21 Août 2022
Résumé : Lac Saint-Froid, nord du Maine. Un épouvantable charnier vient d'être découvert : les baptistes d'Aroostock, une secte dont personne n'a plus entendu parler depuis vingt ans, auraient succombé à un suicide collectif. Dans le même temps, tous ceux qui s'intéressent d'un peu trop près à cette confrérie oubliée sont retrouvés morts...
Il appartient désormais au détective Charlie Parker de retrouver le maître de cérémonie macabre avant qu'il n'ait semé toute sa désolation...
Auteur : John Connelly
Nombres de pages : 448
Édition : Pocket
Date de parution : 9 juin 2005
Prix : 7.70€ (poche) - 13.99€ (Broché)
ISBN : 978-2266151399
ou chez Les librairies indépendantes
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Avis / Critique :
Allison Beck, divorcée, la soixantaine, est médecin et procède à des avortements. Comme la plupart de ses confrères, elle est la proie des pro-life, ce qui l'empêche d'avoir une vie normale. Bientôt, la police la retrouve assassinée. Le corps repose dans sa voiture complètement recouvert de toiles d'araignées qui ont semble-t-il élues domicile dans l'habitacle.
Quelques jours plus tard, un incident impliquant un bulldozer permet de mettre à jour un squelette...
Charlie Parker, ancien policier devenu détective privé est approché par l'homme politique Jack Mercier qui le charge d'enquêter sur la mort de Grace Peltier, étudiante en histoire. Mort qu'il soupçonne être un meurtre et non un suicide comme semble vouloir le penser la police. Parker accepte d'autant qu'il a connu Grace autrefois à l'université.
Charlie essaye alors d'entrer en contact avec le prédicateur de la Confrérie, Carter Paragon, qu'avait voulu rencontrer Grace peu de temps avant son décès. Grace écrivait en effet une thèse sur les "baptistes d'Aroostock" dont la police vient de retrouver les corps... Mais voilà, Charlie Parker va avoir du fil à retordre dans son enquête et va se retrouver à son tour menacé par un certain Mr Pudd que tout le monde autour de lui redoute. L'homme est en effet un adepte des araignées, araignées que l'on a retrouvé sur le corps d'Allison Beck qui elle aussi a eu affaire à la confrérie...
Si on enlève les nombreuses descriptions que fait l'auteur en expliquant les mouvements des uns et des autres, l'utilisation de la première personne pour son personnage principal, le polar de John Connelly est plutôt un bon livre avec une trame intéressante et surtout une fin qui vaut à elle seule que l'on lise cette histoire. Son personnage principal, Charlie Parker est doué d'un certain sens de l'humour et plusieurs de ses réparties sont vraiment bien tournées et apportent un côté enthousiasmant à la lecture.
Malgré cela, j'avoue que l'utilisation de la première personne pour raconter l'histoire alourdit le fond surtout au début du roman, car l'auteur est obligé d'expliquer ce que fait Parker à tout moment et dans le détail ce qui n'est pas très plaisant à la lecture. Cela s'améliore vers la moitié du livre où l'action et l'enquête prennent alors le pas et finalement, même moi, je me suis dit que le choix de la première personne n'était pas si mal. Même si pour plus de fluidité, je préfère en effet lire une histoire où l'auteur utilise la troisième personne d'autant qu'il est plus facile de se transposer à la place du héros et de vivre alors à fond l'intrigue. Là, on se sent un peu spectateur et le lecteur a droit à la description des lieux en profondeur tout comme l'énumération des rues, des cafés, ce genre de choses. C'est peut-être sympathique pour l'Américain à qui cela parle, mais pour les autres, eh bien, il faut avouer qu'ils finiront certainement tout comme moi par sauter les lignes.
John Connelly a pris soin également de nous faire découvrir par petites touches une partie de la thèse de Grace qui explique ce qui s'est déroulé au sein de la confrérie. Cela vient s'emboiter parfaitement à l'intrigue et la résolue des crimes puisque tout est lié.
Le livre teinté de suspens dès la deuxième partie fait que l'on a du mal à lâcher le roman. Les personnages sont tantôt sympathiques tantôt effrayant et dérangeant quand il s'agit de Mr Pudd par exemple, méchant par excellence.
Le petit plus qui est à noter, c'est que le lecteur n'a pas besoin d'avoir lu les autres aventures de Charlie Parker pour se lancer dans celle-ci, car John Connolly, par touche, rappelle les faits de la vie de son héros, ce qui nous permet de raccrocher rapidement.
