Au détour d'un livre

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Successions : l'argent, le sang et les larmes, de Raphaelle Bacqué et Vanessa Schneider

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Résumé : Un père, des enfants, une entreprise à transmettre. Balzac en a fait le terreau de nombreux romans, les Américains des séries à succès, mais la réalité dépasse la fiction. Cette enquête riche en révélations plonge dans les coulisses et les secrets de famille du capitalisme français. Méconnues jusqu'à présent, les histoires de succession des Pinault, Decaux, Hermès, Mulliez, Peugeot, Gallimard ou Bettencourt racontent les privilèges, les haines et les trahisons qui empoisonnent les liens du sang.
Sujet tabou, dossiers explosifs. Histoire universelle.

Auteures : Raphaelle Bacqué et Vanessa Schneider
Nombre de pages : 240
Édition : Albin Michel
Date de parution : 5 octobre 2022
Prix : 20.90€ (Broché) - 14.99€ (epub, mobi) - 0€ (essai audible)
ISBN : 978-2226476647

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Avis / Critique :

Quelles sont les grandes fortunes de France ? Comment vivent ces riches et comment transmettent-ils leur patrimoine ? Comment s'est faite leur fortune ?
On imagine quand on se trouve en bas de l'échelle que vivre avec une cuillère en argent vous donne nombre de privilèges et qu'il est facile de se faire une place dans l'entreprise de papa ou de maman sans avoir à lever le petit doigt.
"Être fils ou fille de", bref, c'est super.
Alors ne nous y trompons pas, avoir un nom ouvre les portes, mais parfois, il semble que cela soit aussi un poids notamment à l'intérieur même de la famille. Car effectivement, qui choisir quand on est le fondateur d'une entreprise qui figure au CAC40 ? Est-ce l'aîné ? Le meilleur d'entre eux ? Et pourquoi ne pas lancer une compétition interne ? Finalement, pourquoi ne prendrait-on pas quelqu'un d'extérieur pour pérenniser l'empire ? Et quand est-il des rapprochements de patrimoine ?
Pourquoi certaines familles sont-elles sur le devant de la scène quand d'autres aiment à cultiver le secret tout en étendant leur toile ?

Raphaelle Bacqué, et Vanessa Schneider, deux journalistes s'intéressent donc au travers de ce livre à l'univers impitoyable (pas toujours) des grandes familles économiques de la France d'aujourd'hui : les Pinault, Decaux, Hermès, Mulliez, Peugeot, Gallimard et Bettencourt. Dans un premier temps, elles nous narrent l'histoire de ces familles de l'origine à aujourd'hui, puis s'intéressent au passage. A qui donner le flambeau ? Chez certains, le père prépare très tôt sa progéniture, soit en le plongeant très jeune dans l'entreprise, soit en le poussant aux études, soit en le testant parmi plusieurs afin de déterminer qui remportera le Graal. Certains des enfants ou des frères et sœurs se disputent, la dissension s'opère, d'autres se soudent pour pérenniser l'empire quand d'autres préfèrent nommer un capitaine d'industrie issue des grandes écoles ou du CAC 40. mais il y en a certains, comme Jérôme Seydoux, qui décide de vendre ses parts pour priver ses enfants de ce qu'il a construit, demeurant le seul et l'unique. Chez Gallimard, les frères deviennent ennemis. Chez les Mulliez, tout le monde est sur le navire avec un interdit, celui de vendre ses parts à d'autres que la famille afin de garder l'empire en interne et d'empêcher sa captation par d'autres.   

A travers la lecture de ce "Successions", les deux autrices parviennent à nous faire rentrer dans ces différentes familles ou comme le dit le sous-titre : l'argent, le sang et les larmes fusent. Tout est en effet loin d'être rose au sommet de ces empires et il est dur quand on est l'un des enfants de trouver sa place. C'est ainsi que l'on voit certain préférer gagner leur vie autrement et toucher les dividendes en temps voulu. Il y a un peu de l'esprit de Dallas avec des guerres intra-utérines et pour d'autres, c'est la logique qui s'opère. Tout cela est finalement bien retranscrit par  Raphaelle Bacqué et Vanessa Schneider qui ont pu rencontrer les membres de ces grandes familles françaises et se faire expliquer leur modus operandi de la succession.

