14 Août 2022
Résumé : Les Promises, ce sont ces grandes Dames du Reich, belles et insouciantes, qui se réunissent chaque après-midi à l'hôtel Adlon de Berlin, pour bavarder et boire du Champagne, alors que l'Europe, à la veille de la Seconde Guerre Mondiale, est au bord d'imploser.
Ce sont aussi les victimes d'un tueur mystérieux, qui les surprend au bord de la Sprée ou près des lacs, les soumettant à d'horribles mutilations...
Auteur : Jean-Christophe Grangé
Nombre de pages : 656
Édition : Albin Michel
Date de parution : 8 septembre 2021
Prix : 23.90€ (Broché) - 14.99€ (epub, mobi) - 0€ (audio, essai audible)
ISBN : 978-2226439437
ou sur le site des librairies indépendantes
__________
Le sujet donne envie de se plonger dans ce livre conséquent, puisqu'il fait 656 pages. On se dit également que le nom de Jean-Christophe Grangé est synonyme de qualité et donc que l'on va passer un bon moment à lire ce thriller qui se passe au cœur du Berlin de la Seconde Guerre mondiale.
Bon, il faut bien le dire dès le premier tiers du livre, il faut s'accrocher pour continuer sa lecture, car il ne se passe pas grand-chose. On suit Simon, le psychanalyste dans sa vie de maitre-chanteur de grandes dames, femmes des pontes du Reich. Toutes sont ses maitresses et de toutes, il enregistre leur psychanalyse dans lesquelles elles révèlent leurs secrets les plus intimes. Et puis voilà que trois d'entre elles tombent sur un assassin au "visage de marbre". Elles sont tuées, mutilées par cet homme qui semble se déplacer telle une ombre.
La question est donc : qui est-il et pourquoi agit-il ainsi ?
Un homme de la Gestapo se met alors sur sa trace et vient interroger Simon. Dans un premier temps, celui-ci ne lui parle pas des rêves de ces dames dans lesquels elle voyait un "homme de marbre", mais il décide de changer d'avis quand une de ses dernières maitresses est elle aussi assassinée par le monstre.
Le Gestapiste aidé alors par Simon et par la psychiatre alcoolique Emma, droguée et directrice désabusée de l'hôpital psychiatrique où se trouve le père du gestapiste se mettent en chasse de l'assassin. La psychiatre, qui a pondu une thèse sur les tueurs en série fait le rapprochement avec un homme fétichiste, assassin, qui a écopé de 20 ans de prison avant la Première Guerre mondiale. L'homme qui a combattu dans les tranchées s'est retrouvé le visage mutilé, mais a survécu et pris une fausse identité. Est-il l'assassin de l'amie d'Emma, Ruth, celle justement qui fabriquait des masques pour les mutilés de la Grande Guerre ?
Je l'ai dit, il faut patienter un bon tiers du livre (soit près de 200 pages) pour que l'action se mette en place et que la lecture devienne intéressante et prenante. Nous suivons alors le déroulé de l'enquête des trois protagonistes de l'histoire qui vont au départ aller de conjonctures en conjonctures avant d'avoir chacun à leur tout leur théorie sur le criminel et le pourquoi de ses crimes. C'est aussi pour l'auteur, l'occasion de nous faire découvrir les débuts du 3ème Reich (nous sommes en 1939), la Gestapo qui met la frousse à tous et qui est composée de soudards, les expériences médicales d'un scientifique qui inventent des pratiques pour se débarrasser des handicapés mentaux, qui inoculent des radiations à des Roms et Gitans pour les empêcher d'enfanter, les Lebensborn, ces fabriques à bébé arien, le fanatisme de certaines femmes à l'égard d'Hitler, et les mésaventures des trois personnages principaux de Grangé. D'ailleurs, ces trois personnages sont tous bien décrits, entre le Gestapiste à l’œil borgne, mais qui cache un certain sens de l'honneur, un psychanalyste gigolo et maitre-chanteur, et une psychiatre qui se perd dans ses vices que sont l'alcool et la drogue, le lecteur y trouvera son dû.