Il ne faut donc pas se laisser ennuyer par une première partie inégale mais persévérer pour rentrer dans l'intrigue et trembler avec la fin, bien menée. Un thriller à découvrir et un personnage principal qui demande à l'être tout autant.
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Le pouvoir des ténèbres, de John Connolly - www.audetourdunlivre.com
LA QUÊTE DU SANCTUAIRE
LA FERVEUR RELIGIEUSE DANS L'ÉTAT
DU MAINE ET LA DISPARITION DES BAPTISTES D'AROOSTOCK
(Extrait de la thèse de troisième cycle de Grace Peltier, présentée à titre posthume, en accord avec le règlement
du programme de maîtrise en sociologie, Northeastern University)
Pour comprendre les causes de la formation et de la désintégration ultérieure du groupe religieux portant le nom de « baptistes d'Aroostock », il importe de comprendre d'abord l'histoire de l'État du Maine. Pour saisir pourquoi quatre familles de personnes bien intentionnées, et non dépourvues d'intelligence, ont suivi un individu comme le révérend Faulkner pour ne plus jamais revenir, il faut admettre que pendant près de trois siècles des hommes tels que Faulkner ont rassemblé des disciples dans cet État, souvent face à l'opposition d'Églises plus importantes et de mouvements religieux plus orthodoxes. On peut donc avancer qu'il y a quelque chose dans le caractère de ses habitants, un côté individualiste remontant à l'époque des pionniers, qui les prédispose à être attirés par des prédicateurs comme le révérend Faulkner.
Pendant une grande partie de son histoire, le Maine a été un État frontière. En fait, de l'arrivée des premiers missionnaires jésuites, au dix-septième siècle, jusqu'au milieu du vingtième siècle, des groupes religieux ont considéré le Maine comme une terre de mission. Il a fourni un terrain fertile, à défaut d'être toujours profitable, aux prédicateurs itinérants, aux mouvements religieux insolites et même aux charlatans pendant près de trois siècles. L'économie rurale ne permettait pas l'entretien d'églises et d'ecclésiastiques permanents ; la pratique religieuse passait souvent au second plan pour des familles mal nourries, mal vêtues et mal logées.
En 1790, le général Benjamin Lincoln remarqua que peu d'habitants pauvres du Maine avaient été convenablement baptisés et que certains d'entre eux n’avaient jamais communié. Le révérend John Murray, de Boothbay, souligna en 1763 « le vice invétéré et l'absence de remords » des habitants et remercia Dieu d'avoir trouvé « une famille vouée à la prière, avec un humble professeur à sa tête ». Il est intéressant de noter que le révérend Faulkner se plaisait à citer cette phrase de Murray dans ses sermons à ses adeptes.
Des prédicateurs itinérants s'occupaient de ceux qui n'avaient pas d'églises. Certains, formés à York ou Harvard, étaient remarquables, d'autres moins dignes d'éloges. Le révérend Jotham Sewall, de Chesterville, aurait prononcé 12 593 sermons dans 413 villages, principalement dans le Maine, de 1783 à 1849. À l'inverse, le révérend Martin Schaeffer, de Broad Bay, un luthérien, trompa ses ouailles sur toute la ligne avant d'être chassé du bourg.
Les prédicateurs classiques parvenaient difficilement à s'implanter dans l'État, les calvinistes étant particulièrement mal accueillis, autant pour leur doctrine intransigeante que pour leur association avec le pouvoir. Les baptistes et les méthodistes, avec leurs idées égalitaristes, faisaient plus facilement des convertis. En trente ans, de 1790 à 1820, le nombre d'églises baptistes de l'État passa de dix-sept à soixante. Elles furent rejointes plus tard par des baptistes du libre arbitre, des libres baptistes, des méthodistes, des congrégationalistes, des unitariens, des universalistes, des shakers, des millerites, des spiritualistes, des sandfordites, des higginsites, des libres penseurs et des bas-noirs.
