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1 Octobre 2023
Résumé : Elle est encore jeune, un peu connue, mais déjà lasse. Elle parle d'amour sur les plateaux de télévision, donne des conseils éclairés, mais peine à trouver du sens à sa propre histoire. Ses pas la guident malgré elle vers l'île Saint-Louis près de laquelle elle a emménagé après une rupture difficile. Dans un café de l'île, où elle a pris l'habitude de commencer ses journées, elle fait une rencontre qui va bouleverser sa vision du monde, de l'amour, et qui changera sa vie à jamais.
Auteure : Sabrina Philippe
Nombre de pages : 286
Éditeur : Eyrolles
Date de parution : 28 janvier 2017
Prix : 14.90€ (Broché) - 8.30€ (Poche)
ISBN : 978-2212566109
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Elle venait d'emménager dans son nouvel appartement après la séparation avec son mari qui l'a quitté pour une autre femme. Elle est psychologue, intervient à la télévision dans une grande émission animée par un animateur emblématique que l'on reconnaitra sous les traits de Jean-Luc Delarue. Sa spécialité ? Parler d'amour. Mais voilà, Sabrina est au fond du trou quand elle décide d'aller prendre un café, près de la Seine, à l'angle d'un quai, un jour de septembre. Là, elle remarque une femme, les yeux bleus comme elle, mais avec une vingtaine d'années de plus. Leurs regards se croisent, quelque chose se passe. Si le contact ne se fait pas tout de suite, au fil des jours l'habitude de la rencontre fait que le lien s'établit. Sabrina s'installe à la table de la femme et d'entrée de jeu, celle-ci semble discerner chez la psy sa détresse. Elle lui propose alors de lui raconter une histoire d'amour, son histoire, ou plutôt l'histoire de deux âmes-sœurs qui se retrouvent pour mieux ou mal se séparer. L'étrangère livre à Sabrina en trois jours sa rencontre avec cet être exceptionnel qui a jalonné une partie de son existence sans en faire réellement partie pour autant. Du moins, dans cette vie...
L'âme-sœur, est-ce l'amour ou bien plus encore ? Ou finalement autre chose que l'on ne soupçonne pas ?
Sabrina Philippe se penche sur ce thème qui est à la fois empreint de mysticisme, mais aussi d'émotion, en partant de l'histoire d'une femme que l’héroïne rencontre dans un café au moment où elle-même vit très mal la séparation. C'est une véritable biographie que nous lisons et au départ, le lecteur pense avoir affaire à une très belle histoire d'amour. Il n'en est rien. Sabrina Philippe amène son sujet lentement en partant des prémices, c'est-à-dire de l'histoire de cette femme avec sa naissance en Pologne avant la Seconde Guerre mondiale, la perte de sa mère, la non-connaissance du père, l'arrivée en France, le placement en foyer, son début de vie sociale, ses premiers amours, jusqu'à la rencontre furtive d'un homme. L'Homme avec un grand H, celui avec ses boucles brunes, son profil léonin, et cette sensation de le connaitre, de ne faire qu'un avec lui. On imagine alors que cette évocation va nous faire voyager au coeur d'une romance folle, mais il en sera tout autre. Car, au contraire, il s'agit de souffrance qui s'installe. La soif de l'autre, l'attente, et cette connexion incroyable entre deux âmes dont l'une sait le pourquoi de cette souffrance, quand l'autre pense qu'il est dû au manque. C'est l'heure de l'apprentissage pour la femme, de la compréhension, et par ce truchement Sabrina Philippe nous offre une réponse à la question de l'âme-sœur. Qu'est-ce que c'est ? Comment la reconnait-on ? Pourquoi sommes-nous sur Terre ? Quelle est notre mission ? Avons-nous tous une âme-sœur ?
La réponse se gagne avec la patience que demande la lecture de ce livre et les révélations que nous apporte la femme du café. Il faudra au lecteur s'abreuver de cette vie, la découvrir, effeuiller ses pans pour parvenir à la fin par effleurer le secret de cette âme-sœur.
C'est fait avec délicatesse, parfois avec lenteur et longueurs, et on se demande d'ailleurs où cela va nous mener, car la rencontre avec l'homme aux traits léonins tarde à arriver. Et ensuite, les explications viennent elles aussi par touche, nous obligeant à poursuivre la lecture. Cela peut être un effort d'ailleurs pour certains, car il y a peu de dialogues, mais pour autant, c'est bien écrit et on s'attache à l'histoire de cette femme et au message que veut nous faire passer l'auteur par son intermédiaire, c'est-à-dire notre but sur Terre.
Ce livre est à sa manière un voyage initiatique.
On trouvera à la fin de l'ouvrage, les poèmes de l'héroine.
Sabrina Philippe nous énumère également le nom de quelques couples qui selon elles, sont des âmes-sœurs. Elle parle aussi brièvement des précurseurs qui ont ouvert le champ du possible sur le sujet à l'instar d'Edgar Cayce.
Tu verras, les âmes se retrouvent toujours quelque part résonnera donc chez certains, chez d'autres pas du tout. Il s'avérera pertinent surtout pour ceux qui se questionnent sur l'âme, sur la spiritualité. Pour les autres, ils le trouveront long, ennuyeux par moment et décrocheront certainement.
A voir donc selon vos aspirations du moment.
