Au détour d'un livre

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Libre d'aimer, d'Olivier Merle

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Résumé :

Juillet 1942. Elle s'appelle Esther, elle a vingt ans, elle est juive.
Ses parents ont été arrêtés, elle erre dans les rues de Paris, perdue et terrifiée. Alors qu'elle se repose sur un banc, son regard croise celui d'une femme élégante, plus âgée, qui fume de longues cigarettes à la terrasse d'un café.
Esther ne le sait pas encore mais sa rencontre avec Thérèse Dorval, l'épouse d'un homme cynique et violent qui collabore avec les Allemands, va bouleverser sa vie.

Auteur : Olivier Merle
Nombre de pages : 512
Édition : XO Editions
Date de parution : 2 janvier 2020
Prix : 19.90€ (Broché) - 8.60€ (poche) - 12.99€ (epub, mobi)
ISBN :
978-2266300285

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Avis / Critique :

L'histoire de deux femmes que tout oppose et que le destin va réunir. Esther vit à Paris. Elle est juive, a 20 ans, et se retrouve seule après l'arrestation de ses parents. Thérèse, elle, à la trentaine, a la beauté d'une actrice des années 30, et est mariée à Jean Dorval, le champion du champagne. Thérèse vit dans les beaux quartiers, fréquente les clubs sous le manteau qui lui permettent d'assouvir sa sexualité en toute tranquillité. Fille de bonne famille, elle n'a épousé Dorval que par conformisme. En réalité, elle n'aime que les femmes et se prend de tendresse pour Esther qu'elle voit, un jour, assise sur son banc à l'observer. Esther, seule, qui est subjuguée d'entrée par cette femme aux allures de déesse. Très vite, Thérèse prend la jeune femme sous son aile, l'emmène chez elle, lui offre une place de bonne et vient à s'éprendre peu à peu d'elle. La réciprocité s'opère également et Esther découvre au fils des jours ses sentiments envers Thérèse. Mais voilà, il y a un hic. Jean Dorval, en temps de guerre traficote avec les Allemands et considère sa femme comme sa possession. Quand il tombe sur les deux femmes, ensemble, dans la chambre en pleins ébats, son sang ne fait qu'un tour. Thérèse, pour sauver Esther va alors devoir agir. La fuite sera leur seul salut. Mais comment vivre à deux dans un pays occupé, sans le sou, avec un mari à leur poursuite ?

C'est donc dans cette histoire d'amour, niché au cœur de la Seconde Guerre mondiale, que nous entraine Olivier Merle. Le décor est planté d'entrée de jeu et l'on ressent tout de suite l'atmosphère de la chasse aux Juifs, de la peur, de la détresse, de la pauvreté, des affres d'Esther. Merle décrit également très bien tout le côté de la vie des familles bourgeoises. Le style, presque scénaristique, nous permet d'imaginer le contexte sans difficulté. Mais comme pour ces autres ouvrages, Olivier Merle cède souvent à la facilité. Certains passages sonnent faux, sont bâclés, ou pour faire avancer son livre arrivent trop rapidement, par une pirouette dont il a le secret.
Parfois, la lenteur a du bon dans un récit surtout lorsqu'il s'agit d'installer une histoire d'amour. Et celle-ci, malheureusement se noue ici très vite, trop vite et on a du mal à y adhérer en totalité. L'effronterie d'Esther vis à vis de Thérèse, sa jalousie dès le départ, nous semble tomber souvent mal à propos.

On oscille donc tout le long du roman entre deux émotions : l'agacement, et puis l'envie de continuer la lecture quand même. Car, finalement, le personnage de Thérèse est celui qui est le mieux construit de tous et qui parvient à nous retenir jusqu'à la fin. Certaines situations aussi nous font adhérer au récit, comme lorsque les deux femmes trouvent refuge chez le chauffeur de Thérèse. On sent alors l'atmosphère de la gène, la promiscuité, la vie d'alors du petit peuple.

Tout le long du roman, une seule idée nous taraude malgré les dissonances de la dramaturgie. C'est de savoir comment les deux femmes vont pouvoir s'en sortir, quel va être leur destin au cœur du conflit, et si elles vont pouvoir finalement vivre leur amour sereinement.

On notera donc des passages qui manque de crédibilité, une paresse dans certaines descriptions de situation, des facilités qui peinent à rendre ce récit à la hauteur de ce qu'il aurait pu être : c'est-à-dire une très belle histoire. Finalement, Olivier Merle ne réussit qu'à moitié là où il aurait pu pondre un sacré beau roman. L'auteur est un écrivain, mais pas un génie de l'écriture

Autre bémol : la couverture du livre. Je parle rarement des couvertures, mais là aussi, je dois dire que je suis déçue. Celle-ci ne rend pas hommage au personnage de Thérèse Dorval que l'on sait être magnifique, très chic, pas plus qu'il ne nous laisse entrevoir l'Esther décrite par Olivier Merle. 

Pour conclure, je dirais donc que ce roman se lit avec plaisir, il pourrait d'ailleurs être adapté en film. Ce n'est cependant pas un grand roman, pas plus qu'il ne s'agit ici d'Une Grande Histoire d'Amour. 

A lire finalement pour le personnage de Thérèse Dorval, la vraie figure, pour moi, de ce "Libre d'aimer".

 

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Extrait :

 

– 4 –

— Vous voyez, dit l’inconnue en souriant, aujourd’hui je n’y suis pas.

Esther crut que son cœur avait cessé de battre. Le sang se retira de ses veines, comme aspiré. Elle devint pâle, au point que l’inconnue s’en inquiéta.

