Au détour d'un livre

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Car un jour de vengeance, de Alexandra Julhiet

Car un jour de vengeance, de Alexandra Julhiet

 

Résumé : "Le C et la croix, tracés au couteau dans ma chair. Notre symbole. Chevrière. Englouti par les flammes, une nuit d’hiver, il y a presque vingt ans. Comme dans le livre. Tout comme dans le livre. "
 

Auteure : Alexandra Julhiet
Nombre de pages : 416
Éditeur : Calmann-Lévy
Date de parution : 3 mai 2023
Prix : 20.90€ (Broché) - 14.99€ (epub, mobi)
ISBN : 978-2702185759

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Avis / Critique :

Un livre.
Un livre qui va tout changer.
Lilas est une jeune femme un peu perdue qui se terre pour oublier son passé, mais surtout pour qu'on l'oublie et qu'on ne la retrouve pas. Elle réside près d'un étang, avec pour seule amie, Marguerite et le fils de celle-ci qu'elle voit de temps en temps. Lilas vit en faisant des traductions, sous le manteau. Et c'est alors qu'elle rentre d'un de ses voyages qu'elle tombe sur la vitrine d'une librairie. A l'intérieur, un livre. Et dans ce livre, son histoire. Plus que ça, un roman qui raconte son histoire à elle, mais aussi celle de ses coreligionnaires de l'époque, Alice, Olivier et Lazare au pensionnat de Chevrière.
C'est qu'il s'est passé un drame là-bas. Enfin, plus d'un. Il y a eu la mort d'Alice dans un incendie, mais surtout Lilas et ses camarades ont tué leur mentor, Schmidt, le directeur pervers et manipulateur du pensionnat.
La question qui taraude alors Lilas, est celle-ci : qui a écrit ces lignes ? Qui veut sa mort ?
Ni une ni deux, elle décide de partir à la recherche de ses anciens amis, peut-être à présent ses ennemis d'ailleurs, car qui sait si l'un d'entre eux n'est pas l'auteur de ce roman signé du pseudo de Lola Bouscat.

Alexandra Julhiet a choisi la thématique du thriller scindé en deux. D'un côté, nous suivons la quête de Lilas et de ses amis, et de l'autre, nous assistons aux faits qui se sont déroulés 20 ans auparavant à travers la lecture du livre de Lola Bouscat. A la fin, le premier doit venir télescoper le second et nous apporter la solution. Mais pas ainsi que nous pouvons l'imaginer.

Alors, commençons par les points positifs du roman.
Il y a la narration d'abord qui est assez enlevée. L'écriture est facile, on trouve quelques pointes d'humour, le postulat de l'autrice de raconter une partie de l'histoire via la lecture du roman est bien trouvée et permet de casser le côté qui aurait pu être redondant de la quête sans cela. De plus, cela expose bien les prémisses qui vont conduire à la situation et nous permet d'avoir accès au passé des protagonistes. Le côté pervers de Schmidt qui prend le groupe des quatre enfants sous son aile en leur faisant miroiter qu'ils sont de ce fait privilégiés, mais qu'en vérité, il s'en sert pour assouvir ses instincts les plus bas est bien amené par Alexandra Julhiet qui parvient à nous accrocher en faisant monter l'intérêt. Effectivement, on a envie de savoir pourquoi le groupe des 4 gamins a passé de vie à trépas leur mentor. Je ne spoile rien, cela est présenté dès le départ dans le livre. Autre chose à noter, les quatre gamins sont tous différents dans leur approche ce qui permet de bien les différencier.

