Au détour d'un livre

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Le bâtard de Nazareth, de Metin Arditi

Le bâtard de Nazareth, de Metin Arditi

 

Résumé :

Quelle a été la vraie vie de Jésus ?

À Nazareth, au début de notre ère, personne n’ignore que Jésus n’est pas le fils de Joseph. Marie, fille-mère, est rejetée et méprisée par sa communauté, de même que son enfant : telle est l’exigence de la loi juive à l’égard des bâtards. En grandissant, Jésus n’a de cesse de lutter pour les exclus et les marginaux comme lui. Jusqu’au jour où il rencontre Judas. Et Judas, bâtard lui aussi, a un plan pour restaurer leur dignité.

Auteur : Metin Arditi
Nombre de pages : 216
Éditeur : Points
Date de parution : 22 mars 2024
Prix : 19€ (Broché) - 7.99€ (epub, mobi) - 7.90€ (poche)
ISBN : 979-1041414222

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Avis / Critique :

Vous ne pensez pas que Jésus soit né d'une femme vierge et soit le fils de Dieu ?
Mais qui est cet homme qui a changé la face du monde ? Comment est parvenu jusqu'à nous son message ? Quel a été le vrai rôle de Judas dans tout cela ?

Metin Arditi, écrivain francophone d'origine turque, s'est inspiré du Toledoth Yeshuh, un récit talmudique qui se veut être une parodie de l'histoire de Jésus relatée par les évangiles.
Ici, Jésus est redevenu un homme, fait de chair et de sang.

C'est donc dans une version moderne, dans l'écriture j’entends, que Metin Arditi a décidé de nous racontée l'histoire de Jésus.
Le livre débute avec un jeune Jésus âgé de tout juste cinq ans. Il s'amuse dans la cour avec un autre garçon du nom de Samuel. Samuel, d'ailleurs, est le seul à bien vouloir jouer avec lui dans le village. D'une part, parce que le caractère de Jésus est ombrageux, mais aussi et surtout parce que Jésus est un Manzer : un bâtard. Sa mère, la jeune Marie s'est faite violée par un soldat romain et elle a trouvé, heureusement, en Joseph, un homme sage qui a fait fi des lois de la Torah, et qui l'a accueilli, elle et son fils à naitre. Il faut dire que dans la loi juive, la mère d'un bâtard ou une femme adultère est considérée comme une Sota, une prostituée, et les bâtards comme des impurs qui ne pourront épouser qu'un autre ou une autre Manzer et ce, jusqu'à la dixième génération.

Jésus, va finir par découvrir la vérité de sa condition lors d'une dispute avec Samuel. Désormais, son seul ami sera son âne, Abraham. Il pourra, fort heureusement, compter sur l'amour de sa mère et de Joseph, son père "adoptif" pour calmer la rage qui règne alors en lui. Il ne comprend pas cette loi judaïque qui les bannit lui, et sa mère de la vie du village.
Et Jésus n'est pas n'importe quel enfant. Il est précoce. A l'âge de deux ans, il savait déjà lire et, à l'adolescence, il va chercher à comprendre le discours, le message de la Torah auprès du Rabbi Ezéchiel. Jésus ne comprend pas comment lui, sa mère, les lépreux, les indigents, pourraient être la cause de l'affaiblissement du peuple Juif. Il ne comprend pas plus pourquoi les femmes ont un statut inférieur à celui de l'homme. Bref, Jésus, s'il admet qu'il faut des lois et les suivre, il ne comprend pas pourquoi elles ostracisent une partie de la population. Cela ne va pas atténuer sa rage, bien au contraire. Celle-ci se fera entendre lorsque la famille se rendra devant le grand sanctuaire de Jérusalem et qu'il se fera bannir avec sa famille, car impurs.

