Au détour d'un livre

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L'Impossible retour, d'Amélie Nothomb

L'Impossible retour

 

Résumé : « Tout retour est impossible, l'amour le plus absolu n'en donne pas la clé. » Amélie Nothomb

Autrice : Amélie Nothomb
Nombre de pages : 162
Édition : Albin Michel
Date de parution : 21 août 2024
Prix : 18.90€ (Broché) - 12.99€ (epub, mobi)
ISBN :
978-2226495945

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Avis / Critique :

"Tout retour est impossible, l'amour le plus absolu n'en donne pas la clé."

Amélie Nothomb revient cette année avec, cette fois, non pas un roman, mais plutôt une tranche de vie : un voyage au Japon, le retour vers la terre de l'enfance, en compagnie de son amie photographe et amie des lapins, Pep. Pep, c'est elle qui propose à Amélie de partir et lui demande de lui servir de guide. Nous sommes en 2023, le voyage était prévu depuis 2021, mais suite à la pandémie, il n'aura lieu que trois ans plus tard, au mois de mai.

Le Japon, c'est la terre d'amour d'Amélie, c'est le pays dans lequel elle aurait aimé vivre, c'est celui qui lui rappelle de belles années, mais c'est un amour finalement impossible. Car, le Japon, c'est aussi la terre des déceptions. La sienne, d'abord. Celle de n'avoir pas su être une Japonaise de la ville, mais celle des traditions, de n'avoir pas su se fondre dans la masse des travailleurs silencieux. C'est l'humiliation racontée dans "Stupeurs et tremblements" qui la chassera du Japon aimé.

Elle y retournera à l'âge de 21 ans, et en repartira également, puis en 2012 pour le tournage du documentaire "Amélie Nothomb, une vie entre deux eaux". Finalement, c'est au travers de ce voyage que sa nostalgie va lui permettre de s'en affranchir en révélant de nouvelles facettes d'elle-même et de son regard sur cette terre sacrée et ses habitants.

Le roman débute par l'annonce de ce voyage et de l'idée de cette amie, Pep Beni (qui est ici un alias, un pseudo), de demander à Amélie Nothomb de lui servir de guide. Se sentant un peu contrainte et forcée, mais avec l'envie de renouer avec le pays du Soleil-Levant, celle qui a trouvé sa quiétude entre Paris et Bruxelles, accepte. Et c'est ainsi que nous suivons l'écrivaine en proie à ses émotions, à ses rappels de senteurs, de gastronomie, ces oublis aussi des mots, des lieux. Oublis conscients, peut-être pour se laisser à chaque fois repartir à la découverte et être éblouie ou au contraire, pour moins souffrir de cet échec de n'avoir pas su demeurer.

Ce sont donc 10 jours qui nous sont contés dans ce livre de 180 pages. Devoir guider son amie Pep, met Amélie dans tous ses états. Cela lui semble au-dessus de ses forces, mais finalement cela va bien se passer, aidé par une amie de Pep qui habite avec son mari à Tokyo et qui prendre le relais dans cette grande ville, libérant Amélie de sa charge mentale. 

On y découvre donc, des endroits caractéristiques et d'autres moins. C'est d'abord la navette à effigie d'Hello Kitty qui les mène à Kyoto, puis la découverte de l'auberge traditionnelle, le Ryokon, les bières locales, les bars, les inconforts de Pep qui est allergique aux acariens, provoquant presque un scandale, la visite du Tödai-ji, le temple des cloches à Nara, l'incident de la perte du billet qui se termine par des pleurs, Tokyo, le jardin des thés, le parc d'Ueno, les soupes de fleurs et d'udon,  

Durant ce voyage, Amélie ne boira pas une coupe de champagne, son élixir, en profitera pour lire A rebours, de Joris-Karl Huysmans. Le seul rituel auquel elle ne met pas fin, c'est l'écriture. A quatre heures du matin, même éreintée, Amélie Nothomb se fait son thé noir et écrit. Le Japon n'avale pas tout. Kyoto qui la mise nez à nez avec son incompétence qu'elle dit profonde aura au moins révélée l'auteur de "Stupeurs et tremblements". Car ce retour au Japon est une façon pour elle de renouer avec un lieu qui a profondément influencé sa sensibilité littéraire, tout en questionnant la possibilité de retrouver intact un passé révolu. 

Ce que l'on peut en retenir

Amélie Nothomb excelle quand il s'agit de parler d'elle, de dévoiler ses états d'âmes, ses failles. Elle le fait ici avec une franchise désarmante. On retrouve dans ce livre son style incisif, parfois poétique, oscillant entre humour caustique et tendresse. C'est une ode à l'amour, au Japon retrouvé, finalement ce livre. Presque une réconciliation dans la séparation subie. C'est aussi pour quelqu'un qui n'a jamais mis les pieds au pays du soleil levant, une manière de visiter quelques pans de sa culture, de ses paysages. Finalement, Amélie Nothomb n'est pas que la guide de Pep. C'est aussi la nôtre.

