Au détour d'un livre

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Offenses, de Constance Debré

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Résumé : "Un meurtre c'est fait pour que quelque chose s'arrête. Est-ce que c'est possible que les choses s'arrêtent, que ce ne soit pas toujours le même aplat de tout, sur le même ton, à la même vitesse qui vous avale, irrespirable, le souffle court, ne plus avoir d'oxygène au cerveau à force, est-ce que c'est possible que tout le monde se taise, que le bébé se taise, que sa mère se taise, que le dealer se taise, que les flics se taisent, que les juges se taisent, que tous ils se taisent. Qu'ils fassent ce qu'ils veulent de lui, il leur donne son corps, mais qu'il puisse se taire, qu'ils le laissent ne plus répondre."

 

Auteure : Constance Debré
Nombre de pages : 128
Éditeur : Flammarion
Date de parution : 1 février 2023
Prix : 17.50€ (broché) - 12.99€ (epub, mobi)
ISBN :
978-2080286147

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Avis / Critique :

Pour son nouveau livre, Constance Debré oublie l'aspect autobiographique pour s'intéresser à un meurtre. Pas n'importe lequel, et pas n'importe quoi, celui commis par un jeune adulte de 19 ans sur une femme âgée. Pourquoi en est-il arrivé là, que ressent-il, quelle est sa vie, la société a-t-elle son rôle dans l'histoire ? 

Constance Debré se met dans la peau de celui qui raconte, le meurtrier, puis dans la peau du narrateur qui est un autre. Cette histoire est d'une banalité, un fait divers que l'on pourrait voir dans un flash info, entre deux autres faits. Constance Debré s'est d'ailleurs inspirée d'une de ces affaires passée en comparution immédiate pour montrer que rien n'est simple, rien n'est facile, rien ne s'explique aussi facilement dans un acte criminel que ce que l'on peut supposer derrière notre écran. 

La victime habite dans un appartement de type F3 dans un HLM. Elle est âgée, vit seule, ne s'entend plus avec son fils, n'est pas quelqu'un de commode. Le seul contact qu'elle a est celui qu'elle entretient avec son jeune voisin du dessus qui lui ramène des courses contre quelques pièces. Mais voilà qu'un jour, le jeune l'a tue après une dispute, parce qu'elle le soupçonnait de la voler. Il l'a tué de plusieurs coups de couteau, dix en tout. Le meurtrier a donc 19 ans. Son père est éboueur, sa mère dépressive. Ses frères et sœurs ont été placés, puis repris, puis replacés.

Lui, le narrateur et meurtrier a une fille déjà. Il l'a eu lorsqu'il avait 16 ans. Il ne travaille pas, sa copine non plus. Ils ne trouvent pas de travail. Ils vivent chez son père à lui, un père qui n'est pas son père biologique. Il a perdu de la drogue, il doit la payer. On menace sa famille. Mais comment rembourser ? Quand il voit sa vieille voisine, il pense qu'il a trouvé là de quoi avoir l'argent, mais alors qu'il voulait seulement lui voler sa pension, voilà que le ton est monté, et qu'il l'a tué. Il l'a tué pour 450 euros, bien loin de ce qu'il doit.

Il se retrouve en prison et là va prendre conscience qu'il ne verra pas sa fille grandir, et que sa copine l'a quittée pour un autre. 1 minute pour tuer. 1 minute pour tout foutre en l'air. Quoi qu'il fasse, son destin de toute façon n'était-il pas tracé ? Depuis l'enfance, était-il programmé pour être rattrapé par la drogue, le crime, et la prison ? "Tout est abîmé dès la naissance ensuite ça ne fait qu'empirer".

Alors, est-ce entièrement sa faute ? Que serait-il advenu si on lui avait tendu la main ? S'il avait pu faire d'autres choix... Comme son grand frère qui a été plus fort, qui s'est extirpé de ce milieu très tôt, qui a trouvé plus de ressources en lui.

