Au détour d'un livre

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L'énigme de la stuga, de Camilla Grebe

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Résumé  :

 

Avis / Critique :

Le livre commence quand Lykke Andersen, éditrice, mère de deux jumeaux, mariée à Gabriel, un écrivain célèbre, est arrêtée, du sang sur les mains. Emmenée auprès du médecin légiste pour des prélèvements, durant son interrogatoire, elle demande à parler à Manfred, l'inspecteur qui s'est occupé de l'enquête sur l'assassinat d'une amie des jumeaux, Bonnie, huit ans auparavant.

La Stuga, c'est le nom du petit pavillon qui se situe sur la propriété de Gabriel et Lykke. Là où habitaient les garçons. Là, où a eu lieu le drame. Celui de la mort de Bonnie. C'est ce soir de fête, ce soir-là que tout a basculé. Le lendemain matin, le corps de Bonnie a été découvert et le mystère qui l'entoure avec. Qui a pu la tuer alors que la maison était fermée de l'intérieur, que les fenêtres étaient fermées... Le meurtrier ne peut être que l'un des deux jumeaux, voire les deux, Harry et David. C'est ce que pense Manfred en tout cas, l'inspecteur qui les interroge, mais devant le manque d'aveux, deux mois plus tard, les garçons sont libérés. Mais les interrogatoires ont fait leurs effets. Les garçons se rejettent mutuellement la faute et en viennent à se détester jusqu'à se battre. La famille vole en éclats. Leur père, Gabriel s'inspire de la tragédie pour écrire son dernier grand succès avant de connaitre le gouffre. La mort de Bonnie a tout balayé sur son passage. Jusqu'à ce que Lykke arrive huit ans plus tard devant Manfred, et lui demande des comptes.

Camilla Grebe, plus qu'un thriller nous livre surtout ici un livre psychologique et de mystère. Le mystère c'est celui d'un meurtre en huis clos. Qui a tué la jeune Bonnie, l'amie des deux garçons de Lykke s'il ne s'agit pas d'eux ?

L'intrigue se déroule en plusieurs temps. L'on suit d'abord l'arrestation de Lykke, puis on passe à un flash-back, celui de la soirée où la jeune femme a trouvé la mort. Tout du long de ce livre, nous allons suivre l'enquête de l'inspecteur Manfred, mais aussi la vie de la famille de Lykke et tout ce que cette mort va avoir comme répercussion sur sa famille. Et ce, jusqu'au moment où enfin, la vérité est découverte. Terrible.

Cela monte donc crescendo dans cette histoire. Camilla Grebe nous permet de découvrir une façade du monde littéraire suédois, nous entraine dans la déchéance d'une famille qui avait tout : argent, réussite, bonheur. On suit d'une part Lykke, la mère de famille et Manfred, le policier. Les deux nous raconte leur version des faits, nous entraine dans leur vie, entre présent et passé . C'est bien écrit, on ne s'ennuie jamais et on cherche jusqu'à la fin la résolution de L'énigme de la Stuga. C'est bien ficelé, la psychologie des personnages est bien traitée. Ce livre est un bon opus de Camilla Grebe, qui mérite bien son nom de la reine des polars suédois.

 

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Extrait :

LYKKE
Huit ans plus tôt

 

 

Tic, tac. Tic, tac.

Le compte à rebours avait commencé, l’heure tournait, nous précipitant tout droit vers la catastrophe, mais ni l’un ni l’autre n’entendions le tic-tac de l’horloge. Pour nous, cette matinée d’août douloureusement belle n’était autre qu’une de ces journées caniculaires que nous avions supportées cet été-là – soleil cuisant, couleurs étincelantes, air frémissant de chaleur.

À y regarder de plus près, la nature affichait d’infimes signes avant-coureurs de l’automne : les pommes étaient mûres depuis plusieurs semaines, leur chair croquante et sucrée au début de l’été avait laissé place à une pulpe farineuse à l’odeur douçâtre de levure. Les orpins reprise, les asters et les roses trémières fleurissaient dans les plates-bandes autour de la maison rouge. La vigne vierge de la pergola roussissait.

Je fermai les yeux, inspirai la senteur de l’herbe fraîchement tondue et des bûches chauffées par le soleil, posées à côté du billot, en attente d’être rentrées dans l’abri à bois.

— Tu comptes vider la bouteille avant l’arrivée des invités ?

J’ouvris les yeux et dévisageai Gabriel.

Il me pinça l’oreille, l’air moqueur, s’empara de mon verre et avala une goulée de rosé. Bien qu’il soit presque midi, il portait toujours son pyjama préféré, un ensemble rayé, cadeau de son ancienne éditrice. Il tenait à la main un exemplaire de la Paris Review. Ses lunettes de lecture pendaient autour de son cou, ses cheveux bruns parsemés de mèches grises étaient hirsutes. Il affichait cette élégance négligée que les journaux du soir aimaient lui attribuer.

— Tu peux parler, tu sirotes du vin en pyjama !

