Au détour d'un livre

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On ne choisit pas qui on aime, de Marie-Clémence Bordet-Nicaise

 

Résumé : Issue d'une famille bourgeoise et catholique, Marie-Clémence avait une vie toute tracée. A 21 ans, elle était en couple avec un garçon charmant que ses parents appréciaient, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Jusqu'au jour où Aurore, une collègue de travail, est entrée dans sa vie, pour ne plus en sortir.

Auteure : Marie-Clémence Bordet-Nicaise 
Nombre de pages : 272
Édition :  Flammarion
Date de parution : 8 mai 2019
Prix : 19€ (Broché) - 13.99€ (epub, mobi)
ISBN : 978-2081485785

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Avis / Critique :

Marie-Clémence naît dans une famille bourgeoise et empreinte de religion catholique. Dès son plus jeune âge, elle se voit suivre le chemin tracé par sa mère, devenir institutrice, se marier, avec deux enfants, une vie rangée. L'univers va lui jouer un tout autre tour. Adolescente, elle vit quelques histoires d'amour dont une sérieuse avec un garçon, un musicien avec lequel elle va rester cinq ans.

En 2008, elle a 21 ans et se retrouve à Paris pour un stage dans l'audiovisuel. Timide, peu sûre d'elle, la voilà amenée à travailler avec Aurore. Celle-ci, la trentaine, est une blonde peroxydée aux cheveux courts qui a beaucoup d'humour. Pas de coup de foudre au départ, mais une amitié qui nait au milieu d'un groupe d'amis avec lesquels Marie-Clémence sort et s’épanouit. Le week-end, elle rentre et voit son petit-ami et la semaine revient à Paris.
Un jour, elle décide de se faire jolie et se rend compte qu'elle veut plaire à Aurore et se met de plus en plus à penser à elle au fil des jours. Celle-ci, dans un premier temps l'ignore, et un jeu s'installe peu à peu entre elles. Si cela amuse Marie-Clémence, elle ne désire d'Aurore qu'un baiser, car elle est bien décidée malgré tout à s'installer avec son petit-copain. Les quelques mots d'Aurore "Si je t'embrasse maintenant, je t'embrasserai toujours" donne le ton à leur relation et prévient Marie-Clémence. Ce ne sera pas une passade si le baiser doit avoir lieu. Et Marie-Clémence sent que peu à peu, elle se laisse porter par cette "amitié" platonique qui va devenir de l'amour platonique.
Elle a donc désormais deux vies. Celle avec Aurore à Paris et celle avec son copain musicien, en Province. Mais elle sent bien que son cœur penche plus d'un côté que de l'autre. Il est temps de faire un choix et ce choix finit par se faire naturellement. Elle se sépare de son petit-ami pour rester avec Aurore. Les épreuves vont alors ne faire que commencer. Impossible pour Marie-Clémence qui est très famille et catholique de mentir aux siens. Il va donc falloir présenter Aurore. Ce sera d'abord à ses sœurs et frères, qui acceptent puis le père qui se montre conciliant, les cousines, sa mère, ses oncles et ses tantes... Avec certains, ce sera jeu égal, avec d'autres, se sera la fracture. Certains acceptent, d'autres non. Et parmi eux, sa mère qui se demande ce qu'elle a fait de mal.
Petit à petit, il va donc falloir la rassurer, tenter de rassurer les autres, de faire admettre Aurore. Puis, vont venir les autres épreuves : les mariages des uns et des autres, puis le sien, l'envie d'enfants, la fracture avec les grands-parents, les larmes, les pleurs, les rires, les joies.

Ce livre est donc un témoignage, une histoire de vie, une histoire d'amour qui se dessine au milieu d'un cercle qui est celui de la famille bourgeoise et catholique. La plume de l'auteur se veut être directe, sans fioriture, un tantinet adolescente par moment puis à l'instar de son histoire qui prend de l'ampleur, se fait elle aussi plus mature. Les épreuves s'enchaînent, les pleurs et les rires ensuite. On sourit avec elle, on trouve parfois qu'elle exagère en se montrant égoïste, mais finalement, c'est son choix et sa manière d'aborder sa vie et de la faire accepter à d'autres bon gré, mal gré.
La fin est assez bouleversante dans son combat pour la maternité qui se montre particulièrement difficile et si on peut trouver le début du roman un peu enfantin, sur la comptine de la bluette amoureuse, la suite dessine tous les affres du combat pour se faire accepter, mais aussi et surtout faire accepter son autre, sa moitié.
Un témoignage sincère, où rien n'est caché, brut.