Passons maintenant aux points négatifs.
D'abord, j'avoue que je ne me suis attachée à aucun des protagonistes du livre. Le personnage de Lilas est celui d'une paumée, abandonnée par ses amis, au passé tiré par les cheveux qui ne m'a pas convaincue.  Son passé avec son père, ersatz de Bob Denard, (le mercenaire), mais en pire, puis son début de vie adulte où on la retrouve chez les drogués en banlieue parisienne, recueillie par Marguerite et le grand ponte des dealers du coin, et enfin sa vie sous le manteau.
Ensuite, on a Lazare. Le beau mec métis aux yeux bleus, artiste dans l'âme, mais au cerveau ravagé par les médocs et son obsession par son ancien groupe d'amis qu'il peint à qui mieux mieux. On trouve également Olivier, qui vient de se marier et qui est en train de mourir de son cancer et enfin l'ombre d'Alice, décédée dans un incendie. Autour de Lilas, on trouve donc le dealer perché dans sa tour, le fils de Marguerite, la petite Marie qui rêvait de faire partie du groupe des 4.
Donc, aucun des protagonistes n'a trouvé grâce à mes yeux et cela ne m'a pas aidé à m'accrocher à la lecture. Heureusement, la première partie du livre est assez accrocheuse. C'est la seconde qui est le plus problématique. La quête part un peu dans tous les sens et paraît assez improbable. Je ne parle même pas de la fin, qui est pour moi complètement tirée par les cheveux et à laquelle je n'ai pas du tout adhéré.

Finalement, c'est dommage, car il y a dans ce livre une atmosphère intéressante et Alexandra Julhiet aurait vraiment pu nous livrer un super thriller. Je ne comprends pas comment elle a pu arriver à cette fin. Ou alors peut-être si elle avait été amenée différemment, cela aurait pu à la rigueur me faire changer d'avis. Mais là, j'ai trouvé cela tellement gros et long à arriver... que c'est une déception totale.

Le gros point positif reste pour moi la navigation entre les deux histoires, celle d'aujourd'hui et celle du livre narrant le passé des enfants. C'est vraiment ce qui nous tient jusqu'à la fin. L'ambiance du pensionnat est vraiment très prenante, on s'y voit, on a l'impression de ressentir les odeurs, de vivre les situations. C'est donc d'autant plus déçue que je ressors de cette lecture avec cette fin tirée en longueur qui m'a finalement tout gâché.

Quel dommage.
Quel dommage. Qu'est-ce qui a pris à Alexandra de nous donner une telle fin ?
On sent le talent de l'auteur, qui est bien là. Il ne lui reste plus qu'à trouver l'histoire qui nous clouera sur la croix du thriller et nous fera crier au génie.
Ce ne sera pas "Car un jour de vengeance".  J'espère que le suivant, oui.
 

A vous de me donner votre avis, si vous l'avez lu. Ceux qui l'ont mis dans leur bal, eh bien, foncez malgré tout et dites-moi ce que vous en avez pensé. Car, après tout, mon avis n'est que mon avis. Et vous, vous trouverez peut-être ce livre génial !

 

Car un jour de vengeance, de Alexandra Julhiet

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Car un jour de vengeance, d'Alexandra Julhiet - "www.audetourdunlivre.com"

Extrait :

J’avais du mal à respirer. Ni Chloé ni sa cliente ne faisaient attention à moi. Je me suis appuyée à la table couverte d’ouvrages pour ne pas tomber. Inspirer. Expirer. Se concentrer sur le mouvement de l’air dans mes poumons, dans ma gorge, dans mes narines. Cinq secondes à l’inspiration, cinq secondes à l’expiration. Cohérence cardiaque, censée atténuer les crises de panique. Ça n’a pas marché, foutaises de yogi. Proche de l’évanouissement, j’ai fait chuter une pile de bouquins, ai esquissé un petit signe d’excuses à Chloé avant de m’accroupir pour les ramasser. Inspirer. Expirer. Il y avait forcément une explication à tout ça ; une explication simple, logique qui me ferait rire une fois que je l’aurais trouvée. C’était ça ; une explication.

J’ai remis les livres en place, puis j’ai pris un exemplaire d’Ils n’étaient qu’un, avec précaution, comme s’il s’agissait d’un animal sauvage prêt à mordre. La couverture était granuleuse, le papier de piètre qualité. J’ai dû faire un effort pour déchiffrer le nom de l’auteur, caché dans l’incendie. Lola Bouscat. L’acronyme de Lazare-Olivier-Lilas-Alice.