L'impossible retour, est donc une œuvre pleine d'émotions qui plaira aux fans d'Amélie, notamment à ceux qui s'intéressent à son rapport intime avec sa quête de soi et de son enfance.

J'ai bien aimée ce livre qui m'a réconciliée, moi aussi, avec Amélie. J'ai moins apprécié, par contre, cette amie, Pep, qui ne semble pas ici de très bonne compagnie, rechignant, tempêtant, se montrant finalement très râleuse, très "française".

Quelques pages de plus auraient, comme toujours, été bienvenues. Trop court, j'aurai aimé me laisser un peu plus transporté dans ce "L'impossible retour". Ce sera mon bémol, une fois de plus. Mais dans tous les cas, je n'ai pas regretté de l'avoir lu.

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L'impossible retour, d'Amélie Nothomb - www.audetourdunlivre.com

Extrait :

 

La dernière fois que j’étais allée au Japon, c’était au printemps 2012, à l’occasion du tournage de Amélie Nothomb, une vie entre deux eaux. Pendant dix jours, l’équipe de Laureline Amanieux m’avait filmée à Kyoto, à Kobé, à Tokyo et à Fukushima. Il s’agissait d’un reportage sur mes relations avec le Japon, qu’elles soient passées ou présentes. L’exercice s’était révélé aussi passionnant que difficile. Le plus dur consistait à éprouver des émotions aussi intenses que mes retrouvailles avec ma nounou sous le regard ininterrompu de la caméra. Cela avait eu le mérite imprévu de m’interdire de m’effondrer.

Onze années s’étaient écoulées depuis et non les moindres. Il y avait eu la pandémie, ensuite la guerre d’Ukraine avait éclaté. Mon père était mort. À mon insu, ces épreuves avaient creusé en moi une souffrance dont je ne tenais pas compte.

« Retourner au Japon te réconfortera », me dis-je. L’argument ne porta pas. Ce qui m’obnubilait, c’était l’idée d’y aller avec Pep. Non : d’être la guide de Pep sur le sol nippon. Je n’avais jamais été la guide de personne. Guider Pep me paraissait terrifiant. C’est peu dire qu’il s’agit d’une amie exigeante. Mais le plus effrayant, c’était de jouer ce rôle au Japon.

C’est mon pays préféré au monde, ma terre sacrée. La simple évocation de son nom suffit à me mettre en transe. Un tel amour ne me donne aucune compétence particulière et m’enlève tout droit à l’erreur.

– Tu parles la langue, dit Pep.

Oui. Non. J’ai parlé cette langue. Je sais qu’elle est toujours là, enfouie sous des décombres innombrables. Lors de mon dernier séjour au pays du Soleil-Levant, j’avais senti des wagons de japonais me revenir en mémoire chaque jour. Pas forcément les mots les plus

utiles ni les tournures les plus pratiques, mais les locutions auxquelles je m’étais attachée pour des motifs sentimentaux.

 

Le japonais est ma langue fantôme. Jusqu’à l’âge de cinq ans, je l’ai parlé couramment. Ensuite j’ai quitté le pays et j’ai oublié la langue. Quand j’ai eu vingt et un ans, je suis revenue au Japon et j’ai réappris, en découvrant que je n’avais pas complètement escamoté un langage d’enfant qui avait été le mien. J’ai eu une longue et importante liaison avec un jeune Tokyoïte qui se délectait de mon curieux sabir. Et puis j’ai travaillé dans une entreprise nippone à laquelle mes singulières facultés linguistiques ont inspiré une méfiance croissante, jusqu’au moment où j’y ai reçu l’ordre le plus abstrus qui fût : « Oubliez le japonais. »

J’ai essayé d’obéir. La débâcle professionnelle qui s’est ensuivie m’a convaincue de tourner la page. J’ai quitté Tokyo où j’avais, deux ans plus tôt, décidé de vivre. Retour en Belgique.

À vingt-cinq ans, je découvre un nouveau pays : la France. Les autochtones m’accueillent bien, je m’acclimate. Le japonais disparaît de ma mémoire, non sans laisser une trace incongrue que je préfère ignorer.

Il me faudra attendre l’âge de quarante-cinq ans pour rejoindre l’Empire, à la faveur du documentaire de Laureline Amanieux, et m’apercevoir que j’ai désobéi aux ordres de l’entreprise : je n’ai pas oublié la langue.

Tout se passe comme si le japonais était une marée : à mesure que je m’éloigne, descend la mer des mots. Il suffit que je revienne et la marée remonte, mon bateau est en eau.

 

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