Par le biais de cette histoire, Constance Debré tente de montrer deux mondes qui vivent côte à côte. Le monde d'au-dessus et le monde d'en-dessous. Le monde qui s'en sort, celui qui est perdu.  "Vous marchez sur nous, je ne sais pas si vous savez. ", dit le narrateur. Le jeu est truqué, perdu d'avance, on est pas tous égaux. Il y a ceux qui sont dans leur cage et les autres. Il y a le Paradis et l'Enfer. Et pour qu'il y ait un Paradis, il y a un Enfer, celui du narrateur, de ceux qui vivent dans ces immeubles à moindre loyer. C'est ainsi que les choses fonctionnent. Combien de pauvres pour un riche ? 

Dans "Offenses", elle choisit donc de parler de la vie de ce jeune adulte né dans la misère sociale, qui cherche à s'en sortir comme son grand frère, mais qui a plongé comme les autres, car quand on vient de là, il est très dur de s'en extirper. Au contraire, c'est souvent le processus inverse, la spirale vers le trou. 

Est-ce celui qui commet le crime qui est à l'origine du mal ou l'humanité toute entière y a-t-elle sa part ? C'est la question que pose Constance Debré. "« Je suis coupable oui, mais je suis coupable à votre place. Puisqu'il faut bien que quelqu'un porte la faute, puisqu'il faut bien que quelqu'un porte la peine. »", avance le narrateur.

Offenses, c'est un livre qui fait réfléchir. C'est un livre qui nous amène tantôt du côté du criminel, tantôt du côté de la société révoltée par ces mêmes crimes. Constance Debré nous montre les deux facettes d'une même pièce, et comme une pièce, il y a pile et il y a face, pas l'une sans l'autre, mais jamais l'une avec l'autre. Quand on est du bon côté, on dénonce, on ne comprend pas, ou on ne veut pas comprendre. Constance Debré tente justement de nous faire comprendre un monde qui nous échappe et que la société bien-pensante pousse d'un pied sous le tapis pour le cacher : "Cachez ces pauvres, cette misère que je ne saurai voir" pourrait-on dire. Mais attention, là où il y a dénonciation, il ne peut y avoir qu'excuses. Le choix est toujours possible, à l'instar du frère qui a la force intérieure de se libérer de ce milieu et de tracer sa route.

Un livre dérangeant, une écriture cash, rapide, ciselée, coup de poing comme pour ces précédents ouvrages, avec une thématique que l'on retrouve également ici : le rejet de son monde à elle, celui de la bourgeoisie pour se plonger dans celui de la fange. 


Comme pour ses précédents opus, on aimera celui-là, ou on ne l'aimera pas. Ça dérange, ça remue, ce n'est pas gai, c'est Constance Debré. Elle fracasse, elle tape là où ça fait mal. Un livre qui ne laisse pas indifférent, qui fait réfléchir. Ce n'est déjà pas si mal en soi. 
 

 

 

 

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Autres livres de Constance Debré chroniqués sur le blog :
- Play Boy
- Love me tender

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Extrait :