Mais voilà, alors que l'on a enfin l'impression que le meurtrier est découvert, Grangé nous emmène sur une seconde piste, et puis après que ces personnages aient mis la main sur ce second suspect, voilà que l'on repart pour une troisième traque. Le lecteur ne sait plus trop où donner de la tête, ne sait plus s'il faut continuer à lire, car c'est long, très long, noyé sous les descriptions, des situations qui n'apportent rien à l'ensemble, et finalement, on n'attend qu'une chose : que l’énigme soit enfin résolue.
Le plus intéressant dans l'histoire, quand on referme ce livre, ce n'est pas le mobile du meurtrier, ni le meurtrier lui-même, mais les protagonistes des "Promises" que l'on trouvent plutôt attachant. On comprend à la fin du roman quand les actes odieux des victimes sont énoncés, que Grangé s'est inspiré des vraies femmes nazies.
C'est mon premier livre de Jean-Christophe Grangé et je pense que je suis tombée sur le plus long et l'un des plus mauvais. Sincèrement, ce roman aurait gagné en action, en fluidité s'il avait été élagué de trois cents pages au moins. La seule chose qui m'ait plu finalement, ce sont les personnages et ce que j'ai pu apprendre de l'environnement de cette année 1939 dans une Allemagne Nazie qui va s'étendre ensuite sur l'Europe.
Sinon, pour le reste, je suis déçue. Pas sûre donc de relire un Grangé de sitôt. Je me contenterai de regarder les films tirés de ses livres et la série "Les rivières Pourpres" également tirée pour certains des épisodes de ses livres.
________________
Les promises, de Jean Christophe Grangé - "www.audetourdunlivre.com"
– Tout se passe à la campagne. Elle arrive un matin d’hiver.
– Vous avez identifié la région ?
– Non. Je vis à Berlin depuis toujours et je déteste quitter la ville.
– Cette petite fille, décrivez-la-moi.
– Elle porte l’uniforme de la Bund Deutscher Mädel, avec sa cravate noire, sa jupe longue, son écusson frappé de l’aigle du Reich. Je la vois s’approcher dans la brume. Elle me dit : « Je viens de la part d’Hitler. »
– C’est aussi direct ?
– Oui. Hitler semble être quelqu’un de sa famille, ou un proche, je ne sais pas. C’est absurde. Tout au long du rêve, chaque détail revêt un caractère étrange, inexplicable.
– C’est toujours comme ça dans les rêves, non ?
Simon Kraus lui adressa un sourire qui se voulait complice. La femme ne le lui rendit pas. Elle était belle, élégante, richement vêtue. Comme toutes les autres.
– Continuez, s’il vous plaît.
– Elle s’approche encore et je vois mieux son visage. Elle a le teint très pâle et la peau grêlée. Ses cheveux sont blonds. D’un jaune… désagréable. Je ne parviens pas à les regarder.
– Désagréable : qu’est-ce que vous voulez dire ?
– Ils ont la couleur de… l’urine. C’est ce que je me dis dans mon rêve : « Cette fille a des cheveux couleur de pisse. » J’en ressens une violente nausée.
Simon ne prenait jamais de notes. Un micro dissimulé sous son bureau enregistrait chaque séance. En revanche, il aimait crayonner, en douce, les portraits de ses patientes.
Celle-ci était nouvelle. Un défi pour le dessinateur amateur qu’il était. Hauts sourcils (faux, les vrais étant épilés) évoquant des accents circonflexes, petite bouche en pincée de sucre, nez mutin, mains longues et fines… Concentrons-nous.
– Pendant qu’elle me parle, je remarque plusieurs détails. D’abord, elle tient une pelle à la main. Ensuite, il y a une brouette à ses côtés. Sans doute l’a-t-elle apportée, je ne sais pas…
Il crayonnait toujours, le carnet incliné vers lui, de manière à ce qu’on ne puisse voir ce qu’il faisait. Il avait l’habitude de ce genre de récit. On venait dans son cabinet pour se confier, décrire ses problèmes, ses névroses – et surtout raconter ses rêves.