Ce qui est fondamentalement intéressant dans cet ouvrage, c'est sans conteste la description des rapports humains qui se joue dans les familles de ces capitaines d'industrie. Sur un sujet qui aurait pu être pompeux, Bacqué et Schneider parviennent à nous entrainer au cœur de ces sagas familiales et découvrir, parfois, un envers que l'on ne soupçonnait pas. 
Succéder n'est pas toujours une partie de plaisir et les matchs de boxe, les rancœurs, les haines, les tromperies, mais aussi les amours, les amitiés sont au cœur de ces familles. La compétition est féroce pour se hisser en haut et parfois se montre impitoyable. Mais après tout, avec de telles fortunes et de tels enjeux, comment pourrait-il en être autrement ? Le meilleur l'emporte et écarte les autres sur son passage, c'est le combat des loups.

Bref, voici une lecture agréable avec des histoires, certaines plus prenantes que d'autres, et une vision différente que celle que l'on peut imaginer de ce milieu. Même si je dois le dire pour certaines familles, les autrices auraient pu approfondir le sujet, le format de 240 pages est suffisant pour garder captif le lecteur. Cent pages de plus, cela aurait été trop.

Bref, "Successions" est un bon livre qui permet de découvrir avec intérêt l'envers du décor de certaines grandes familles du CAC 40.

 

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Extrait :

En France, on compte quelque six mille entreprises familiales, et le principal danger qui les menace n’est ni l’État ni les chaos de l’économie, mais bien souvent les mésententes entre héritiers. Une entreprise familiale sur deux ne survit pas à son créateur. On comprend dès lors que, pour fortifier la stabilité de leurs sociétés, les dynasties s’attachent à préserver avant tout les liens du clan. Celles que nous avons observées vivent pour la majeure partie dans un entre-soi qui les entretient dans l’idée qu’elles font partie d’un monde à part. Leurs membres habitent dans les mêmes quartiers de Paris, le VIIIe, le XVIe arrondissement, ou à Neuilly. Ils se retrouvent dans les enclaves d’ultra-riches, la villa Montmorency où ont vécu les Bolloré, Arnaud Lagardère ou le milliardaire Xavier Niel, gendre de Bernard Arnault. À force de s’observer par les fenêtres et de recueillir les récits de leur personnel, ils connaissent les habitudes des uns et des autres, leurs manies, leurs secrets aussi. Leurs maisons de vacances se situent dans les lieux clos et privilégiés : aux Parcs à Saint-Tropez où règnent Bernard Arnault et Vincent Bolloré, dans les Yvelines où les Pinault et les Lagardère partent le week-end, dans des demeures cossues de La Baule comme les Decaux ou en Normandie comme les Gallimard ou les Seydoux. Ils fréquentent les mêmes lieux et leurs enfants sont souvent scolarisés dans les mêmes établissements. On inscrit les rejetons à Saint-Louis-de-Gonzague, cet établissement catholique que les initiés appellent Franklin, ou à Saint-Jean-de-Passy dans le même arrondissement. Jeunes, ils iront ensuite dans les mêmes fêtes, seront invités dans les mêmes rallyes et danseront dans les mêmes boîtes de nuit de l’Ouest parisien. Les patrons ayant le souci de transmettre craignent plus que tout les mésalliances. Ce n’est ainsi pas tout à fait un hasard si Yannick Bolloré a épousé une fille Bouygues. La femme de Pierre Peugeot est une Seydoux, cousine germaine de Jérôme, Nicolas et Michel. Et si l’on ne s’épouse pas, on se fréquente et on travaille ensemble. La décoratrice des magasins Hermès, Rena Dumas, épouse du PDG de l’époque, Jean-Louis Dumas, a refait l’intérieur de l’avion de François Pinault.

Au sein des conseils d’administration de certaines familles, il peut arriver que l’on trouve d’autres héritiers : Sophie Bellon et Alexandre Ricard sont ainsi entrés dans celui de L’Oréal. « Je pensais qu’ils auraient des points communs », explique Jean-Paul Agon à l’initiative de cette cooptation. Il avait aussi fait entrer Axel Dumas, le PDG d’Hermès avant que celui-ci ne lance à son tour une marque de cosmétique, ce qui a rendu sa présence incompatible.

