Hors limites, de Val McDermid

Roland Brown quittait sa maison de Scotlandwell très en avance pour parcourir à vélo la dizaine de kilomètres qui le séparaient de son bureau, à Kinross. À vrai dire, il partait exagérément tôt afin de s’épargner l’enfer d’un petit-déjeuner avec ses trois enfants. Ceux des autres semblaient s’entendre relativement bien, mais sa fille et ses deux fils s’étaient toujours querellés et ça n’avait fait qu’empirer sous l’effet des hormones, à leur entrée dans l’adolescence. Ça commençait dès le réveil et ça ne s’arrêtait plus jusqu’à l’heure du coucher. Moment qui constituait une autre source de perpétuels conflits. Il était récemment arrivé à la conclusion que même s’il aimait ses enfants – du moins, le croyait-il – il ne les supportait pas. Cette prise de conscience, il ne pouvait la partager qu’avec les oiseaux et la flore sur le chemin qui le menait au travail.

Eux ne le jugeaient pas, contrairement aux humains.

Il roulait donc à vive allure le long du sentier du Loch Leven tout en ressassant son mécontentement, évacuant sa rage à chaque coup de pédale. Quand il arrivait au bureau, il était calme et détendu, prêt à s’atteler aux problèmes d’impôts et aux déclarations de TVA de ses clients.

À cette heure matinale, c’était un trajet tranquille. Par temps calme, il y avait toujours des gens qui promenaient leur chien, le saluaient d’un signe de main ou de tête quand il passait à toute allure. L’été, il croisait occasionnellement des cyclistes en vacances. Mais généralement, il n’y avait que lui et les pensées qu’il ne pourrait jamais partager avec sa progéniture ingrate, malpolie et égoïste. Des gens affirmaient que c’était la faute des parents, mais Roland refusait d’accepter que sa femme et lui eussent mal éduqué leurs enfants. Certains individus étaient méchants par nature.

Il prit un long virage, le loch sur sa gauche, le soleil matinal frappant son épaule tandis qu’il émergeait d’un petit bois. Il apercevait devant lui une clairière avec un banc qui offrait un panorama sur le loch et les Lomond Hills. Une silhouette était recroquevillée sur le banc. N’ayant jamais vu personne assis là auparavant, Roland fut surpris d’y trouver quelqu’un en ce matin de printemps particulièrement frisquet. Le banc devait être couvert de rosée.

En se rapprochant, il remarqua que l’homme était plus avachi que recroquevillé. Avait-il été victime d’un malaise ? Était-ce la raison pour laquelle il avait eu besoin de s’asseoir ? Avait-il besoin d’aide ?

Pendant une fraction de seconde, Roland envisagea de continuer sa route en se persuadant qu’il n’y avait rien là qui sortait de l’ordinaire. Mais c’était fondamentalement quelqu’un de bien, donc il ralentit pour s’arrêter.

— Ça va ? lança-t-il en s’approchant avec son VTT haut de gamme.

Pas de réponse. Il pouvait voir à présent que la tête de l’homme était penchée de façon bizarre et ses cheveux semblaient recouverts d’une substance brunâtre et poisseuse. Roland se rapprocha, son cerveau refusant d’enregistrer ce qu’il voyait. Et puis il dut se rendre à l’évidence et lâcha son vélo. Il se mit à vomir quand il comprit que cet homme ne se relèverait jamais.

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