Je l’ai ouvert, mes mains tremblaient. À l’intérieur, il y avait une dédicace : Aux fantômes du pensionnat. Je vous attends.

La voix de la libraire à mes côtés m’a fait sursauter. Je l’ai brusquement refermé, comme prise en faute.

— Ça va, Lilas ?

— Oui… Oui, oui.

Je lui ai montré le livre.

— C’est bien, ça ?

Elle a fait une petite moue qui voulait tout dire.

— Franchement ? Aucune idée. Mais le type qui a fait la couverture était daltonien si tu veux mon avis.

— Tu connais la maison d’édition ?

— Non, d’ailleurs c’est un peu bizarre. Elle est sortie de nulle part, a priori ils sont suisses, c’est tout ce que je sais. Par contre ils ont bastonné niveau tirage.

Suisses. J’ai cru que j’allais défaillir. J’ai encore dû me retenir à la table pour ne pas tomber.

— Tu vois que ça va pas ! a dit Chloé en me rattrapant. Tu veux un verre d’eau ?

— Non, non je dois aller prendre mon train. Ça ira mieux quand je serai assise dans le wagon…

— OK…, a-t-elle dit, pas convaincue. Presse-toi ou tu vas finir par le rater. Tu passeras le bonjour à Claude.

— Je n’y manquerai pas. Je vais quand même te le prendre…

Chloé m’a regardée, surprise.

— Le polar, c’est pas trop ton truc pourtant !

— Justement, j’ai envie de changer.

Nous nous sommes dirigées vers la caisse, mon sac a cogné contre une table et trois piles de livres se sont écroulées. Décidément.

— T’inquiète pas, a dit Chloé en se retournant à peine, je les remettrai après, tu es pressée.

J’ai payé en liquide, comme toujours. Chloé n’osait plus me parler, gênée. J’ai tenté de sourire.

— Merci, je te dirai comment c’est la prochaine fois que je viens.

— OK. Et repose-toi, hein, tu n’as vraiment pas l’air dans ton assiette.

— Merci.

Le carillon de l’entrée a retenti tandis que j’ouvrais la porte. Une fois dans la rue, j’ai commencé à courir comme une folle vers la gare, empêtrée avec mes affaires, ce satané bouquin collé contre mon cœur.

La micheline était presque pleine. C’était le vendredi soir, les internes rentraient chez leurs parents, bruyants, heureux, agités. J’ai trouvé une petite place près de la fenêtre, à côté d’un groupe silencieux – les ados étaient scotchés sur leur portable comme si leur vie en dépendait, écouteurs enfoncés dans les oreilles ; on avait vraiment créé une génération de décérébrés qui ne tarderaient pas à tous devenir aveugles et sourds.

J’ai calé ma valise sous le siège. Dehors, le soleil se couchait sur les volcans, le doigt de Dieu pointait au travers des nuages. La lumière d’Auvergne, celle dont j’étais tombée amoureuse… Celle que quelqu’un venait de m’enlever. J’avais envie de pleurer – moi qui pourtant ne pleurais jamais.

J’ai posé le livre sur mes genoux. J’espérais encore trouver une explication rationnelle à tout ça. Marguerite m’attendait pour le dîner, elle avait certainement cuisiné des lasagnes et ouvert une bouteille de rouge. J’irais laisser mes affaires à la maison puis je traverserais le bois de nuit pour la rejoindre. La lune éclairerait mes pas, j’entendrais le bruit du lac et des branches dans les arbres. Félix arriverait. À présent qu’il était majeur, sa mère lui proposerait un verre…

J’ai secoué la tête tellement fort que mon voisin, un ado boutonneux fan de death metal au regard de sa coupe de cheveux et de son T-shirt, a sursauté tout en émettant un petit claquement de langue réprobateur. Bien sûr, la vie allait continuer comme avant, j’allais manger des lasagnes et boire trop de vin rouge. À d’autres ! Je me racontais des histoires et je le savais. Ce satané bouquin me brûlait les genoux. OK. Toi et moi on va se parler maintenant. Tu vas me dire qui tu es vraiment et pourquoi tu es là. Mais je n’ai pas réussi à l’ouvrir : je l’ai fixé encore et encore sans que rien se passe.