Les années s'écoulant, Jésus reprendra le métier de Joseph en devant à son tour charpentier. Il s'intéresse également aux plantes, aux onguents, et soulagent les gens qui viennent le voir de leur tendinite, de leur foulure, de leur fracture, etc. Sa réputation de guérisseur est telle que les gens font fi de son statut de Manzer pour venir le voir. Et puis, vient la mort de Joseph et l'arrivée de Marie-Madeleine, jeune fille venue prêter main forte à Marie pour la maison. Jésus et Marie-Madeleine vont alors s'aimer.
Mais le destin de Jésus l'emmène ailleurs. Il rencontre Jean-Baptiste, qui, lui aussi réfutent les écrits tels qu'ils sont, fait le baptême. Notre charpentier-guérisseur va alors le suivre avant lui-même, à la mort de Jean-Baptise, de faire son propre chemin. Il veut que les Lois de la Torah soient interprétées de manière différente et pour cela, il va falloir se heurter à l'intolérance et au conformisme et s'entourer de compagnons qui seront bientôt ses apôtres.
Parmi ceux-ci, il y a Judas, qui comprend mieux que personne le désir de Jésus de modifier les choses, mais qui contrairement à lui, sait que le changement ne pourra se faire qu'en instituant une nouvelle religion à travers un mouvement, une secte. Et Judas fera en sorte que cela se produise, en provoquant les évènements, parfois pour le meilleur et pour la fin, pour le pire. Il posera les pions qui amèneront Jésus à la confrontation finale avec le Sanhédrin. Et il saura, à la fin, tourner les évènements de façon à propager et amplifier les miracles de Jésus, la résurrection de celui-ci. La nouvelle religion va pouvoir naitre et porter le message de fraternité, d'égalité et de respect de Jésus.

Cette histoire de Jésus racontée par Metin Arditi est profonde, humaine, et correspond à ce que certains pourraient s'imaginer de la vie de Jésus, tels que les faits auraient pu se passer. Cela rend plus crédible l'histoire de cet homme devenu l'équivalent d'un demi-dieu. Même si, au départ, elle est inspirée des écrits du Toledoth Yeshuh, un récit anti-chrétien visant à discriminer Jésus. L'auteur a su s'en inspirer pour en tirer une histoire plausible et lui enlever son côté moqueur et risible.  

On notera quand même le rôle effacé, une fois de plus, de Marie-Madeleine qui est ici représenté en simple concubine de Jésus et non en apôtre. Elle est dite pauvre alors qu'il semble qu'elle ait été plutôt aisée. Mais cela est sans doute le fait du Toledoth Yeshuh.

C'est intelligent d'avoir su tirer des parties de ce qui peut être un pamphlet antijudaïque chrétien, pour écrire cette histoire. Matin Arditi suit les grandes lignes du Toledoth Yeshuh, je l'ai dit, mais bonifie l'être Jésus et réhabilite d'une certaine manière Judas, l'autre Manzer de l'histoire à qui l'on devrait finalement la naissance du christianisme primitif.

Ce livre, c'est aussi un pied de nez aux différentes instances chrétiennes en rappelant finalement la trahison des enseignements de Jésus : le respect des uns et des autres, l'amour, l'acceptation de chacun pour ce qu'il est, l'entraide.
On se rappelle comment l'église moderne est parvenu au sommet :  en se servant de la peur, en convertissant par la force, en jugeant via l'inquisition, en pervertissant le message.
Si le livre de Metin Arditi pourra offusquer les chrétiens bien-pensants, il les fera, je l'espère, réfléchir sur le message humaniste de cet homme qu'à été Jésus.

Un roman court qui se lit tout seul, moderne, car on peut le rapprocher de certains faits d'aujourd'hui. Par exemple, on trouvera en Judas, un sacré Community Manager qui appâtera les gens en créant des buzz, en amplifiant les guérisons, et qui n'aura de cesse de faire grossir la communauté (le nombre de followers, aujourd'hui) pour diffuser le message.

 Un roman très agréable à lire qui semble nous raconter en résumé ce qu'aurait pu être la vraie vie de Jésus

J'ai beaucoup aimée.
Un livre qui fait du bien en ces temps troublés. 

