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Les disparus de Blackmore, de Henri Loevenbruck

Les disparus de Blackmore, de Henri Loevenbruck

 

Résumé :

Octobre 1925. À Blackmore, une île coupée du monde au large de Guernesey, meurtres et disparitions sèment la terreur. Alors que la police piétine, Lorraine Chapelle, première femme diplômée de l'Institut de criminologie de Paris, est appelée en renfort. Cette cartésienne irréductible va devoir mener l'enquête aux côtés d'Edward Pierce, un Britannique spécialisé dans les sciences occultes qui se présente comme " détective de l'étrange ".

 

Auteur : Henri Loevenbruck
Nombre de pages : 560
Éditeur : Pocket
Date de parution : 25 janvier 2024 (poche)
Prix : 21.90€ (Broché) - 9.50€ (poche) - 13.99€ (epub, mobi)
ISBN : 978-2266333092

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Avis / Critique :

1925. Lorraine Chapelle arrive sur l'île anglo-normande de Blackmore à la demande de Sir Ronald Waldon, ancien amant de sa mère. La jeune femme, est la première de son sexe à être sorti de l'université en tant que criminologue et, à la demande de Waldon, doit enquêter sur la disparition de sa petite fille, Margaret. Mais Margaret Waldon n'est pas la seule à avoir disparu. En effet, deux autres disparitions ont eu lieu : l'institutrice du village, Diana Tudor et le journaliste Elias Carteret. Sur l'île, Lorraine fait la connaissance de l'anglais Edward Pierce qui est venu là pour retrouver un vieil ami, le père Molloy. Très vite, Lorraine et Pierce font alliance quand il se trouve que Molloy est lui aussi introuvable. Il faut dire qu'il se passe de drôle de chose sur Blackmore. Très vite, Lorraine est intriguée par les yeux d'une partie des habitants de l'île. En effet, leurs yeux possèdent une caractéristique particulière qui les rend aveugle avec le temps.
D'autre part, les deux enquêteurs, découvrent que chaque disparition, une lettre écrite avec le langage ancien de l'ogham. Le père Molloy travaillait sur plusieurs documents tous ayant un rapport avec des faits s'étant passé sur Blackmore dans les temps anciens, mais aussi dans la communauté de Roaneke, en Caroline du Nord et qui parlerait de disparitions mystérieuses.

Alors que la criminologue et le détective s'approchent d'une vérité, les morts arrivent. D'abord en la personne d'une journaliste, mais aussi d'autres habitants de l'île. A mesure qu'ils avancent dans leur enquête, Chapelle et Pierce comprennent que deux factions s'opposent à Blackmore : les adeptes du culte du Dagda et de la religion celte et les adeptes d'un dieu ancien dont ils retrouvent le nom partout : Croatoan et qui rappelle les disparus de Roanoke. Les deux détectives vont alors devoir faire face à de nombreux ennemis, cachés, alors que la piste des disparus va s'amenuiser jusqu'à finalement aboutir pour découvrir l’innommable.

"Les disparus de Blackmore" prend de nombreuses références dans l'univers de H.P. Lovecraft, notamment en parlant du livre d'Eibon inventé par Clark Ashton Smith dans la nouvelle Ubbo-Sathlaromans et repris dans le Mythe de Cthulhu, mais aussi dans la mythologie celtique avec le Cath Maighe Twireadh (récit du Cycle mythologique de l’Irlande).

Dès qu'on ouvre le roman, on se dit immédiatement que l'on tient là une belle promesse de lecture. Les deux protagonistes principaux forment un duo qui se complète parfaitement. Elle, est une femme libérée pour l'époque, en avance sur son temps, pleine de réparti, lui, est un gentleman anglais qui nous fait penser tantôt à Hercule Poirot, tantôt à John Steed, avec un humour so british. Henri Loevenbruck partage son roman en donnant la part belle aux légendes locales de son île fictive, de la colonie de Roaneke et des mythes anciens. Il utilise ses personnages, tantôt en les séparant afin que chacun suive de son côté son investigation, et parfois ensemble. La réunion de leurs avancées respectives donne lieu à de cocasses répliques qui font la joie du lecteur. Le travail de recherche de l'auteur est impressionnant, mais les longueurs qui remplissent le livre a tendance à faire décrocher de la lecture. Je pense, entre autres, aux huit pages sur la course de moto. J'avoue avoir lu chaque ligne jusqu'au trois-quart du roman où je suis passée à la lecture en diagonale.

L'histoire et l'humour sont un petit bijou, mais l'ambiance manque de réalisme, de profondeur, de densité pour nous plonger complètement dans ce roman qui se veut gothique à la sauce lovecraftienne. On y touche pourtant du doigt avec le sanatorium transformé en asile et le Roaneke. J'ai adoré le vocabulaire employé par Henri Loevenbruck qui nous envoie par l'intermédiaire de la bouche de Lorraine Chapelle et de Pierce des "Carnebidouille" des "Saperlotte" "péronnelle" et autres du même acabit. Rien que pour cela, c'est un bonbon de lire ce livre.

