Au détour d'un livre

Critiques littéraires, avis, livres gratuits, news. “Quand je pense à tous les livres qu'il me reste à lire, j'ai la certitude d'être encore heureux.” (Jules Renard) -

La Doublure, de Melissa da Costa

La Doublure, de Melissa da Costa, livres melissa da costa, critique la doublure, avis la doublure, livres amazon, littérature, critiques, avis, critique, melissa da costa

 

Résumé :

Passion, faux-semblants, emprise... Qui manipule qui ?
Une jeune femme fragile
en quête d'un nouveau départ.
Un couple magnétique et fascinant prêt à lui ouvrir les portes de son monde doré.
Un trio pris au piège d'un jeu cruel et d'une dépendance fatale.
Dans ce roman sombre et envoûtant, Mélissa da Costa explore, à travers l'histoire d'une passion toxique,  la face obscure de l'âme humaine et les méandres du désir.

Auteure : Melissa da Costa
Nombre de pages : 576
Édition : Albin Michel
Parution : 28 septembre 2022
Prix : 20.90€ (Broché) - 14.99€ (epub, mobi) - 0€ (audible)
ISBN : 978-2226461285

_____________

Avis / Critique :

Evie est une jeune femme qui travaille dans une supérette sur l'autoroute. Elle est en couple avec un jeune marin qui revient au pays tous les six mois pour seulement quelque temps. Le jour où il lui annonce qu'il compte quitter la France pour le Brésil, Evie comprend qu'il n'est pas fait pour elle. Le couple se sépare alors. Quelques jours plus tard, elle traîne sur le port de Marseille et distribue des CV avec l'envie de tout changer, son appartement, son métier, sa vie. C'est alors qu'elle rencontre Pierre Manan, un bel homme qui lui propose de travailler pour sa femme, une certaine Clara. Le rôle d'Evie ? Répondre aux courriels, participer à l'organisation de vernissages, trouver des galeristes, organiser les réseaux sociaux...

Enfin, cela c'est au début, car très vite, le rôle d'Evie est de devenir la doublure de Clara. Car Clara est peintre, mais déteste se montrer en public en tant qu'artiste. Elle vit sa peinture intérieurement et n'est pas à l'aise dans ce monde de critiques, de journalistes. Evie devient alors Calypso Montant, qui est le pseudo artistique de Clara. Mais Evie est jeune et inexpérimentée. Clara lui apprend alors à comprendre les toiles, la peinture, l'initie aux œuvres qu'elle peint, mais aussi à celles d'autres artistes, appartenant au même courant romantique noir. Evie est au cœur d'un contrat. Elle sera Calypso et la femme donc de Pierre uniquement quand Clara lui donnera son alliance, c'est-à-dire lui passera le flambeau pour la représenter. Evie découvre aussi un monde où la drogue fait partie du jeu. Pierre l'initie à la cocaïne, au début pour qu'elle soit moins stressée lors des vernissages, puis elle finit par se perdre dans la drogue qui lui devient nécessaire pour ne pas sombrer, car lors des descentes, Evie plonge dans la morosité, s'enfonce dans une humeur noire. Elle aime Pierre et, très vite le contrat passé avec Clara s'envole. Le trio qu'elle forme avec les Manant devient oppressant, une rivalité s'installe. Evie, Eve se confronte dès lors à Clara, Lilith et se bat pour Pierre, l'Adam.

C'est finalement l'histoire d'une jeune femme pure, Evie à l'image d'Eve qui se retrouve au cœur d'un couple pervers, Clara (qui représente Lilith) et Pierre (Adam). Peu à peu, l'innocence de la jeune femme s'éloigne au fur et à mesure que les jours s'écoulent à l'intérieur de ce trio. L'une doit se fondre dans l'image de l'autre, mais est-il possible de sortir indemne et de ne pas perdre son âme ? Les règles du jeu vont voler en éclats et tout sera remis en question, mais jusqu'où ? Et qui va remporter la bataille ?

Il faut s'accrocher pour lire le roman de Mélissa da Costa, car il est vrai que le début est plutôt ennuyeux, il ne se passe pas grand-chose, la mise en place est longue, mais peu à peu, on rentre dedans et on se demande jusqu'où cette histoire va nous mener et surtout, on navigue à l'intérieur de ce trio malaisant où la drogue a une place importante. Le lecteur prend fait et cause tantôt pour l'un des personnages, tantôt pour un autre. Melissa da Costa parle beaucoup de peinture, puisque tout tourne autour de Calypso et nous fait découvrir le monde des romantiques noirs (allez voir les tableaux mentionnés sur le net, c'est un conseil). Arrivé au trois-quart du livre, impossible de le lâcher, la tension monte, la perversité des personnages prend une nouvelle tournure. Qui d'Eve ou de Lilith va en sortir vivante ?

