Au détour d'un livre

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Nickel Boys, de Colson Whitehead

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Résumé : Dans la Floride ségrégationniste des années 1960, le jeune Elwood Curtis prend très à cœur le message de paix de Martin Luther King. Prêt à intégrer l’université, il voit s’évanouir ses rêves d’avenir lorsque, à la suite d’une erreur judiciaire, on l’envoie à la Nickel Academy, une maison de correction où les pensionnaires sont soumis aux pires sévices.

PRIX PULITZER

Auteur : Colson Whitehead
Nombre de pages : 264
Édition : Le livre de poche
Date de parution : 5 janvier 2022
Prix : 7.90€ (Broché) - 7.50€ (Poche) - 6.99€ (epub, mobi)
ISBN : 978-2253935025

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Avis / Critique : 

Nord du campus de Nickel.
Sur un demi-hectare, là où autrefois il y avait une pâture, une esplanade dédiée à la restauration est en passe d'être construite. Mais voilà que sur place, des tombes anciennes sont repérées. Il ne s'agit pas du cimetière officiel mais d'un clandestin. A l'intérieur, le corps de jeunes garçons avec des crânes enfoncées et des thorax criblés de chevrotines. La question se pose : que s'est-il donc passé et à qui appartiennent ces corps ?
C'est alors que le réel va révéler des faits impensables.

Elwood est un jeune garçon élevé par sa grand-mère dans l'Amérique ségrégationniste. Il passe ses journées après l'école à lire des Comics et à aider à l'hôtel où travaille sa grand-mère. Le soir, il écoute le disque sur lequel Martin Luther King a enregistré son discours. Peu à peu l'Amérique s'ouvre et Elwood qui en grandissant travaille ensuite dans la boutique d'un italien comme vendeur, a l'opportunité de rejoindre l'Université. Il sera ainsi l'un des premiers étudiant noirs à fréquenter une université autrefois réservé aux blancs. Mais alors qu'il est sur le point d'y arriver, il monte à bord d'une voiture qui s'avère être volée. Arrêté avec le voleur, il passe devant un juge qui l’envoie à Nickel, une maison de redressement en Floride. Là, il va trouver un monde qu'il ne soupçonnait pas, ou blancs et noirs se mélangent mais même chez les délinquants, il y a de la ségrégation. Alors qu'il vient en aide à l'un de ses camarades qui se fait battre, il se fait rouer de coups par le directeur, le laissant presque sur le carreau. Adieu l'université, Elwood va devoir jouer très fin pour sortir vivant de Nickel et passer à travers les obstacles.

C'est un livre poignant que nous livre là Colson Whitehead. On découvre un monde que l'on a du mal à concevoir en France et qui pourtant à bien exister il y a encore quelques décennies seulement aux États-Unis. Whitehead (tête blanche, en français) nous raconte à travers la vie du jeune Elwood comment étaient traités les enfants noirs autant dans la société que dans cette école de Floride qui est le pendant d'une véritable école ayant existé dans un autre État. Là, on voit que les rations de nourriture sont dépassées en date, que les nouvelles sont livrées à l'épicerie du coin contre argent, que les jeunes sont envoyés à travailler chez les locaux du coin, que les dortoirs sont vétustes, et j'en passe. Mais le pire réside à n'en point douter dans les traitements réservés à ceux qui osaient se rebiffer un tantinet comme l'exemple de cet ado qui a refusé de se coucher pour un match de boxe et qui va se retrouver enchainé avant d'être battu.

Le livre de Colson Whitehead se déroule en trois étapes : en premier, nous assistons à l'enfance d'Elwood avec sa grand-mère, puis en second à son passage à Nickel et ensuite l'auteur nous transpose dans New York où là, il nous livre une surprise à laquelle le lecteur ne s'attend pas.

C'est un livre témoignage d'une époque heureusement révolue, où la cruauté et l'intolérance de certains hommes pouvaient montrer ce qu'il y avait de plus mauvais chez l'humain. L'auteur, sans tomber dans le pathos, nous livre le récit d'Elwood et par son truchement l'histoire des noirs américains dans une société où la ségrégation même finie avait encore de beaux jours devant elle.
C'est un livre poignant par moment, beau par d'autres. J'ai beaucoup aimé la première partie de l'ouvrage où Elwood a comme rêve d'étudier à l'Université, sa complicité avec sa grand-mère, avec même l'épicier qui l'emploie. La seconde partie est plus difficile et certains passages sont, où mal traduit où mal structurés dans l'édition française. Il y a des longueurs, certains moments comme celui de la boxe sont longs et enlèvent de l'intérêt au livre. Pour ce roman, Colson Whitehead a reçu le prix Pulitzer. Pour moi, si ce roman nous montre une réalité, il en existe d'autres qui méritaient ce prix et ce, en abordant la même thématique et en étant plus coup de poing. Ce roman est en effet très bon sur le fond mais pêche parfois sur la forme, avec des moments d'ennuis et de longueurs. 
C'est en tout cas, un livre à lire par le contenu qu'il expose et pour se rappeler qu'un tel monde ne doit plus jamais exister. A conseiller pour tous les élèves de nos écoles.

 

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Extrait  :

PROLOGUE

Même morts, les garçons étaient un problème.