Simon Kraus était psychiatre, sans doute l’un des meilleurs de sa génération, mais il préférait se présenter comme un psychanalyste – même si le mot était devenu dangereux, prêter l’oreille aux angoisses de ces dames était bien plus lucratif.
– Vous m’écoutez, docteur ?
Elle le fixait de ses yeux gris qui, malgré leur vivacité, semblaient usés, délavés comme des galets au fond d’une rivière. La fatigue sans doute. En août 1939, à Berlin, personne ne dormait d’un sommeil réparateur.
– Je vous écoute, madame… (il jeta un œil sur sa fiche) … Feldman.
Durant quelques secondes, elle observa le décor. Simon avait tout conçu lui-même, afin justement de rassurer ses patientes (il n’accueillait que des femmes). Des murs peints, blanc cassé, un fauteuil « éléphant » en cuir brun et une méridienne en guise de divan, un épais tapis de laine aux motifs Kandinsky qui vous donnait l’impression de marcher sur des nuages, une bibliothèque vitrée dans laquelle il avait soigneusement placé ses ouvrages de référence, et surtout, son fameux bureau Art déco à caissons sous lequel, à l’abri des regards, il avait coutume de se déchausser.
– J’aperçois dans la brouette un tas de cendres. Dans la lumière de l’aube, cette masse forme une tache pâle qui rappelle le visage de la fille… Malgré le brouillard, tout a l’air desséché : la cendre, la terre piquetée de givre, la peau de la gosse… Même sa voix. Comme si elle était le produit d’un mécanisme rouillé…
Simon avait presque achevé son portrait. Pas mal. Il releva les yeux.
– Revenons à cette pelle. Que fait la jeune fille avec cet… outil ?
– Elle me la tend et m’ordonne de creuser.
Derrière cette scène, Simon ne voyait que la banalité de la peur qui s’était emparée de chaque Berlinois. Depuis l’avènement du nazisme bien sûr, et même auparavant, sous le régime de Weimar…
Ce qui intéressait le psychiatre, c’était le travail souterrain de la dictature sur les consciences. Le NSDAP, le parti nazi, ne se contentait pas de contrôler les cerveaux éveillés, il s’insinuait dans le monde des rêves sous la forme d’une pure terreur.
– Que faites-vous alors ?
– Je creuse. Bizarrement, je ne réalise pas tout de suite qu’il s’agit de ma propre tombe.
– Ensuite ?
– Quand le trou est assez profond, je comprends la situation. Cette gamine va me tirer une balle dans la nuque et verser le contenu de sa brouette sur mon cadavre. Il ne s’agit pas de cendres mais de chaux vive. Justement, à cet instant, la jeune fille rit en dégainant son pistolet et dit : « L’avantage avec l’oxyde de calcium, c’est que ça n’attaque pas les métaux. Vous avez bien des bijoux, non ? Des dents en or ? » Je voudrais me sauver mais mes jambes sont aussi raides que le manche de la pelle.
Simon lâcha son cahier. Il se devait maintenant d’accompagner cette nouvelle venue, de la sortir de là – sans jeu de mots.
– Vous savez comme moi que ce n’est qu’un rêve, Frau Feldman.
Elle parut ne pas entendre. Elle suffoquait presque.*
– La fille va m’abattre d’une balle et moi, au fond de la fosse, je… je continue à creuser, comme pour lui montrer que je n’ai pas fini, qu’il faut me laisser encore quelques secondes de vie pour achever mon travail… C’est atroce… Je…
Elle s’interrompit, attrapant dans son sac un petit mouchoir. Elle s’essuya les yeux, renifla. Simon lui laissa reprendre son souffle.
– D’un coup, reprit-elle, je lâche ma pelle et tente d’escalader les bords de la fosse. C’est alors que mon corps se brise.