« Prochain arrêt : Le Cendre-Orcet. Prenez garde à ne rien oublier à votre place. »

L’ado boutonneux s’est levé pour se diriger vers la porte au fond du wagon, suivi par d’autres jeunes. J’ai caressé la couverture du livre : le symbole avait été imprimé sur le château en

flammes. En le touchant, j’avais le sentiment de frôler ma cicatrice. C’était bizarre. C’était… vertigineux.

— Alors, vous revenez d’où cette fois-ci ?

La voix de Claude le contrôleur m’a sortie de mon tourbillon. Il était pareil à lui-même, engoncé dans son uniforme, sentant le gars qui se néglige, souriant de toutes ses dents de travers. Je lui ai rendu son sourire, un sourire forcé, mais il ne s’en est pas rendu compte. Je savais qu’il était marié, qu’il avait deux enfants, qu’il était contre la réforme des retraites et qu’il votait à droite, que son grand-père avait été adjoint au maire du Puy-en-Velay et que sa femme était fonctionnaire aux impôts. Il flirtait avec moi gentiment lors de mes voyages, mais il aurait été bien embêté si j’avais répondu favorablement à ses appels du pied. Mais lui, que connaissait-il de moi ? Que depuis des années je prenais le train Clermont-Ferrand - Issoire. Que j’aimais lire et que j’avais un faible pour les bonbons chimiques. Que je n’étais pas d’ici, certainement d’une grande ville à l’origine, vu mon « allure ».

Mais Claude en savait sans doute plus que je ne le pensais. Les commérages vont vite, les gens ont toujours besoin de se comparer à leurs voisins pour se situer sur l’échelle de la vie. Si Claude avait tendu l’oreille, qu’aurait-il entendu ? Que je vivais dans une vieille bâtisse isolée et un peu délabrée qui donnait sur le lac, avec une des plus belles vues de la région. Que je traînais avec Marguerite et parfois avec les « marginaux », un groupe d’anciens citadins installés en semi-autarcie dans les collines. Que j’étais polie et réservée. Qu’on ne me connaissait pas d’histoire d’amour ou même de liaison, alors que j’étais encore presque jeune et assez jolie. Que je voyageais beaucoup. Que je m’appelais Lilas, comme la fleur de printemps qui grandit au milieu des anfractuosités rocheuses. Que le postier n’avait jamais rien pour moi dans sa besace, ni lettres, ni colis, ni paquets. Que j’avais certainement quelque chose à cacher. Mais quoi ?

Le train a redémarré. Claude me regardait, mal à l’aise, attendant ma réponse, hésitant sur la conduite à tenir. Il avait des auréoles de transpiration sous les bras. J’ai souri.

— Désolée, je suis fatiguée. Je viens de Paris. Vous avez bien du monde aujourd’hui.

— Vous connaissez le vendredi soir. On dit que les jeunes fuient la région, en réalité ils reviennent dès qu’ils peuvent. C’est chez eux !

— Ils ont raison. C’est beau ici.

Claude s’est rengorgé.

— Et puis on y mange bien ! Allez, je vous laisse lire. Bonne soirée, jolie madame !

— À bientôt. Prenez soin de vous.

Il m’a regardée, touché. Ça se voyait que c’était un bon gars.

— Vous aussi.

Claude s’est éloigné en tanguant entre les sièges. Nous étions à moins de dix minutes d’Issoire. J’ai hésité. Lire le premier chapitre ou le dernier ? Le dernier. J’ai ouvert le livre. Tourné les pages jusqu’à la fin. C’était par là qu’il fallait que je commence.

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