La tradition des Schaeffer et autres charlatans se maintint cependant : en 1816, « l'illusion » cochraniste se développa autour de la personne charismatique de Cochrane dans l'ouest de l'État et se termina par des accusations de lubricité contre son fondateur. Dans les années 1860, le révérend George L. Adams persuada ses adeptes de vendre leurs maisons, leurs boutiques, leur matériel de pêche, et de lui remettre de l'argent pour l'aider à fonder une colonie en Palestine. Seize personnes moururent dans les premières semaines de l'installation de cette colonie à Jaffa, en 1866. En 1867, convaincus d'ivrognerie et de détournement de fonds, Adams et sa femme s'enfuirent de la colonie de Jaffa à la brève existence. Adams réapparut en Californie, où il tenta de convaincre les habitants de confier leur argent à sa caisse d'épargne jusqu'à ce que sa secrétaire dévoile ses antécédents.
Enfin, au début du vingtième siècle, l'évangéliste Frank Weston Sandford fonda la Communauté de Shiloh, à Durham. Sandford mérite une attention particulière, car Shiloh servit manifestement de modèle à ce que le révérend Faulkner tenta de réaliser, un demi-siècle plus tard.
Organisée comme une religion, la secte de Sandford collecta d'énormes sommes d'argent pour des programmes de construction et des missions outre-mer, envoyant des bateaux entiers de missionnaires dans les coins les plus reculés de la planète. Sandford persuadait ses disciples de vendre leur maison et de venir vivre dans la Communauté de Shiloh, à Durham, à une cinquantaine de kilomètres seulement de Portland. Des dizaines d'entre eux y moururent plus tard de malnutrition et de maladie. Le fait qu'ils aient été prêts à le suivre et à mourir pour lui atteste du magnétisme de Sandford, natif de Bowdoinham, Maine, diplômé en théologie à Bates Collège, à Lewiston.
Sandford n'avait que trente-quatre ans quand la Communauté de Shiloh fut officiellement ouverte, le 2 octobre 1896, une date que Dieu lui-même avait apparemment soufflée à son fondateur. En quelques années, grâce aux dons et à la vente des biens des disciples, on y édifia pour plus de deux cent mille dollars de bâtiments. Le principal, Shiloh même, comptait cinq cent vingt pièces et avait une circonférence de quatre cents mètres.
La mégalomanie croissante de Sandford — il prétendait que Dieu l'avait proclamé nouvel Élie — et ses exigences d'obéissance absolue commencèrent à causer des frictions. L'hiver rigoureux 1902-1903 épuisa les vivres et la communauté fut décimée par la variole. En 1904, Sandford fut arrêté, inculpé de cruauté envers les enfants et d'homicide. Un verdict de culpabilité fut par la suite annulé en appel.
En 1906, il partit pour la Terre Sainte, emmenant avec lui une centaine de fidèles dans deux bateaux, le Kingdom et le Coronet. Ils passèrent les cinq années suivantes en mer, voguant vers l'Afrique et l'Amérique du Sud, pratiquant une technique de conversion quelque peu originale : les deux bâtiments croisaient le long de la côte tandis que les disciples de Sandford priaient Dieu de leur envoyer les indigènes. Il n'y avait quasiment pas de contact avec des convertis en puissance.
Le Kingdom finit par faire naufrage au large de la côte ouest de l'Afrique, et lorsque Sandford tenta de forcer l'équipage du Coronet à mettre le cap sur le Groenland, les matelots se mutinèrent et l'obligèrent à regagner le Maine. Sandford fut condamné à dix ans de prison pour homicide, suite à la mort de six hommes d'équipage. Libéré en 1918, il s'installa à Boston, laissant ses subordonnés se charger de la direction au jour le jour de Shiloh.
En 1920, après avoir entendu des témoignages sur les conditions terribles infligées aux enfants de la communauté, le juge ordonna leur départ. Shiloh se désintégra, passant de quatre cents à cent membres au cours de ce qu'on appela la Dispersion. Sandford annonça sa démission en mai 1920 et se tira dans une ferme du nord de l'État de New York, où il tenta, sans succès, de rebâtir sa communauté. Il mourut à l'âge de quatre-vingt-cinq ans, en 1948. La Communauté de Shiloh existe encore aujourd'hui, sous une forme très différente de celle de ses origines, et honore encore Sandford comme son fondateur.
On sait que Faulkner trouva en Sandford une source d'inspiration : Sandford avait montré qu'il était possible de bâtir une communauté religieuse indépendante à l'aide de dons et la vente des biens des fidèles. Il est donc à la fois ironique et curieusement approprié que la tentative de Faulkner de fonder sa propre utopie religieuse, près de la petite ville d'Eagle Lake, soit terminée dans l'amertume et l'acrimonie, la famine et désespoir, et finalement par la disparition de vingt personnes, parmi lesquelles Faulkner lui-même.
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