Dans cette élite des grandes fortunes, il y a bien sûr des exceptions comme les Mulliez, détenteurs d’Auchan, Decathlon, Kiabi, Norauto, Flunch, etc., qui prospèrent en toute discrétion sans fréquenter aucun lieu de pouvoir ou de mondanités. Nul ne connaît leurs noms et leurs visages, ils habitent toujours le nord de la France, ne se rendent jamais à aucune festivité où les puissants se jaugent. Mais la plupart évoluent dans un minuscule univers et ont été marqués par des histoires semblables. L’enlèvement du petit Éric Peugeot, 

en avril 1960, a réveillé un sentiment de vulnérabilité chez beaucoup qui, comme les Arnault ou les Bettencourt, ont tenté de protéger leurs enfants en les élevant sous l’œil vigilant de gardes du corps. Dans un autre registre, la mort brutale de Jean-Luc Lagardère qui avait mal préparé sa succession a traumatisé ses contemporains, qui comme François Pinault se sont fait fort de réfléchir très tôt à la leur.

« La première génération crée, la seconde gère, la troisième tue. » Cette prophétie que se répètent les familles du monde des affaires est dans tous les esprits : comment éviter la malédiction de la disparition ? Pour les nouvelles fortunes, comme les Arnault, Bolloré, Decaux, Bouygues ou Pinault, l’enjeu est déjà de réussir la première étape. Pour les vieilles familles, celles dont les marques ont traversé le siècle, comme les Peugeot, les Hermès, les Bettencourt ou les Mulliez, le défit est différent : comment donner aux héritiers l’envie de continuer une aventure lancée plusieurs générations avant eux ?

Dans un cas comme dans l’autre, l’éducation est au cœur de tout. Chacun a sa méthode pour élever sa descendance. Elle est souvent la reproduction de sa propre expérience familiale. Ainsi le polytechnicien Bernard Arnault ne jure que par les grandes écoles tandis que les autodidactes Jean-Claude Decaux ou Vincent Bolloré n’ont exigé de leurs enfants qu’un vernis scolaire minimal. Le rapport à l’argent est également fondamental. Si Arnaud Lagardère ne s’est jamais rien vu refuser par son père qui compensait son absence par des cadeaux et un train de vie luxueux, d’autres familles comme les Mulliez, les Decaux ou les Bettencourt veillent à ce que leur progéniture gardent le sens et la mesure de l’argent.

Certaines transmissions font figure d’exemples. Les Decaux, les Hermès, les Pinault ou les Mulliez ont chacun à leur façon remporté leur pari. Les familles, conscientes de l’importance vitale de l’enjeu d’une succession, s’échangent parfois des conseils à ce sujet. Le jeune Armand Peugeot, 29 ans, comme quelques années avant son aïeul Pierre, est allé voir les dirigeants Mulliez pour comprendre comment perpétuer un lien familial et donc la vie de l’entreprise avec un nombre toujours croissant d’héritiers. Il a retenu de sa rencontre un constat en forme d’avertissement : « Les non-dits entraînent les maladies et les maladies entraînent les malédictions. » En bref, il est vital de se parler, d’échanger, de multiplier les occasions de se voir entre cousins et de tisser des liens. Les Dassault sont allés également demander aux Mulliez, qui se sont transformés en véritables experts ès successions, leurs recettes d’une transmission réussie.

À force de s’observer, ces familles puissantes connaissent les dangers qui les guettent. Jean-Claude Decaux n’avait qu’une hantise : faire des « fils à papa », et a jeté les siens, tout jeunes, dans le grand bain de l’entrepreneuriat. Il a su lâcher les rênes très tôt aussi, donnant la nue-propriété de son entreprise à ses trois enfants alors qu’il était à peine âgé de 40 ans. « Une transmission c’est une course de relais, explique son fils Jean-Charles. Soit on traîne et le passage de témoin se passe mal, soit il se fait à pleine vitesse et on a des chances de gagner. »

Voilà le décor posé. Plusieurs milliards en actions et dividendes, des milliers d’emplois, des marques mondiales sont en jeu et c’est ce déferlement de richesse et de pouvoir qui aiguise la violence des passions. Lorsque la puissance des liens du sang se heurte aux intérêts capitalistiques, quand la réalité des rapports de force malmène la pureté des sentiments, Balzac se fait Shakespeare. Car derrière les noms prestigieux de ces grands squales des affaires, se cachent des amours contrariées, des ressentiments profonds et des enfants perdus.

La matrice universelle de toute famille.

 

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