C'est difficile pour moi de juger correctement ce livre, car j'ai failli le lâcher à plusieurs reprises et pourtant, je suis contente d'avoir finalement persévéré jusqu'au bout. Ici, tout du long, on est déchiré entre deux sentiments, l'ennui et l'addiction comme l'addiction à la cocaïne de certains personnages, mais pour le lecteur heureusement, les lignes ne sont pas les mêmes. C'est aussi l'occasion de voir les effets pervers de la drogue justement : la montée avec les sens complètement ouverts, mais surtout la chute vertigineuse qui s'ensuit quand les effets s'estompent amenant jusqu'à la perte de soi. C'est également le jeu pervers d'un trio qui se perd dans les méandres des sentiments, des haines, de l'amour et ce, jusqu'à en oublier toutes les règles.

Un roman qui ne laisse pas de marbre. Intrigant, dérangeant, qui mérite que l'on persévère dans sa lecture.  Bref, un roman étonnant.

 

La Doublure, de Melissa da Costa, livres melissa da costa, critique la doublure, avis la doublure, livres amazon, littérature, critiques, avis, critique, melissa da costa

_____________

La doublure, de Melissa Da Costa - www.audetourdunlivre.com

Extrait :

 

4

Le lendemain matin, quand je descends, Clara est déjà levée. Je l’aperçois dehors, assise à la petite table en fer forgé. Elle prend son petit déjeuner, le nez en l’air.

Clara n’a rien à voir avec moi, elle ne porte pas un pyjama usé, mais un kimono de soie noire resserré à la taille. Ses pieds nus font de légers mouvements, comme pour s’étirer allégrement. Ses cheveux sont retenus sur sa nuque, pas avec un vulgaire élastique, non, mais une élégante pince en ébène. Et puis… Je suis interrompue à ce stade de mes pensées par ses yeux qui se posent sur moi, me surprennent. Je rougis. Elle me fait signe de la rejoindre.

« Bonjour, Evie. Vous avez bien dormi ? »

Elle est fraîche, reposée. Plus aucune trace de la migraine la veille. Sa peau pâle s’est même teintée de jolies nuances laiteuses.

« Très bien.

– Asseyez-vous. Le café est encore chaud. Tenez. »

Ma tasse est déjà disposée sur la table, ainsi qu’une assiette pleine de petits toasts beurrés qui proviennent probablement d’une boulangerie artisanale.

« Pierre nous a fait du jus d’oranges pressées mais si vous préférez des fruits frais…

– Non. C’est parfait. »

J’essaie d’adopter un air naturel tandis que je détaille les minuscules pots de confiture. Chez moi, il n’y avait que de l’abricot ou de la fraise. Trop sucrés. Ici il y a des parfums dont je n’ai jamais entendu parler : figue et noix, cerise et badiane, banane au rhum, gelée de rose, myrtille à la violette, orange et yuzu, kiwi et citron vert…

Clara remplit sans hâte ma tasse. Le café a été préparé dans une jolie cafetière italienne.

« Pierre est parti travailler ?

– Oui, il est à Cannes pour la journée. »

Je ne peux m’empêcher de penser à ce que j’ai entendu la nuit dernière. Le sommier. Les soupirs.

« Merci pour les lys », ajoute Clara.

Je rougis légèrement et je me brûle en avalant mon café trop chaud.

Comment choisir parmi toutes ces confitures ? J’essaie d’adopter le même air nonchalant et tranquille que Clara. Cerise et badiane aujourd’hui. Demain je testerai myrtille-violette, et après-demain kiwi-citron vert. J’ai tout mon temps. Ne pas me précipiter. Chaque jour sera ainsi un nouveau ravissement.

« Auriez-vous envie de découvrir la galerie Humanis ce matin ? »

J’interromps mon tartinage de confiture.

« Oui. J’aimerais bien. »

Elle laisse sa tête basculer en arrière pour capter un peu de ciel bleu.

« Alors nous irons. »

Tandis que nous nous apprêtons à débarrasser le petit déjeuner, Clara m’attire soudain dans la véranda avec une certaine excitation. D’une pochette rouge, elle extrait une feuille qu’elle me montre. Il s’agit de la reproduction d’un tableau.