 

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Le bâtard de Nazareth, de Metin Arditi - www.audetourdunlivre.com

Extrait  :

Confrontations

Chaque fois qu’il se rendait chez Joseph enseigner les écritures à Jésus, Rabbi Ézéchiel était en joie. La confiture d’oranges que préparait Marie n’y était pas pour rien. Mordre dans de gros morceaux d’écorce bien fermes pendant que le sirop recouvrait peu à peu son palais lui procurait un plaisir qu’il ne retrouvait nulle part ailleurs.

Une petite routine s’était installée. Jésus et lui s’asseyaient sous le caroubier et analysaient les textes tout en dégustant la confiture de Marie. Lui faire découvrir les textes sacrés était à chaque fois l’occasion de les lire d’un autre œil… La capacité du garçon à saisir leur sens profond se doublait d’une habileté naturelle à user de paraboles et de métaphores.

Malgré tout, les instants ainsi passés n’étaient pas de tout repos pour Ézéchiel. L’enfant apprenait avec une facilité que le rabbin n’avait observée chez aucun autre garçon de Nazareth, sa mémoire était prodigieuse et sa curiosité intarissable. Mais la violence de sa rhétorique perturbait Ézéchiel. Quel avenir le Bon Dieu pouvait-il réserver à un enfant, mamzer de surcroît, qui, à douze ans déjà, contestait l’interprétation de la Torah avec tant d’audace et de conviction ?

Joseph se tenait légèrement éloigné d’eux pour ne pas les gêner, mais suffisamment proche pour suivre leurs échanges, émerveillé par ce garçon qui se montrait chaque jour plus habile à ferrailler avec son maître. Mais à l’admiration de Joseph se mêlait une inquiétude devant la façon mordante qu’avait son fils de mettre en cause la Loi. Où cette fougue allait-elle le mener ?

Marie, elle, s’éclipsait après avoir apporté au rabbin sa confiture d’oranges, ivre de bonheur devant son enfant si merveilleux, contente d’aller cacher son émotion là où elle ne

pouvait pas entendre ses contestations : si elle se jugeait incapable d’en saisir le sens, elle entendait avec quelle violence Jésus tenait tête à Ézéchiel. Ces instants passés à aller et venir lui procuraient un bonheur aigu.

Au fil des rencontres à l’ombre du caroubier, Ézéchiel avait de plus en plus d’estime pour ce garçon solitaire qui s’emportait contre les humiliations subies par sa mère et assumait, tête haute, sa condition de mamzer. Comment ne pas comprendre sa révolte ? Mais lui-même était rabbin. Sa mission était de défendre la Loi, alors que l’enfant ne lui laissait aucun répit. Leurs confrontations se multipliaient. En plus, il vieillissait.

Un jour, Jésus s’insurgea contre la Loi qui ostracisait les impurs. Était-ce leur faute, aux sourds et aux lépreux, s’ils étaient malades ? Ézéchiel se réfugia dans un discours hésitant, d’où il ressortait qu’il s’agissait de sauvegarder la vigueur du peuple juif. Jésus l’avait regardé avec colère : Penses-tu sérieusement, rabbin, que je pourrais être la cause d’un affaiblissement physique de notre peuple, parce que je suis un mamzer ? Ézéchiel n’avait pas répondu.

 

— Qu’ont donc les prophètes à insulter ainsi les femmes ? demanda l’enfant à Ézéchiel une autre fois, avec sa fougue habituelle. De quels ventres sont-ils donc sortis ? Comment le prophète Isaïe ose-t-il déclarer que toutes les femmes sont vaniteuses, voluptueuses et perverses ? Les a-t-il toutes connues ? Et Amos, comment peut-il prétendre qu’elles sont cruelles ? Et Jérémie, qu’elles incarnent la duplicité ? Les femmes seraient-elles des servantes du diable ? Elles étaient nombreuses, pourtant, celles de la Bible qui méritaient l’admiration : Déborah, Ruth, Judith, Esther… Pourquoi ces paroles insultantes des prophètes ? Était-ce ainsi qu’Ézéchiel voyait sa mère ?

— Il n’y a pas meilleure personne sur Terre, lui avait-il répondu.

 

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