23 Mars 2016
Résumé :
Constance étant oisive, on va lui trouver de quoi s’occuper. Des bords de Seine aux rives de la mer Jaune, en passant par les fins fonds de la Creuse, rien ne devrait l’empêcher d’accomplir sa mission. Seul problème : le personnel chargé de son encadrement n’est pas toujours très bien organisé.
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Auteur : Jean Echenoz
Nombre de pages : 312
Edition : Editions de Minuit
Date de parution : 1er janvier 2016
Prix : 18.50 euros (Broché) - 12.99 euros (epub)
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Avis / Critique :
Prenons une femme, vaguement mariée à un homme qu'elle voit de moins en moins et avec qui il n'est plus question d'amour depuis longtemps. Elle traîne son ennui dans les rues de Paris.
Prenons deux barbouzes : un vieux général qui a oublié de partir en retraite et un ses hommes de main. Ces deux-là embarquent celle-ci - malgré elle, naturellement - dans une aventure peu commune qui va l'emmener d'abord en Creuse, puis en Corée du Nord.
Ajoutons à cela quelques personnages variés, tels qu'une ex-star de la pop, son frère avocat en vue, deux pieds nickelés qui passent du statut de ravisseur à celui de garde du corps, un adepte de la fellation… et faisons croiser tous ces personnages au hasard d'un destin facétieux.
Laissons raconter le tout par un narrateur qui use et abuse de la première personne du pluriel et qui prend de temps en temps le lecteur à témoin avec humour et détachement - c'est d'ailleurs afin de restituer cette façon de raconter un peu particulière que nous essaierons de l'imiter au cours de cette critique, avec moins de talent, cela va de soi.
Tout cela nous donne un livre qui se lit avec plaisir, qui fait souvent rire, d'un rire de bon aloi. Il ne s'agit pas de se décrocher la machoire, tout de même.
Certes, l'auteur n'a pas trouvé la touche « guillement » sur le clavier de son ordinateur, ce qui donne aux dialogues, noyés dans le texte, un aspect un peu curieux. A moins qu'il ne s'agisse d'un parti-pris, dans ce cas nous nous permettrons de nous interroger sur la valeur ajoutée d'un tel procédé.
De plus, malgré toute la loufoquerie des situations et le ton décalé de la narration, on reste un peu en dehors de cette histoire : il y manque peut-être le grain de folie qui pourrait en faire un chef d'oeuvre.
Reste un livre qui nous fera passer un bon moment, une petite sucrerie, ce qui n'est quand même pas courant aux éditions de Minuit.
Critique faite par Erik V.
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Extrait :
Je veux une femme, a proféré le général. C’est une femme qu’il me faut, n’est-ce pas.
Vous n’êtes pas le seul dans ce cas, lui a souri Paul Objat. Épargnez-moi ces réflexions, Objat, s’est raidi le général, je ne plaisante pas là-dessus. Un peu de tenue, bon Dieu. Le sourire d’Objat s’est dissous : Je vous prie de m’excuser, mon général. N’en parlons plus, a dit le gradé, réfléchissons.
Nous ne sommes pas loin de midi. Les deux hommes réfléchissent, assis de part et d’autre d’un secrétaire métallique vert, vieux modèle réglementaire à caissons derrière lequel se tient le général. Le plateau de ce meuble n’est occupé que par une lampe éteinte, une boîte de cigarillos Panter Tango, un cendrier vide et un sous-main en buvard très ancien, fort effiloché, qui semble avoir épongé puis conclu nombre d’affaires depuis, disons, le dossier Ben Barka. Le secrétaire vert occupe le fond d’une pièce austère dont la fenêtre commande une cour de caserne pavée, à part lui se trouvent deux chaises en tubulures et Skaï, trois armoires de classement à dossiers suspendus, une tablette supportant un vieil et gros ordinateur malpropre. Tout cela ne date pas d’hier et le fauteuil du général n’a pas l’air bien douillet, ses accotoirs sont oxydés, ses coins fendillés laissent distinguer, voire fuir par lambeaux, son infrastructure en polyuréthane de la première génération.
Les coups de midi ont fini par sonner au clocher, tout proche, de Notre-Dame-des-Otages. Le général s’est emparé d’un cigarillo, l’a observé, massé, humé, puis l’a rangé dans son étui. Une femme, a-t-il répété à voix basse, se parlant à lui-même. Une femme, a-t-il haussé le ton, mais pas seulement. Surtout pas une stagiaire comme on en trouve partout. Quelqu’un d’absolument étranger aux éseaux, voyez-vous ? Pas tout à fait, a dû admettre Objat. Eh bien une innocente, quoi, a résumé le général. Qui ne comprend rien à rien, qui fait ce qu’on lui dit de faire et qui ne pose pas de questions. Plutôt jolie, si c’est possible.
Cela fait beaucoup de critères, a fait valoir Objat, ça ne va pas être facile à trouver. Je sais, a reconnu le général. Il a encore entrouvert sa boîte de Panter Tango, l’a considérée avec affection puis refermée délicatement, Paul Objat laissant traîner ses yeux sur les murs de la pièce, plus repeints depuis longtemps, et dont une bonne surface est constellée de documents divers : photographies plus ou moins nettes de personnes, de choses, de lieux souvent reliées par des flèches tracées au feutre, pinces double clip maintenant des fiches et des schémas abscons, coupures de presse, listes de noms, cartes géographiques barrées de fils que fixent des épingles de signalisation multicolores. Un portrait officiel du président de la République. Rien de personnel : pas de photos de famille, de cartes postales envoyées par des collègues en vacances, de reproductions de Van Gogh et autres foutaises.
Faisant fi de nos obligations de réserve ainsi que du secret défense, précisons d’abord l’identité de l’officier supérieur. Général Bourgeaud, soixante-huit ans, ancien du service Action – planification et mise en œuvre d’opérations clandestines –, spécialisé dans l’infiltration et l’exfiltration de personnalités sensibles dans un but de renseignement. Visage abrupt et regard sec, mais ne nous attardons pas : nous reviendrons plus tard sur son apparence. Au vu de son ancienneté, sa hiérarchie a peu à peu allégé ses responsabilités même si, eu égard aux services rendus, on lui a laissé l’usage de son bureau, de son planton, l’intégralité de son traitement mais pas son véhicule de fonction. N’entendant pas être entièrement mis au rancart, Bourgeaud continue cependant à monter en douce quelques opérations pour ne pas perdre la main. Pour s’occuper. Pour la France.
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