Il me tendit mon verre, avec un sourire qui creusait les rides déjà profondes au coin de ses yeux. Au soleil, cela ressemblait à des traces de coups de hache en forme d’éventail dans un rondin. Il se retourna et contempla le pré clôturé qui descendait jusqu’au lac. Des taches

jaunes de millepertuis brillaient çà et là et le long du bas-côté se pressaient du cerfeuil sauvage aux fleurs fanées et du silène visqueux. De part et d’autre de la prairie, une forêt de sapins s’étendait sur plusieurs kilomètres.

Deux chevaux paissaient dans le pré. Le terrain nous appartenait, mais était utilisé comme pâturage par notre voisin, un arrangement qui convenait aux deux parties – les animaux mangeaient à leur faim et nous épargnaient le besoin de faucher.

Je balayai d’un geste de la main une guêpe alanguie par la chaleur, puis plaçai mon verre et le manuscrit côte à côte avant de me lever de mon transat.

— Qu’est-ce que tu lis ? demanda Gabriel.

— J’édite le nouveau recueil de poèmes d’Ali Hizami.

Il jeta un coup d’œil à la pile de papiers dans l’herbe.

— C’est bien ?

— Très.

— Hum, fit-il en se grattant le menton. Peu de gens le liront. Dommage.

— C’est vrai.

Ali… le poète maigre, têtu, aux yeux scintillants que j’avais connu cinq ans plus tôt quand Forss & Stierna, la maison d’édition pour laquelle je travaille, avait publié son premier recueil. Il était jeune – enfin, assez jeune –, prometteur et sans compromission. Ce qui n’était pas très surprenant pour un poète.

Avec les années, ses idiosyncrasies n’avaient fait que se renforcer – non que cela gêne quiconque chez Forss & Stierna. Dans l’édition, on acceptait sans broncher les écrivains extravagants.

— Tu sais qu’il vit dans une caravane maintenant ? Sur un parking, à côté d’une décharge.

— Sans blague ! Il n’a pas reçu une bourse de l’Académie suédoise ?

Le vent d’été souleva la première page du manuscrit, et la glissa sous le transat.

Je me penchai pour la ramasser et la replaçai sur la pile. Je posai mon verre par-dessus. Un cercle humide de condensation se forma sur le manuscrit, dissolvant une marque de correction tracée à l’encre en petite aquarelle scintillante.

— On lui a proposé une bourse, mais il l’a déclinée. Il ne veut pas avoir d’argent à gérer. Il souhaite vivre en dehors du système capitaliste.

— Mais pourquoi ?

— Je ne suis pas sûre, mais j’imagine que c’est lié à son écriture. Il fera de son projet de vie marginale un recueil de poésie. Ou d’essais. Il veut se lancer dans la rédaction d’essais.

Ce qu’il fera brillamment. À en croire les critiques, tout ce qu’il entreprend devient un succès.

— Mais de quoi vit-il s’il rejette le fric ? Il faut bien manger ! Les diplômes et les articles dithyrambiques ça ne remplit pas l’estomac.

— Je crois que sa mère l’aide un peu. Elle lui apporte à manger…

— Bon sang ! (Gabriel fit une grimace de dégoût.) Sa maman ? Il n’a pas quarante ans passés ?

— Trente-sept.

Il secoua la tête en se grattant l’entrejambe, pensif.

— C’est un truc d’artiste, c’est ça ?

J’ai haussé les épaules.

— Tu devrais le savoir.

— Pff, je ne suis pas un artiste !

— Qu’est-ce que tu es alors ?

Je glissai un doigt sous l’élastique de son pyjama et l’attirai vers moi.

Gabriel avait beau jouer les modestes, nous avions tous les deux conscience de sa place à part dans la littérature suédoise. Ses romans, à la fois littéraires et accessibles, enchantaient les lecteurs et convainquaient les critiques. Gabriel vendait des livres et gagnait des prix à la pelle. On l’avait désigné « meilleur interprète suédois de l’insoutenable légèreté de l’être de la classe moyenne » et « vache à lait intarissable de Forss & Stierna ».

Ce type de phénomène était rare. Dans le monde littéraire, la frontière entre littérature commerciale d’une part et textes plus littéraires d’autre part était habituellement bien tracée. En d’autres termes, soit vous êtes bon, soit vous êtes riche, il n’y a pas d’entre-deux.

Hormis, bien sûr, Gabriel Andersen.

Il m’entoura de ses bras et je posai la joue contre son cou piquant, sa peau tiède.

— La journée s’annonce chaude, déclarai-je.

— Oui, comme hier et avant-hier. (Il me repoussa doucement et laissa glisser son doigt sur la peau cramoisie de mon décolleté.) N’oublie pas la crème solaire.

— Je serai surtout à l’intérieur pour préparer le repas.

— Mets de la crème, s’il te plaît. Autrement tu auras de la peau de lézard entre les seins et je ne sais pas si j’arriverai encore à t’aimer.

J’ai ri et balayé du regard son visage buriné.

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