4 Juillet 2020
Résumé : « Je crois que quelqu’un est en train d’agir comme s’il se prenait pour Dieu… »
Un appel au secours au milieu de la nuit
Une vallée coupée du monde
Une abbaye pleine de secrets
Une forêt mystérieuse
Une série de meurtres épouvantables
Une population terrifiée qui veut se faire justice
Un corbeau qui accuse
Une communauté au bord du chaos
Une nouvelle enquête de Martin Servaz
Auteure : Bernard Minier
Nombre de pages : 522
Édition : XO
Date de parution : 20 mai 2020
Prix : 21.90€ (Broché) - 13.99€ (Epub, mobi) - 24.90€ (cd)
ISBN : 978-2374481906
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Un premier meurtre est commis dans la vallée.
L'homme est retrouvé par la gendarmerie, le corps revêtu d'une pellicule de glace, le ventre ouvert, un poupon à l'intérieur. Plusieurs mois plus tard, un second assassinat a lieu. Cette fois, il s'agit d'un jeune dealer, employé municipal vu la veille par Martin Servaz, suspendu par sa hiérarchie, et qui s'est précipité sur place à la recherche de son ex petite-amie Marianne disparue depuis huit ans.
L'affaire pourrait s'arrêter là, mais elle se passe dans une vallée. Une vallée qui se retrouve bloquée par un effondrement sciemment organisé. En effet, un éboulement empêche les habitants de sortir. Et voilà qu'un troisième mort fait son apparition. Il s'agit du père de la seconde victime, un gynécologue qui avortait des prostituées. Cette fois, le ou les meurtriers lui ont coupé les testicules. Quant à Martin Servaz, il vient de découvrir son prénom écrit sur une vieille bâtisse en ruine et vient d'apprendre que Marianne, son ex, a été retenue dans une maison de la vallée.
La vallée où la population semble cacher de sombres mystères et secrets. Et si le ou les meurtriers se cachait(ent) parmi ces gens ? Que penser du comportement de la psychologue, de la maire, du professeur, du minier, du moine de la vallée ? Et les autres, qu'ont-ils à dissimuler ?
Avec "La Vallée", Bernard Minier nous sert un bon thriller, bien maîtrisé, avec une fin qui dénote, mais qui n'est pas exceptionnelle pour autant même si elle est inattendue. On s'attache aux différents personnages, et tous sont bien campés. On vit avec eux dans cette Vallée intrigante qui finit en huis clos.
Si j'ai bien aimée l'intrigue, j'ai par moment moins aimé le style rédactionnel de l'auteur, qui n'hésite pas, pour faire "plus fun" (c'est un peu la mode) de faire des phrases en omettant les pronoms, donnant un mouvement de saccade à son histoire pour marquer sûrement la tension ressentie par les personnages. Malgré ce hiatus ou bémol (chacun choisira), je me suis laissée entrainer dans l'intrigue assez facilement et j'ai plutôt passé un bon moment à lire ce thriller de Bernard Minier qui était pour moi, le premier.
J'en lirais sûrement d'autres afin de mieux découvrir les aventures et les affres de son héros, Martin Servaz.
Donc, vous l'aurez compris, même si l'on retrouve dans "La Vallée" des personnages déjà rencontrés dans d'autres histoires, rien ne vous empêche de lire celui-ci à part.
Ce livre a donc été plutôt une belle rencontre même si ce n'est pas pour moi le thriller de l'année, il n'en demeure pas moins efficace et bien traité.
Autre livre de Bernard Minier chroniqué sur ce blog :
- M, le bord de l'abîme
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Critique de "La vallée", de "Bernard Minier" - "audetourdunlivre.com"
— POURQUOI… VOUS… FAITES… ça ?
Il leva les yeux, fixa la silhouette immobile. Mais peut-être s’agissait-il d’une hallucination ? En montagne, les hallucinations sont fréquentes. Il suffisait d’une fièvre, d’une déshydratation, d’un œdème cérébral de haute altitude… ou d’une hypothermie : il grelottait.
Les alpinistes et les randonneurs évoquaient souvent la vision d’un personnage imaginaire, qui les avait un temps accompagnés. Comme celui qu’il avait devant les yeux. Mais le seau d’eau glacée qu’il reçut en pleine face n’avait rien d’un délire.
Le froid lui coupa le souffle. Son pouls et sa respiration s’accélérèrent. Il savait ce que c’était : tant qu’il frissonnait, tout allait bien, symptômes classiques d’une hypothermie légère.
En même temps, son corps devait être en train de mettre en place son mécanisme de défense : vasoconstriction, c’est-à-dire resserrement des vaisseaux sanguins au niveau des extrémités – pour préserver les organes vitaux en redirigeant le sang vers le cœur et les poumons. C’est pour cela qu’il ne sentait plus ses mains ni ses pieds.
Il tourna la tête. Contempla les versants abrupts qui cernaient le petit lac. L’épaisse couche de glace qui le recouvrait… Les lames de roche dressées sur le ciel gris… Toute cette indifférence millénaire, cette
montagne inhospitalière, qui n’offrait au regard que le hideux visage de sa mort prochaine. Car il allait mourir. Il n’avait pas le moindre doute là-dessus. De légère son hypothermie allait passer à modérée, puis à sévère et enfin à profonde – avec au bout le coma et un arrêt cardiaque. C’était inévitable. On lui avait ôté tous ses vêtements. Il était étendu, nu comme un ver – à part le bandeau rouge qui maintenait ses dreadlocks en arrière –, les épaules, le dos et les fesses à même la glace, et la température était tombée bien en dessous de zéro. Il devait faire dans les – 15 °C.
je vous en priiieeeee je vous en priiiieeee je vous en priiieee
Est-ce qu’il avait prononcé ces mots ? Ou était-ce seulement son esprit qui l’avait fait ?