— Ne faites pas cette tête-là, je ne voulais pas vous effrayer.

Elle ajouta aussitôt :

— Mon Dieu, que vous êtes blême ! Vous faites pitié.

Et comme Esther continuait de se taire, elle dit avec une autorité bienveillante :

— Venez avec moi. Je vais vous offrir quelque chose dans ce café que vous admirez tant.

— Où ?

— Dans le café ! Cela fait trois jours que vous êtes assise sur ce banc à me regarder. Eh bien, je vous assure que nous serons mieux à l’intérieur.

Esther sentit la panique l’envahir. Elle dit précipitamment d’une voix tremblante :

— Je ne peux pas entrer là.

— Mais si ! Avec moi, vous le pouvez !

— Non, je ne le peux pas.

L’inconnue saisit Esther par l’épaule et l’entraîna. Malgré sa peur, Esther se laissa faire. Après tout, quelques instants auparavant, elle voulait se livrer à la police. Cela ne pouvait pas être pire d’entrer dans ce café luxueux où des officiers allemands semblaient avoir pris leurs quartiers.

À l’intérieur, Esther baissa instinctivement les yeux. Une fois assise en face de l’inconnue, elle était tellement intimidée par sa beauté qu’elle n’osait même pas la regarder. Il est vrai que la situation était inconcevable. Elle occupait la place où l’inconnue posait d’ordinaire son manteau. En tournant la tête vers la gauche, elle voyait la rue et les passants à travers la baie vitrée. Elle se trouvait projetée dans ce monde inaccessible qu’elle avait contemplé de son banc misérable.

L’inconnue l’observait en souriant. Elle posa son chapeau sur la table. Du plat de la main, elle lissa ses cheveux blonds et vérifia la tenue du chignon sur sa nuque. Quand le serveur s’approcha, elle ne demanda pas à Esther ce qu’elle désirait.

— Deux thés, s’il vous plaît.

Comme le serveur repartait, elle le héla sans vulgarité :

— Et deux croissants, François !

Puis, se penchant vers Esther :

— Je suppose que vous devez avoir faim.

— Des croissants…, murmura Esther, incrédule.

C’était tellement impensable qu’on puisse encore trouver des croissants à Paris.

— Oui, des croissants au beurre. Ça vous changera du mauvais goût de la margarine.

À quelques mètres, à une table voisine, trois officiers allemands discutaient tranquillement. Au comptoir, deux hommes en veston et cravate buvaient un café.

Le garçon gardait son plateau sur une main et, de l’autre, déposait sur la table une théière, les tasses et deux croissants. Le regard

d’Esther fut attiré par une soucoupe avec du sucre en poudre et une petite cuillère. Du vrai sucre ?

— Oui, c’est bien du sucre, affirma l’inconnue qui paraissait s’amuser de l’étonnement de la jeune femme.

Esther sortait lentement du rêve pour entrer dans la réalité. Pour la première fois, elle leva la tête vers l’inconnue. Elle s’enhardit.

— Pourquoi m’avez-vous invitée ici ?

— Je vous l’ai dit. Parce que vous me faisiez pitié assise sur votre banc.

— J’ai l’air si malheureuse ?

— Malheureuse et épuisée. Allez ! Mangez !

Esther dévora son croissant au risque de s’étouffer. Au moment où elle avalait la dernière bouchée, l’inconnue poussa son propre croissant vers elle.

— Prenez le mien, voulez-vous ?

— Pourquoi ?

— Parce que je n’ai pas faim et qu’il vous était aussi destiné.

Esther mangea le second croissant pendant que l’inconnue versait le thé dans les tasses.

— Comment vous appelez-vous ?

— Esther.

— Esther comment ?

Cette question éveilla sa méfiance. Elle désirait garder secret son nom de famille en raison de sa consonance juive.

— Esther, répéta-t-elle.

L’inconnue n’eut pas de réaction. Indifférente, elle fouilla dans son sac pour en extraire un étui à cigarettes.

— Je suppose que vous n’avez jamais fumé.

— Non.

L’inconnue actionna son briquet en or et alluma la cigarette. Elle souffla un long panache de fumée dans la direction d’Esther. La fumée forma un long cône étroit qui s’évasa en atteignant le visage de la jeune femme. Celle-ci détourna la tête.

— Vous permettez que je me présente ? Je suis Mme Dorval.

Elle compléta aussitôt, comme s’il s’agissait d’une précision importante :

— Dorval, des établissements Dorval.

Ce nom évoquait à Esther une enseigne de magasin, une usine ou quelque chose de ce genre.

Et soudain, sans transition, Mme Dorval lâcha calmement :

— Vous savez, je sais parfaitement que vous êtes juive.

Esther sursauta et pâlit. Elle dissimula ses mains tremblantes sous la table.

— Non, vous vous trompez, je ne suis pas juive, protesta-t-elle.

— Mais si, vous l’êtes, voyons ! Et savez-vous comment je le sais ?

— …

— Parce que je vois très bien sur votre manteau la marque de l’étoile jaune que vous avez décousue.

Esther mit précipitamment la main sur son cœur pour cacher l’emplacement de l’étoile. Affolée, elle se leva.

— Vous ne craignez rien, asseyez-vous ! lança Mme Dorval sans élever la voix.

Esther hésitait, les jambes soudain molles et flageolantes. Elle entendit Mme Dorval qui précisait :

— Esther, ce serait une très mauvaise idée, étant donné l’endroit où nous nous trouvons, de vous faire remarquer.

 

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