est-ce qu'elle a fait?
- J'habite en face... Le Gai Logis... Le petit lavoir est à moi.
Comme elle louchait un peu, il regardait chacun de ses yeux, tour à tour, essayant de prévenir le mensonge possible.
- Ma femme avait laissé des mouchoirs à sécher... Un coup de vent a dû les emporter.
C'était un prétexte saugrenu, ridicule, mais il était trop las pour se montrer subtil.
- Ce matin… Vous n'avez rien vu flotter devant le lavoir ?
Elle avait une longue figure étroite, entre deux nattes raides, et deux dents débordaient. bien que sa bouche fût fermée, Ravinel sentait vaguement qu’il y avait quelque chose de pathétique dans leur rencontre.
- Vous attachez votre chèvre tout près du ruisseau. Vous n’avez jamais l'idée de regarder du côté du lavoir?
- Si.
- Eh bien, essayez de vous rappeler. Ce matin…
- Non... Je n'ai rien vu.
- A quelle heure êtes-vous allée dans le pré?
- Je ne sais pas.
Un grésillement s'éleva. au fond du couloir. Elle rougit davantage et tortilla son tablier.
- C'est la soupe, dit-elle. Est-ce que je peux aller voir ?
- Mais oui... Courez vite.
Elle se sauva et il entra dans le corridor, pour se dissimuler aux yeux des voisins. Il apercevait un coin de la cuisine, des serviettes étendues sur des cordes. Il aurait mieux fait de partir. Ce n'était pas très beau d'interroger ainsi cette gamine.
- C'était bien la soupe. dit Henriette. Elle a coulé dans le feu.
- Beaucoup?
- Non. Pas trop... Peut-être que papa ne sentira rien.
Ses narines s'étaient un peu pincées. Elle avait des taches de rousseur autour du nez, comme Mireille.
- Il gronde ? dit Ravinel.
Aussitôt, il regretta le mot, comprenant que la petite, malgré ses douze ans, devait avoir une expérience de vieille femme.
- A quelle heure vous levez-vous?
Elle fronçait les sourcils. tirait sur ses nattes. Peut-être cherchait-elle ses mots.
- Il fait encore nuit, quand vous vous levez ?
- Oui.
- Vous allez tout de suite conduire votre chèvre?
- Oui.
- Vous ne vous promenez pas un peu dans le pré ?
- Non.
- Pourquoi ?
Elle s’essuya les lèvres d’un revers de main, bredouilla quelque chose en tournant la tête.
- Hein ?
- J'ai peur.
A douze ans, lui aussi avait peur, quand il se rendait à l'école. L'obscurité moite, le crachin, les rues étroites, vers Recouvrance, et encombrées de poubelles. Il croyait toujours qu’on marchait derrière lui. Alors, s’il avait dû conduire une chèvre dans un pré... Il regardait la vieille petite figure déjà rongée par le scrupule et la crainte. Il voyait, soudain, le petit Ravinel, cet inconnu dont personne ne lui avait jamais parlé, auquel il n'aimait pas penser, mais qui l'accompagnait toujours, comme un témoin, et il ne trouvait plus rien à dire. S'il avait vu, lui, quelque chose flotter sur l'eau…
Pas moyen de savoir. C'était comme un secret entre eux.
- II n'y avait personne dans le pré ?
- Non... Je ne crois pas.
- Et dans le lavoir... Vous n'avez vu personne?
- Non.
Il trouva dans sa poche une pièce de dix francs, ouvrit la main de la fillette.
- Pour vous.
- Il me la prendra.
- Non. Vous trouverez bien un endroit pour la cacher.
Elle secoua pensivement la tête, puis ferma la doigts, sans conviction.
- Je reviendrai vous voir, promit Ravinel.
Il fallait bien s'en aller sur un mot confiant. sur une impression d'optimisme, faire comme s'il n'y avait ni chèvre ni lavoir. Ravinel sortit, se heurta au facteur, un petit homme sec, qui portait sa boîte en se cambrant, comme une femme enceinte.
- Bonjour, patron... Vouliez me voir? dit le facteur. C'est pour votre pneumatique, au moins.
-Non. Je… J'attends une lettre recommandée... Un pneumatique, dites-vous ?
L’autre l'observait, sous son képi à la visière cassée.
- Oui. J'ai sonné, mais personne n'a ouvert. Alors, je l’ai glissé dans la boîte. Elle est absente, la bourgeoise?
- Elle est à Paris.
Rien ne l'obligeait a répondre. mais il était humble, maintenant. Il avait à se concilier trop de monde.
-Salut ! dit le facteur qui entra et claqua la porte.
Un pneumatique ? Pas de chez Blache et Lehuédé, tout de même, il en revenait. Germain, peut-être ? Bien peu probable. A moins que le pneu ne soit adressé à Mireille.
Ravinel revenait chez lui, en suivant les rues éclairées. Il faisait presque froid, tout d'un coup, et les pensées circulaient plus vite dans sa tête. La fille du facteur n'avait rien vu, ou, si elle avait vu quelque chose, elle n’avait pas compris, et si même elle avait compris, elle se tairait. Tout le monde connaissait Mireille. Si quelqu’un avait découvert son corps, il aurait prévenu, sans aucun doute.
Mais il y avait le pneumatique. C'était peut-être le voleur qui écrivait, pour dicter ses conditions.
L'enveloppe reposait dans la boîte, couchée de biais. Ravinel vint la regarder sous la lampe de la cuisine. Monsieur Fernand Ravinel. Cette écriture !... Il ferma les yeux, compta jusqu’à dix, songea qu’il était peut-être malade, sérieusement malade. Ses yeux se rouvrirent, se fixèrent sur la suscription. Troubles de la. mémoire… de la personnalité. Il avait appris cela, autrefois, en philo, dans le vieux bouquin de Malapert... Lee personnalités alternantes, la schizophrénie... Ce n'était pas l'écriture de Mireille. Bon Dieu ! Quoi ! ce ne pouvait pas être son écriture.
L'enveloppe était soigneusement collée. Il chercha dans le tiroir du buffet, prit le couteau à découper. Il le tenait comme une arme en marchant vers la table, sur laquelle reposait l'enveloppe mauve, parmi les miroitements de la toile cirée. La pointe du couteau chercha en vain une fissure. Alors, Ravinel éventra la lettre, d'un geste sauvage, la lut une fois, d'un trait, sans comprendre.
Chéri,
Je suis obligée de m'absenter deux ou trois jours. Mais ne t’inquiète pas. Rien de grave. Je t'expliquerai. Tu trouveras des provisions dans le garde-manger de la cave. Finis le pot de confitures entamé avant d'en ouvrir un autre, et n'oublie pas de bien fermer le robinet du gaz quand tu n'as plus besoin du fourneau. Tu n'y penses jamais. A bientôt !
Je t'embrasse comme tu aimes, mon gros loup.
Mireille.
Ravinel relut, plus lentement. puis recommença. Une erreur de la poste. Mireille avait dû s'absenter au début de la semaine. Il chercha le cachet, sur l'enveloppe. Paris, 7 novembre, 16 heures. Le 7 novembre, c'était... C’est aujourd’hui ! Parbleu. pourquoi pas ? Mireille était à Paris, évidemment. Quoi de plus normal ! Quelque chose se noua dans sa gorge.
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