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Tu verras, les âmes se retrouvent toujours quelque part,de Sabrina Philippe - www.audetourdunlivre.com
«Ce jour-là commença comme les autres. J’avais pris l’habitude dès mon installation sur l’île de venir ici, le matin, boire un café avant de partir travailler. C’était un établissement un peu plus traditionnel qu’il ne l’est aujourd’hui, mais le bar était au même endroit, juste là. Je m’y asseyais toujours, sur un tabouret en bois. Je vous l’ai dit? Je ne sais plus… Mon nouveau travail me plaisait, je pouvais y utiliser toutes mes facultés intellectuelles. Je devais faire des synthèses de l’actualité pour des journalistes plus chevronnés, mais je conservais une activité rédactionnelle en tant que critique littéraire. De ce fait, la littérature revint emplir ma vie, une vie que je trouvais néanmoins creuse. Des amitiés que j’avais pu lier ces dernières années, il ne me restait que deux proches, à qui je parlais de temps à autre. Mon existence peu traditionnelle m’avait en effet coupée de certains milieux, les plus bourgeois notamment.
Pour tromper cette vie solitaire, j’avais voulu faire l’acquisition d’un piano. Mais dans le magasin, au moment de le régler, je me souvins que j’en avais déjà un. J’avais oublié le cadeau que mon mari m’avait fait juste avant notre union, seul présent que j’avais accepté de conserver après sa mort, précisant à ses parents que je viendrais le chercher plus tard. J’hésitai cependant à les contacter après ces longs mois de silence. Je savais que mon appel serait douloureux pour eux comme pour moi.
Je m’y résignai cependant, car en refusant le seul bien que j’avais accepté qu’ils me lèguent, je les offensais sûrement. Après un bref contact téléphonique où je saisis toute la détresse qui était la leur, et qui n’avait fait que s’amplifier avec le temps, le piano fut livré quelques jours plus tard. En l’ouvrant, j’y trouvai une enveloppe avec un message que je lus plusieurs fois, ne croyant pas qu’il soit possible d’écrire ces mots:
«Ce piano dans notre salon est aussi stérile que vous l’avez été dans la vie de notre fils.»
Cette phrase me plongea dans un profond désarroi. Je comprenais cependant qu’avec le temps, toute leur colère s’était figée sur moi, seule personne connue pour avoir partagé la vie de leur fils. J’étais la seule qui pouvait être tenue pour responsable de cet événement imprévisible, celle qui était passée dans leur existence sans laisser de trace, sans rien laisser, pas même un enfant.
Il ne me restait donc rien, rien ni personne, à part ce piano couleur ivoire. J’étais restée des années sans jouer, et mes doigts avaient perdu de leur souplesse, mais j’eus plaisir, malgré ce triste constat, à retrouver le son de l’instrument. Et c’est d’une façon studieuse, comme je l’avais appris, que je me mis à déchiffrer mes anciennes partitions.
Après deux ou trois semaines dans mon nouvel appartement, j’avais trouvé un rythme qui trompait doucement mon ennui. Je me rendais au café le matin, puis je partais travailler en
métro. Je rentrais le soir avec un roman sous le bras, mes devoirs du jour en quelque sorte. Je soupais, je m’exerçais au piano, et comme souvent le sommeil ne venait pas, je lisais parfois jusqu’à l’aube. La fatigue m’aidait à supporter la monotonie de ces journées.
Et ce matin-là, rien ne fut différent, ni mon humeur morose, ni le café fumant. Ce jour-là, j’étais campée sur ce même tabouret. Ce jour-là, il choisit d’apparaître.
Il entra coiffé d’un chapeau étrange, une sorte de vieux panama beige, qui couvrait sa chevelure brune et bouclée, comme un personnage de roman, et moi qui étais spectatrice de ma vie, je n’en fus pas même étonnée. Il pénétra dans la salle d’un pas assuré et dansant, mais je ne vis pas son visage. Je vis ses mains. Ses mains puissantes, ses mains d’homme, ses mains mates, posées là sur le zinc, ses mains d’une beauté sans pareille, parfaites et noueuses, ses mains qui attendaient de saisir la tasse, qui cherchaient de la monnaie, ses mains tranquilles. Ces mains racontaient une histoire, une longue histoire, celle de sa vie, que je devinais riche et chaotique comme ces veines qui les parcouraient dans une logique qui n’appartenait qu’à elles. Ces mains projetaient sa force, mais aussi ses faiblesses, avec leurs paumes blanches et lisses. Tourmentées et tranquilles tout à la fois, ces mains racontaient déjà des voyages et des trêves…
Cette vision me plongea dans un chaos que je ne peux décrire, aujourd’hui encore. De tout temps, j’avais scruté les mains des hommes que je rencontrais, et la vision de ces doigts, de ces paumes me décevait toujours. J’avais cherché ces mains sans le savoir, et maintenant qu’elles étaient là, devant moi, qu’elles se mouvaient, je me sentais perdre pied avec la réalité. Ces mains ne pouvaient pas exister. J’éprouvai d’abord comme une sorte de malaise que je n’associai pas tout de suite à cette découverte. Ma conscience tétanisée empêchait toute construction logique. Je sentis juste mes forces m’abandonner au fil des secondes qui s’égrenaient comme des heures, mon sang se retirer de mon corps telle une vague prenant son élan avant de s’échouer.
Puis il y eut sa voix, une voix assurée et grave, avec un soupçon d’ironie qui lui conférait une certaine élégance. Je ressentis comme une décharge produite par ces mains, par cette silhouette et les sons qui s’en échappaient. Cette puissance d’attraction me secoua, et je tentai tant bien que mal de rester droite sur ce tabouret qui tanguait.
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