« C’est Le Cauchemar, de Füssli. 1781. »

Le tableau représente une femme allongée de tout son long dans une robe blanche, renversée, la tête tombant en arrière, comme si elle était en proie à un cauchemar. Sur son buste est assis un monstre ressemblant à une gargouille. Il regarde fixement le spectateur, les yeux écarquillés, l’air mauvais, comme s’il l’interrogeait sur sa présence.

« C’est un kobold, m’apprend Clara. Un incube, si vous préférez.

– Un incube ?

– Un démon qui veut abuser de sa proie.

– Elle est… Est-ce qu’il l’a… violée ? »

Clara me considère avec sérieux.

« Certains ont vu cela dans ce tableau, en effet. »

Elle me désigne autre chose, au second plan. Une présence tout aussi incongrue que celle de cette gargouille : la tête d’un cheval noir derrière les rideaux. Ses yeux sont globuleux et vitreux, ses narines ouvertes suggèrent une respiration forte et profonde.

« Le voyeur, déclare Clara. Regardez, il déchire le rideau pourpre. Les spécialistes ont interprété cela comme une autre suggestion du viol. »

On dirait que ce qu’elle voit, elle, est foncièrement différent. Je ne peux m’empêcher de demander :

« Ce n’est pas votre interprétation ? »

Elle semble réfléchir, les yeux perdus dans le tableau.

« Il ne faut pas oublier le titre donné par l’artiste : Le Cauchemar. N’est-ce pas le propre du cauchemar que d’être irrationnel ?

– Si… Sans doute… »

Elle s’apprête à ranger la reproduction quand elle se reprend et se tourne vers moi.

« Gardez-la, Evie. C’est un grand classique du romantisme noir. Vous pourrez l’observer plus en détail et vous faire une idée là-dessus. »

Cette perspective ne me déplaît pas. Chercher les indices, les symboles, décrypter le sens ? Comme un jeu de piste. Je crois que ça pourrait m’amuser.

« Il y en a d’autres là-dedans ? » je demande en désignant la pochette rouge.

 

Clara acquiesce. Pourtant, elle la repose sur le pouf.

« Je ne veux pas vous noyer sous les tableaux et les concepts. Je préfère que nous prenions notre temps. »

Je me dis qu’alors, ce sera comme avec les confitures. Une chose après l’autre. Faire de chaque jour une découverte.

« Vous venez ? me lance-t-elle en resserrant la ceinture de son kimono. Nous devrions nous habiller et aller à la galerie Humanis pendant que les ruelles sont encore désertes. »

 

Saint-Paul-de-Vence le matin, c’est comme un moment volé à la vie. Un moineau qui chauffait ses ailes au soleil s’envole à notre passage, des odeurs de pain frais s’échappent d’une boulangerie, quelqu’un ouvre ses volets et une tête aux cheveux hirsutes, bouffie de sommeil, apparaît au-dessus d’une jardinière de géraniums. Les premières boutiques s’éveillent. Le village s’ébroue tout doucement. Je crois comprendre le plaisir de Clara à partir à l’assaut des ruelles de si bonne heure.

« Georges sera surpris de me voir… »

Ce sont les seuls mots, presque chuchotés, qu’elle prononce durant le trajet.

La galerie est une drôle d’échoppe à la porte ornée de boiseries. Une enseigne à l’ancienne, en fer forgé, se balance dans la brise légère. Dedans, ça sent le bois, la cire et la poussière. L’endroit est atypique. De lourds rideaux de velours aux fenêtres, des tentures aux murs, des tapis persans, des meubles anciens en bois brut. L’éclairage est subtil et met en valeur les pierres des murs mais aussi certaines statuettes, des poteries, la tapisserie des fauteuils.

Derrière un imposant comptoir se trouve un homme d’une soixantaine d’années, les cheveux grisonnants mais le visage encore fin et élégant, dans un costume noir.

« Clara… »

Il semble heureux de la voir. Il ouvre les bras et s’avance.

« Georges », dit-elle avec un demi-sourire.

 

 

____________________

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
M
Je compte bien le lire un jour d'autant plus que je l'ai offert récemment à un membre de ma famille qui adore cet auteur. C'est difficile parfois d'avoir un avis tranché sur un livre, c'est souvent que moi aussi je suis partagée. Merci pour ton ressenti
Répondre