Le cimetière clandestin se trouvait dans la partie nord du campus de Nickel, sur un demi-hectare de mauvaises herbes entre l’ancienne grange et la déchetterie de l’école. Ce champ avait servi de pâture à l’époque où l’établissement exploitait une laiterie et en vendait la production dans la région – une des combines de l’État de Floride pour décharger les contribuables du fardeau que représentait l’entretien des garçons. Les promoteurs de la zone d’activités avaient décidé de construire sur ce champ une esplanade dédiée à la restauration, avec quatre pièces d’eau et un kiosque en béton pour des événements occasionnels. La découverte des corps représentait une complication coûteuse pour la société immobilière qui attendait la validation de l’étude environnementale, ainsi que pour le procureur de l’État, qui venait de clore une enquête sur les histoires de maltraitances. Il allait falloir en lancer une nouvelle, établir l’identité des victimes et la cause de leur mort, et personne n’était capable de déterminer quand on pourrait enfin raser, nettoyer et effacer ce lieu des mémoires, même si tout le monde s’accordait à dire qu’il était grand temps.

Tous les garçons connaissaient cet endroit de malheur. C’est une étudiante de l’université de South Florida qui en révéla l’existence au reste du monde, des décennies après que le premier élève eut été ficelé dans un sac à patates et balancé là. Quand on lui demanda comment elle avait repéré les tombes, Jody répondit : « La terre était pas normale. » Le sol enfoncé, les herbes clairsemées. Cela faisait plusieurs mois qu’elle et son groupe de l’université fouillaient le cimetière officiel de l’école. L’État ne pouvait en céder la propriété tant que les dépouilles n’auraient pas été convenablement déplacées, et les étudiants avaient besoin de travail de terrain pour valider leur année. Ils quadrillèrent la zone au moyen de piquets et de fil de fer, creusèrent avec des pelles et de petits engins. Quand ils eurent fini de tamiser la terre, des os, des boucles de ceinture et des bouteilles de soda s’entassaient dans leurs bannettes, composant une exposition absconse.

Comme au temps du Far West où on enterrait les morts avec leurs bottes, les garçons surnommaient le cimetière officiel « Boot Hill », une allusion aux films qu’ils allaient voir le samedi après-midi avant que leur condamnation à Nickel ne les prive de tout loisir. Le nom resta et parvint, des générations plus tard, aux oreilles d’étudiants de South Florida qui n’avaient jamais vu un western de leur vie. Boot Hill était situé au sommet de la grande colline du campus Nord. L’après-midi, quand il faisait beau, la lumière du soleil se réfléchissait sur les X en béton blanc qui signalaient les tombes. Les deux tiers des croix comportaient un nom ; les autres étaient vierges. L’identification se révéla difficile, mais l’esprit de compétition qui animait les jeunes archéologues fut la source d’avancées constantes. Les archives de l’école, quoique lacunaires et incohérentes, permirent de déterminer qui avait été WILLIE 1954. Les restes carbonisés correspondaient aux garçons qui avaient péri dans l’incendie d’un dortoir en 1921. Des tests ADN réalisés sur des parents survivants – quand les étudiants purent en retrouver la trace – établirent un lien entre les morts et le monde des vivants, qui perdurait sans eux. Sur les quarante-trois corps, sept demeurèrent anonymes.

Les étudiants entassèrent les croix en béton près du site de fouilles. Lorsqu’ils vinrent reprendre le travail un matin, elles avaient été brisées et réduites en miettes.

Boot Hill délivra ses garçons un par un. Quand elle découvrit ses premiers restes en nettoyant au jet des objets sortis des tranchées, Jody eut un frisson d’excitation. Le Pr Carmine lui dit que l’os en forme de flûte qu’elle tenait dans la main appartenait vraisemblablement à un raton laveur ou autre petit animal. Mais, avec le cimetière clandestin, elle eut l’occasion de se racheter. Elle le découvrit alors qu’elle arpentait le chantier en quête de réseau téléphonique. Son professeur confirma son pressentiment, à l’aune des anomalies du site : toutes ces fractures, ces crânes enfoncés et ces cages thoraciques criblées de chevrotine. Déjà que les dépouilles mises au jour dans le cimetière officiel étaient suspectes, qu’avait-il pu arriver à celles qui étaient enterrées dans la partie non signalée ? Deux jours plus tard, les chiens de détection et l’imagerie radar corroborèrent son intuition. Pas de croix blanches, pas de noms. Rien que des ossements attendant qu’on les trouve.

« Et ils appelaient ça une école », dit le Pr Carmine. On peut cacher bien des choses dans un demi-hectare de terre.

Un des garçons ou un parent alerta la presse. Les étudiants avaient fini par nouer des liens avec certains d’entre eux, après tous ces entretiens. Ces garçons leur rappelaient les oncles bougons et les têtes de bois des quartiers de leur enfance, des hommes qui s’adoucissaient parfois lorsqu’on les connaissait mais dont le cœur demeurait dur. Les étudiants leur parlèrent du second site d’inhumation, ils parlèrent aux familles des enfants morts qu’ils avaient déterrés, et une chaîne locale de Tallahassee dépêcha un reporter. Ce n’était pas la première fois que les garçons évoquaient le cimetière clandestin, loin de là, mais, comme toujours quand il s’agissait de Nickel, personne ne les croyait tant qu’ils étaient les seuls à s’exprimer.

La presse nationale s’empara de l’histoire et le public eut pour la première fois un aperçu de ce qu’avait vraiment été l’école disciplinaire. Nickel était fermé depuis trois ans, ce qui expliquait l’état sauvage du terrain et l’habituel vandalisme adolescent. Même le plus innocent des décors – un réfectoire, un terrain de football – prenait un aspect sinistre, sans qu’il y ait besoin de recourir à des trucages photographiques. Les images étaient dérangeantes. Des ombres tremblantes s’insinuaient dans les coins et la moindre tache évoquait du sang séché. À croire que l’équipement vidéo faisait ressortir la nature sombre de chaque image, absorbant le Nickel visible et recrachant le Nickel invisible.

Si cela se produisait avec les lieux les plus anodins, pouvez-vous imaginer le résultat lorsqu’ils étaient hantés ?


 

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