– Qu’est-ce que vous voulez dire ?
– Ma colonne vertébrale se casse en deux. J’entends distinctement son craquement et je me retrouve le visage contre terre, avec la sensation que les deux parties de mon corps s’agitent indépendamment, comme un ver de terre sectionné. Je lève les yeux et je vois qu’elle me vise avec son Luger (je reconnais l’arme, mon mari a le même). Elle ferme une paupière pour mieux viser – son œil ouvert est jaune lui aussi.
La femme laissa échapper un ricanement entre ses sanglots.
– Couleur de pisse !
À l’acmé d’un songe, le moindre détail pouvait être déterminant – signifiant.
– À quoi pensez-vous à cet instant ?
– À mes dents en or.
Elle étouffa un cri et se recroquevilla sur ses propres sanglots. Simon nota qu’elle portait un tailleur qu’il avait lui-même remarqué au Kaufhaus des Westens. Tout ça était de bon augure. À la prochaine séance, il l’interrogerait sur son mari – sa carrière, ses opinions, ses revenus exacts…
– Êtes-vous juive, Frau Feldman ?
Elle se redressa, comme électrocutée.
– Mais… jamais de la vie !
– Communiste ?
– Absolument pas ! Mon mari dirige la Reichswerke Hermann Göring !
Il haussa les sourcils en signe de surprise, nuancée d’un soupçon d’admiration.
En réalité, il possédait déjà l’information – l’amie qui lui avait recommandé Frau Feldman avait été catégorique : son mari tenait dans sa main une bonne partie de l’acier allemand.
Simon lui adressa son sourire le plus bienveillant.
– Eh bien, rassurez-vous Frau Feldman, votre rêve n’est que l’expression d’une inquiétude diffuse, liée, disons, au contexte actuel.
– Mais qu’est-ce que ça veut dire ?
Ça veut dire qu’on va tous crever un Luger sur la tempe, faillit-il répondre, mais il adopta sa mine spéciale « intra-muros » : tout ce qui se dit dans ce cabinet ne sortira jamais d’ici.
– Votre esprit est soumis à une rude pression, Frau Feldman. La nuit, il se libère de son angoisse au travers de ces scénarios étranges.
– J’ai l’impression d’être une mauvaise Allemande.
– C’est tout le contraire. De tels rêves révèlent votre volonté de vivre heureuse à Berlin, malgré tout. Encore une fois, vous expurgez ainsi vos craintes. Le sommeil, c’est le repos. Et les rêves sont le repos de l’âme, sa récréation si vous voulez. Ne vous inquiétez pas.
Disant cela, il pensa : Toi, tu ne perds rien pour attendre. Il se concentrait maintenant sur ses sourcils épilés. Il détestait cette coquetterie. Ce trait sur ces arcades pelées avait quelque chose d’obscène et de factice à la fois. Simon appréciait la beauté naturelle. En ce sens, il était bien allemand, et pas si éloigné des nazis qui n’aimaient que les filles à tresses, sportives et pétantes de santé.
– Excusez-moi… vous disiez ? reprit-il en se redressant sur son siège.
– Je vous demandais si la séance était terminée ?
Il eut un bref regard sur sa montre.
– Absolument.
Il enfila rapidement ses chaussures, encaissa ses marks et raccompagna la femme jusqu’à la porte. Après quelques mots d’encouragement – ils se reverraient la semaine prochaine –, il abandonna l’épouse des aciers Hermann Göring sur son palier. Une image lui traversa la tête comme une balle : une tenaille arrachant les dents en or de Frau Feldman.
Il se passa la main sur le visage et regagna son bureau. Fouillant dans sa poche, il y saisit la petite clé qu’il conservait toujours sur lui, au bout d’une chaîne attachée à son gilet, comme une montre de gousset.
Avec précaution (et toujours la même jouissance), il ouvrit la porte du réduit qui jouxtait son bureau. La porte de son royaume secret.
______________