Au détour d'un livre

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Les ritals, de Cavanna

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Résumé :
« C'est un gosse qui parle. Il a entre six et seize ans, ça dépend des fois. Pas moins de six, pas plus de seize. Des fois il parle au présent, et des fois au passé. Des fois il commence au présent et il finit au passé, et des fois l'inverse. C'est comme ça, la mémoire, ça va ça vient. Ça rend pas la chose plus compliquée à lire, pas du tout, mais j'ai pensé qu'il valait mieux vous dire avant.

C'est rien que du vrai. Je veux dire, il n'y a rien d'inventé. Ce gosse, c'est moi quand j'étais gosse, avec mes exacts sentiments de ce temps-là. Enfin je crois. Disons que c'est le gosse de ce temps-là revécu par ce qu'il est aujourd'hui et qui ressent tellement fort l’instant qu’il revit qu’il ne peut pas imaginer l’avoir vécu autrement »

Auteur : François Cavanna
Nombre de pages : 384
Édition :  Le livre de poche
Collection : Littérature et documents
Date de parution : 1er avril 1980
Prix : 7.20€ (poche)
ISBN : 978-2253024637  

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Avis / Critique :

 C’est le premier des récits autobiographiques de Cavanna, et c’est probablement un de ceux qui a consacré comme un grand auteur celui qui était auparavant considéré comme le provocateur en chef de la bande de Hara-kiri.
Il y raconte son enfance à Nogent-sur-Marne dans le quartier des immigrés italiens « les ritals », lui-même né d’un père italien et d’une mère française. Ça se passe dans les années 30. À l’époque, les italiens n’étaient pas très bien vus. C’étaient eux les immigrés venus prendre le pain des français. Le petit François fait les quatre-cent coups, à cheval entre la culture ritale, dans la rue, et française, à l’école.
Cavanna, c’est débord un style. Il écrit comme il parle, mais comme il parle bien, il écrit bien. Ce n’est pas le premier à l’avoir fait, il a eu d’illustres prédécesseurs comme Céline ou San Antonio, mais il le fait avec humour, avec subtilité, il sait dire des grandes choses avec des mots simples. C’est agréable à lire, on a l’impression d’entendre un type passionnant qui raconte sa vie. Et puis il y a une truculence, notamment quand il écrit avec l’accent Italien : on a vraiment l’impression de l’entendre, ecco.
Alors bon, il ne faut pas chercher de chronologie dans ce livre, il raconte les souvenirs comme ils viennent, fait des digressions, passe d’un sujet à un autre dans le même chapitre, voire dans le même paragraphe, au hasard des anecdotes.
Mais ce qui ressort dans ce livre, et l’auteur ne s’en cache pas, c’est l’amour qu’il a pour son père. Il ne paye pas de mine ce maçon mal dégrossi, à peine descendu de ses montagnes italiennes. Il est bon et humble. On l’aime bien dans le quartier, il rend service, on se moque de lui des fois. Mais l’auteur l’aime vraiment, sa plume est bourrée d’émotion quand il en parle.
Cavanna continuera ensuite de raconter sa vie dans d’autres livres : Les Russkoffs, autre chef d’œuvre, ou Bête et Méchant, déjà chroniqué ici, où il raconte les débuts de Hara-Kiri. Les Ritals est le point de départ de tous ces récits.

Un livre indispensable.

 

Autre livre de Cavanna chroniqué sur le blog :

- Bête et méchant

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Les ritals, de François Cavanna - www.audetourdunlivre.com

Extrait :