 

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Marie-Clémence Bordet-Nicaise

Extrait :

Chapitre 1

Je m’appelle Marie-Clémence. Je suis née en 1987 dans une famille unie, aimante, plutôt aisée : une « bonne famille », comme on dit. J’ai reçu une éducation simple, chrétienne, au sein d’une fratrie de quatre enfants, un grand frère et deux petites sœurs. Mes parents sont issus de familles bourguignonnes, catholiques et bourgeoises. Ils se sont rencontrés jeunes, se sont mariés vite et se sont engagés dans une vie proche de celle de leurs parents, portée par leur foi. J’ai été élevée avec une ligne directrice : l’amour. Chez nous, on n’est jamais méchant, on est des gentils, on ne juge pas les autres, on n’est jamais trop expressifs, toujours discrets, polis.

Tout était tellement tracé.

Petite, je me souviens m’installer dans la cuisine familiale et lire tous les magazines de mobilier et décoration que je pouvais trouver, et passer des après-midi entiers à programmer ma vie future. Je choisissais chaque meuble, dessinais le plan exact de l’architecture que je voulais pour ma maison, le tout pensé pour réussir une vie de famille parfaite comme je la désirais. J’annonçai d’ailleurs très vite à mes parents mon projet de vie : me marier avec un dentiste ! Argument avancé à ce moment-là : un dentiste gagne beaucoup d’argent, travaille beaucoup mais peut avoir son cabinet dans une annexe de la maison, donc être présent pour sa famille. J’imaginais un métier d’institutrice, trois enfants, deux garçons et une fille. Une vie rangée, très rangée.

Je ne me suis jamais interrogée sur ma sexualité. Il me semble que j’ai toujours pensé que l’on tombait amoureux d’une personne et pas d’un genre. Je n’ai fréquenté que des garçons, mais je ne me posais même pas la question de savoir ce qui m’attirait.

Après quelques amours furtives et inintéressantes d’adolescence, j’ai vécu, pendant cinq ans, une très jolie histoire avec un garçon. Rencontré au lycée, je suis très vite tombée amoureuse de ce musicien rêveur, d’une gentillesse et d’une douceur absolues. Je me projetais très bien avec lui dans cette vie d’adulte que je m’étais programmée. Il venait d’une famille catholique, plutôt classique, bourgeoise, et me disait rêver d’une vie avec maison et enfants. Il dessinait avec moi le tableau parfait que j’avais imaginé en y ajoutant la musique, sa passion et son métier, comme booster d’amour.

En 2008, à 21 ans, je suis arrivée par hasard en stage dans une jeune société qui s’occupait du public des émissions de télévision. Au bout de quelques jours, on m’a envoyée travailler sur un plateau télé (L’Édition spéciale sur Canal +) en m’informant : « Demain tu travailles avec Aurore, une blonde, tu verras, tu la retrouveras sur place. »

Le lendemain, dans le métro en direction du tournage, j’ai remarqué une fille, blonde peroxydée aux cheveux très courts, casque audio sur les oreilles et doudoune, l’air dur, perdue dans ses pensées et pas très souriante. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai tout de suite su que c’était avec elle que j’avais rendez-vous ; j’étais intriguée par cette fille si… masculine. Je l’observais de loin.

Pas de coup de foudre. Nous avons travaillé ensemble toute la journée mais mes souvenirs ne sont pas très précis, on s’est bien entendues je crois. Aurore m’a raconté plus tard qu’elle n’avait vu en moi qu’une petite stagiaire de plus à former, jeune et coincée.

Puis les semaines ont passé. Nous nous voyions souvent, entourées de nos collègues, et nous avons formé petit à petit un groupe d’amis. On sortait ensemble le soir après le travail, souvent jusque très tard. On faisait la fête, on allait dans des restaurants, des bars… Moi qui étais plutôt de nature réservée, qui ne mettais quasiment jamais les pieds dans des restaurants, je découvrais une vie différente. Et j’ai vite pris goût à ces sorties, cet état d’ivresse, ces soirées qui n’en finissaient plus, à danser sans s’arrêter.

J’étais heureuse.

J’avais mes propres amis, moi qui peinais à rencontrer d’autres personnes que celles que je fréquentais depuis le lycée, je profitais de l’instant, je me sentais libre. Ce fut, je crois, une des périodes les plus légères de ma vie. Je me lâchais enfin ! Je fréquentais des gens de tous horizons, souvent plus âgés que moi (Aurore et la plupart avaient bientôt 30 ans, j’entrais dans ma vingtaine), de toutes sexualités, toutes origines, et la vie avec eux était un ascenseur émotionnel.

Je continuais bien sûr de voir mes plus anciens amis, et mon copain, mais ma vie s’est vite scindée en deux. Petit à petit, je me suis créé deux existences.

 

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