Il commençait à perdre la notion du réel.
Très mauvais signe, ça…
Il s’enfonçait petit à petit dans la brume qui sépare le réel de la confusion mentale.
LA MÊME BRUME qui masquait entièrement le paysage quand il s’était élancé, ce matin.
Il était parti dans le brouillard et celui-ci avait refusé de se lever pendant une bonne partie de la matinée. Il avait failli renoncer – puis il s’était dit que, de toute façon, il n’y avait rien d’autre à faire dans la vallée un dimanche d’hiver.
Il avait continué de grimper, le visage étiré par le froid, dans ce demi-jour où le blanc de la neige, le dôme gris du ciel et les arêtes de la roche étaient les seuls repères. Puis il avait atteint l’étage de la forêt, et le brouillard s’était quelque peu dissipé. Les silhouettes des jeunes sapins montaient la garde à travers un voile diaphane. Il s’était arrêté un instant. Malgré le froid, il suait à grosses gouttes. C’est alors qu’il l’avait entendu. Le bruit. Le craquement. Un peu plus bas. Une branche sèche qui explose tel un pétard. Comme si une grosse chaussure marchait dessus.
— Hé ho ! Y a quelqu’un ?
Pas de réponse. C’était peut-être un animal. Mais quel animal a le pas assez lourd ? Un ours ? Il avait passé des milliers d’heures dans ces montagnes sans jamais croiser le plantigrade.
Il avait quitté l’abri du bois pour attaquer la partie la plus escarpée. Ce n’était pas une randonnée bien difficile. En été, des tas de touristes
atteignaient le lac en trois petites heures, mais en hiver la piste était déserte – et il aimait cette solitude.
Plus haut, là où le froid augmentait, les derniers pins à crochets faisaient preuve d’une vigueur supérieure à celle de leurs congénères. Il en allait des arbres comme des hommes : il y avait les champions et les autres. L’inégalité, l’injustice sont la règle au sein de la nature comme au sein de l’espèce humaine. Kamel ne croyait pas à l’égalité. Il croyait au conflit, à la compétition, à la survie du plus fort. Il ne se doutait pas, à ce moment-là, qu’il lui restait moins de quatre heures à vivre.
Qu’aurait-il fait s’il avait su ? Que ferait-on si on savait ? Mettrait-on de l’ordre dans nos affaires ? Demanderait-on pardon ? À qui ? De quoi ? Se repentirait-on de nos mauvaises actions ? Il avait fait des choses abominables dans sa vie, sans l’ombre d’un remords ni d’une hésitation. Et il les referait si nécessaire. C’était dans sa nature : celle d’un homme dépravé et cruel, l’autre l’avait bien senti. Il avait tout de suite compris à qui il avait affaire en le voyant.
Le brouillard s’était reformé, plus compact que jamais, et il avait cru s’être perdu en ne trouvant pas le glacier. Pourtant, la dalle de granit qui en marquait la limite basse l’année dernière était là, comme les années précédentes. Kamel avait pigé ; il avait retrouvé le glacier un peu plus haut : plusieurs étés exceptionnellement chauds et des automnes trop doux l’avaient fait battre en retraite. Chronique d’une mort annoncée : dans vingt ou trente ans, il n’en resterait rien. Et les villes dans la plaine seraient aussi étouffantes qu’Oran au cœur de l’été.
Mais, pour l’heure, il était allongé sur la glace – et le froid changeait ses joues en pelotes d’aiguilles, figeait son visage en un masque qui évoquait un abus de chirurgie esthétique. Il inspira à fond. Puis il perdit momentanément le contact. Quand il revint à lui, les grelottements avaient cessé.
Mauvais, ça. La disparition des frissons signifiait que sa température interne était tombée en dessous de 31 °C. Il entrevit une silhouette penchée sur lui.
— Pourquoi… vous… faites… ça ? geignit-il, mais la moitié des mots ne franchit pas la barrière de ses lèvres gercées.
Il essaya de bouger la nuque, en fut incapable. Autour de sa tête, le bandeau s’était durci en une couronne solide. Son corps lui-même était recouvert d’une pellicule de glace qui se craquelait chaque fois qu’il essayait de remuer. Mais bientôt, les seaux aidant, cette pellicule serait si épaisse qu’il se trouverait prisonnier d’un scaphandre aussi rigide que mortel.
Il devait y avoir un trou quelque part dans la glace, un peu plus loin, où le seau était régulièrement rempli.
Soudain, il fut pris d’une bouffée de chaleur. Comment était-ce possible ? Puis il se souvint que c’était l’un des effets paradoxaux del’aggravation de l’hypothermie : les muscles responsables de la vasoconstriction finissaient par se relâcher. Résultat, le sang affluait de nouveau vers les extrémités.
Son pouls avait ralenti. Bradycardie. Chute de la tension. Les signes se multipliaient…
Quand il était parvenu au refuge – en vérité, une simple cabane en pierre et ardoise au bord du lac –, il avait décidé de se reposer un peu avant de redescendre : ce n’était pas un jour à s’aventurer sur le pic du Gendarme.