Les Ritals, ça s’engueule pas, ça se bat pas. En tout cas, tu vois rien de l’extérieur. Les Français disent que c’est des hypocrites. Le père fronce le sourcil, les mômes filent, font ce qu’ils ont à faire, sans un mot. Le père cogne rarement. Il faut que ce soit très grave. Un crime. Avoir répondu « non » à la mère, par exemple. Alors, il déboucle sa ceinture de cuir. Deux coups, pas plus, mais secs, sur les mollets. Si c’est encore plus grave, il frappe avec le côté de la boucle en fer. Le père ne crie pas. Il engueule le môme à voix contenue, entre ses dents. Ses yeux sont terribles. Le môme serre les mâchoires, crève de rage rentrée, pleure en dedans, ne dit rien. Ne jamais perdre la face, surtout devant les Français. Maman est éperdue d’admiration et d’envie. Elle voudrait que papa soit comme ça. Un chef. Un dieu. Papa ne m’a jamais battu. C’est pas un dieu, papa. J’ai pas peur de lui. Si je fais le con, il est triste. Il me dit: « Pourquoi tou fas goler ta mère? » Je fais le con pas plus qu’un autre, plutôt même moins. Mais maman est difficile à contenter.
Moi, les petits Ritals, les pur jus, ils me font un peu peur. Comme les Peaux-Rouges des illustrés, si stoïques si méprisants. Heureusement, ils sont pas tous aussi surhumains.
La rue, elle a sûrement pas bougé depuis Agnès Sorel. Sauf l’immeuble où nous habitons, le numéro trois, qui a été reconstruit en brique juste avant 1914 par les premiers Ritals débarqués, les deux Dominique, Cavanna et Taravella, les associés, les Patrons.
Papa aussi s’appelle Cavanna, mais on n’est pas parents. Enfin, si, on doit bien l’être un peu, si on voulait chercher, mais ça remonterait trop loin, ça s’est perdu. Ces Cavanna-là, c’est les Cavanna riches. Ça veut dire que là-bas, au pays, ils ont du bien. Papa est un Cavanna pauvre.
Les soirs d’été, les hommes descendent dans la rue avec des chaises, ils s’assoient à l’envers, le dossier devant, leurs bras posés dessus. Ils sont blancs de plâtre, ou gris de ciment, ils ne se changent pas en quittant le chantier. Ils se lavent le dimanche matin dans une bassine, la femme leur frotte le dos, la grande sœur monte la garde devant la porte de la cuisine pour que les petits ne risquent pas de voir le père à poil... Les gosses jouent dans le crépuscule qui n’en finit pas. Ils font des rondes. Les soirs d’été sont voués aux rondes, c’est comme ça, cherchez pas à comprendre, de même que l’hiver est la saison des billes et le printemps celle de la chaînette qu’on fait dans une bobine avec quatre clous. Toutes les rondes, on les connaît, rue Sainte-Anne, toutes. « Enfilons les aiguilles de bois », « Où est la Marguerite ? », « Qu’est-ce qui passe ici si tard ? », « Passe, passe, Nicolas », « Ah, mon beau château », « La tour, prends garde », « Le petit bossu »… Toutes les rondes françaises. Pas une italienne. Forcé : où s’apprennent les rondes? A la maternelle. Tous les petits Ritals vont à la maternelle pendant que les mères font des ménages. Ils passent de la berceuse italienne à la ronde française, fchiaff, coupure. Petits Ritals, vous serez des Français moyens, pour vos gosses l’Italie ne sera qu’un pays sur la carte, comme la Belgique ou la Pologne, juste un peu plus chouette pour passer les vacances... Petits Ritals, faites comme moi, barbouillez-vous de nostalgie, c’est un plaisir délicat que seuls peuvent s’offrir les déracinés, mais rien qu’un doigt, petits Ritals! La nostalgie, c’est comme tout, t’en prends t’en laisses, tu prends le bon, tu laisses le reste...