Bref, hormis des descriptions un peu trop longues, un manque d'atmosphère qui aurait gagné à être plus lugubre, l'enquête est intéressante, mâtiné de mysticisme et de mystères. Le duo d'enquêteurs fonctionne à merveille, et on a hâte de les retrouver dans une prochaine aventure. L'écriture de Loevenbruck est quant à elle, superbe. Cela fait du bien de lire un livre bien écrit, riche en vocabulaire, en tournure de phrase.

 

Les disparus de Blackmore, de Henri Loevenbruck

 

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"Les disparus de Blackmore" - www.audetourdunlivre.com

Extrait :

 

1.

C’est en voyant se dessiner, à travers le brouillard, les contours de l’île de Blackmore que, au soir du samedi 24 octobre 1925, Lorraine Chapelle entendit pour la première fois ce son si singulier qui allait la hanter des jours durant. WI-IH-ISH… Les gens d’ici l’appelaient le murmure des brumes. Il résonnait en toute saison dès que le vent se levait de la Manche pour se faufiler entre les blocs de granite de l’île, produisant ce sifflement sinistre, comme autant de plaintes échappées des bouches torturées de mille fantômes. WI-IH-ISH… Lancinant, obsédant, il semblait ne jamais s’éteindre. Il n’y avait guère que le bruit d’un orage pour le faire oublier un instant.

— Devriez pas rester su’l’pont, mam’zelle, la mer est mauvaise ! La passe est dangereuse, ça va secouer !

Le matelot du SS Courrier – le gros bateau à vapeur qui, deux fois la semaine, et pour quatre shillings, faisait la liaison entre Guernesey et Blackmore en un peu moins de deux

heures – soupira en baissant les yeux vers les petites chaussures salomé à talons de la frêle passagère. Fine, élégante, la Parisienne de vingt-quatre ans, au regard vert absinthe, arborait tous les attributs de la jeune femme ayant embrassé à corps perdu le mouvement libertaire de l’après-guerre, que, plus tard, d’aucuns qualifieraient d’Années folles, ou de Roaring Twenties. Certains y voyaient la désinvolture provocatrice d’une jeunesse privilégiée, d’autres, plus perspicaces, y reconnaissaient le combat légitime des femmes pour leurs droits les plus élémentaires.

— De temps en temps, il faut accepter de se faire un peu ballotter, répliqua Mlle Chapelle dans un anglais impeccable. Cela remet les idées en place.

Le marin ronchonna. Elle lui adressa une sorte de moue pincée, dans laquelle seuls ceux qui connaissaient bien la jeune femme eussent pu déceler la trace d’un sourire amusé. Puis elle renfonça sur sa coupe garçonne la calotte de son chapeau cloche et s’agrippa fermement au garde-corps, se tenant tout entière face aux offensives du vent. Elle n’aurait manqué la vue pour rien au monde.

De fait, le fier deux-mâts de cent cinquante pieds de long, qui pouvait transporter jusqu’à cent passagers mais n’en comptait qu’une vingtaine ce soir-là, livrait bataille contre la grande houle, se soulevant et retombant avec fracas, tandis que de la large gueule de sa cheminée jaune montaient des nuages de fumée. L’histoire de Blackmore regorgeait de naufrages funestes, tel celui de la Blanche-Nef, qui emporta avec elle la famille d’Henri Ier d’Angleterre, le privant d’héritier. De toutes les îles Anglo-Normandes, l’approche de celle-ci était réputée la plus périlleuse. Pour l’expliquer, certains disaient que pareille beauté se méritait, d’autres affirmaient que l’île n’aimait guère les visiteurs…

Le visage fouetté par les embruns salés, clignant des yeux lorsqu’une vague venait se briser sur la coque, Mlle Chapelle se laissa un instant hypnotiser par la circonvolution régulière du phare qui, au sommet de l’îlot de Bragbury, signalait aux navires la proximité du littoral.

— Quel est ce bâtiment qu’on aperçoit derrière le phare ? demanda-t-elle au matelot qui s’affairait encore sur le pont.

Pas plus qu’elle ne donnait à voir ses sentiments, Lorraine était de ces personnes dont la voix n’est teintée d’aucune variation tonale, d’aucune amplitude, si bien qu’elles semblent être tout le temps d’une même humeur morne et sombre. Beaucoup y lisaient la marque du dédain, de la froideur ou de la suffisance, là où en réalité se cachait la retenue d’une âme d’observatrice, mesurée et réfléchie. Si Mlle Chapelle était pleine d’assurance, elle n’en faisait jamais un étalage tapageur. Simplement, la courtoisie soumise de sa gent lui était devenue insupportable : Lorraine était une amazone qui parlait aux hommes comme à ses égaux, et soutenait leur regard avec un soupçon de défi, prête à décocher sa flèche au moindre faux pas.

 

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