Dix coups ils lui ont dit. Lui n’avait pas compté, ça met dans un état spécial de faire ce genre de chose. Il faudrait s’intéresser à tous les actes qui mettent dans un état spécial qui font qu’on arrête de penser. Des spécialistes du cerveau les ont peut-être déjà répertoriés. Pour sa mère ses frères sa femme ses amis, c’est le shit ou bien les médocs ou bien l’alcool ou bien la console, des choses qu’on leur reproche toujours. Le sexe aussi peut-être c’est quelque chose pour ne pas penser. On met des mots dessus, on parle d’amour ou bien de désir mais peut-être que c’est juste quelque chose pour ne pas penser. Quelque chose qui vient au même âge que le shit d’ailleurs, au même âge que les emmerdes, toutes celles qui intéressent les juges les éducateurs, toutes celles qui se mélangent se confondent pour faire les journées, la vie, quelque chose d’aussi laid. Il faut voir comme elles font ça les petites de cité, comme ils font ça ses amis et comme ils en parlent tous ici. Quelque chose de laid, oui même quand ça parle d’amour. Tout le monde trompe tout le monde, tout le monde ne fait que tricher, c’est comme ça qu’ils ont appris à s’en sortir, on ne peut faire confiance à personne si on veut s’en sortir. C’est à cause du choc post-traumatique qu’il ne se souvient pas. Ce sont les spécialistes du cerveau qui le disent, eux qui expliquent que ces choses valent pour les victimes comme pour les coupables, que les coupables aussi ça les choque, ça les traumatise la violence, leur propre violence. Ça ne plaît pas à tout le monde, ça ne plaît pas au monde que les coupables soient comme les victimes, ce que voudrait le monde c’est une race à part qui serait la culpabilité tout entière, ça se verrait dans le corps et l’âme, ça ne ressentirait rien un coupable. Ce que veut le monde ce sont des coupables qui ne lui ressemblent pas, qui lui disent que lui le monde n’est pas coupable, c’est à ça que servent les coupables. Il se souvient quand même du coup à la gorge, celui qui faisait tout le sang, celui qui faisait que ça ne s’arrêtait plus, qu’il s’en foutait partout.

Il est remonté chez lui, il a vomi, il a lu midi sur la Freebox, il a réveillé son frère. D’habitude son frère, son petit frère de quinze ou seize ans qui fume et qui deale, dort chez leur mère mais parfois non. Parfois il dort chez leur père sur un matelas dans le salon. Il l’a secoué, il lui a dit Réveille-toi, j’ai besoin de toi, j’ai tué la vieille. Le petit frère n’a pas posé de questions. Il a vu le sang sur la veste le jean les chaussures, il a dit qu’il fallait se débarrasser des affaires. Ils ont mis les affaires tachées dans un sac en plastique, ils se sont habillés, ils sont sortis. Le petit frère portait ses Adidas LA Trainer et lui les Nike Air Max qu’un ami lui avait données, les Nike Requin il fallait les jeter à cause du sang. Ils ont marché vers le centre, ils ont donné le sac de vêtements tachés et le sac de la vieille à un Rom à vélo qui fait toujours les poubelles. Le petit frère est parti. Lui est allé au distributeur avec la carte de la vieille. Il a tiré les quatre cent cinquante euros, il a appelé le dealer, il a payé. Après il n’y avait plus qu’à attendre.

Il a fait ça, attendre, il ne s’est pas enfui, il a attendu. Trois jours avant qu’on la trouve elle, et puis encore trois jours avant qu’on le trouve lui. Qu’est-ce qu’il pouvait faire d’autre. Il est resté là dans l’appartement du dessus qui est celui de son père où il habite avec sa petite amie fiancée femme qu’il aime, et le bébé, l’appartement qui est exactement le même F3 que celui de la vieille exactement en dessous, il a dormi dans sa chambre à lui qui est exactement au-dessus de sa chambre à elle, il a traversé le salon juste au-dessus du salon où elle était encore, où il était le seul à savoir qu’elle était avec le sang, la flaque de sang, gorge ouverte, il n’a pas bougé.

Est-ce qu’il a pensé au corps, à la putréfaction qui commence, il faisait chaud en plus. Est-ce qu’il pensait à ça, à elle devenue chose qui commençait à pourrir. Est-ce qu’il a pensé aux mouches sur les yeux, la bouche, aux œufs des mouches dans le corps et aux vers, à la tache verte sur le ventre, il paraît que ça commence comme ça. Est-ce qu’il a pensé à la décomposition du corps de la vieille juste en dessous de son corps de vivant à lui. Ou bien est-ce que ça n’effraie plus un cadavre.

 

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