Les soirs d’été, les hommes assourdissent leurs voix, et ça fait dans la nuit bleue un doux couac-couac d’étang à grenouilles. Ils se roulent à la main des cigarettes de maçon, grosses comme des manches de pioche et toutes bourrelées de varices, avec le tabac qui sort comme le crin d’un vieux matelas. Papa aime mieux la chique. Il s’enfonce cinq centimètres de gros boudin noir dans la bouche – de la carotte, ça s’appelle, je lui achète chaque jour de l’an pour ses étrennes dix ronds de carotte au bureau de tabac, j’ai honte de demander ça, le bureau de tabac se fend la gueule –, il coupe d’un bon coup de dents tout ce qui ne veut pas rentrer, il le range soigneusement dans sa poche de veste où il y a déjà les os de son dernier dîner mis de côté pour le chien perdu qu’il ne va pas manquer de rencontrer ce soir ou demain, les clés des cadenas de ses boîtes à fourbi, des vis, des boulons, des rondelles, des ressorts de mètres, des clous encore tout bons y a juste qu’à les redresser, des carrés de journal bien découpés bien carrés pour aller aux cabinets, des bouts de ficelle, des élastiques, des tas de trucs formidables. Les poches de sa veste pendent de chaque côté comme des musettes, en plus il enfonce ses poings dedans quand il marche, bras tendus, faut le voir marcher, ça tire sur la veste, faut que ça se prête ou que ça craque. Les poches du pantalon sont bourrées aussi, mais ça se voit moins parce que c’est un pantalon large, genre zouave, bleu l’été, velours côtelé marron l’hiver, serré aux chevilles sur les grosses godasses croûteuses racornies par le ciment.
Il est petit, papa, tout petit, mais qu’est-ce qu’il est costaud ! Il est trapu et gras du bide, ça lui va très bien. Vous verriez ses yeux ! Bleus comme ces fleurs bleues, vous savez, quand elles se mettent à être vraiment bleues. Ses cheveux sont blancs et fins comme les fils de ces plantes qui poussent dans les haies, je sais pas comment ça s’appelle. Ils ont toujours été blancs. Quand il était gosse, au pays, les autres l’appelaient « Il Bianco ». Maintenant, ils l’appellent « Vidgeon Grosso » ou « Gros Louis » (prononcer « Louvi »), ils ne savent plus très bien s’ils parlent dialetto ou français, ils sont à cheval sur les deux. Il rit tout le temps, papa. Il s’arrête pile en pleine rue pour rire aux conneries qu’il raconte, il se plante sur ses deux cuisses, les poings enfoncés à bout de bras dans ses poches de veste, il renverse la tête en arrière et il lance à pleines mâchoires son rire au ciel. Les gens s’arrêtent et rient aussi, pas moyen de s’empêcher, c’est quelque chose, tiens. Il en pleure. Il tire son mouchoir de dessous les os, les clefs, les boulons, les ficelles, un mouchoir violet, à carreaux, grand comme un drap, il le roule en gros tampon, il se frotte les yeux à s’arracher les paupières, puis il se l’étale à plat sur la figure, il s’empoigne le nez à travers le mouchoir, il se mouche, pouët, les oiseaux se sauvent, c’est la panique, il se frotte le nez avec le mouchoir en boule, ça va mieux, le voilà reparti. Et redéconnant. Vingt mètres plus loin, ça recommence.
Quand papa me raconte ses histoires, des fois, le soir, dans notre cuisine, je me. marre, j’attrape le hoquet, je sais pas si c’est l’histoire, si c’est 1e mélange dialetto-français, si c’est l’accent, ou si c’est de voir rire papa. Il a du mal à arriver au bout tellement il rigole, et moi avec. Maman lui dit : « T’as pas honte de raconter des bêtises pareilles devant le petit ? » Maman, elle a pas la bouche qui se plie dans 1e sens de la rigolade. Ils sont tous comme ça, dans sa Nièvre. Hâves et sombres. C’est à cause de la vie qu’est tellement dure, par là-bas. Pourtant, en Italie, dans le coin d’où ils viennent tous, c’est encore plus dur. Rien que du caillou. Si t’as de la terre, tu te crèves et tu crèves de faim. Si t’en as pas, tu t’en vas en France, nu-pieds, servir les maçons. N’empêche, ils goûtent la vie, les Ritals.

 

 

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