Au détour d'un livre

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Il n'est pas celui que vous croyez : Ces femmes amoureuses de tueurs en série, de Valérie Benaim

Il n'est pas celui que vous croyez: Ces femmes amoureuses de tueurs en série, de Valérie Benaim

 

Résumé : « Jeudi 3 février 2022, devant mon poste de télévision j’écoute le compte rendu de la journée du procès d’assises de Nordahl Lelandais, accuse de l’enlèvement et du meurtre de la petite Maëlys le 27 août 2017. Maëlys avait 8 ans. Cet ancien maître-chien a déjà été condamné en mai 2021 à vingt ans de réclusion criminelle pour le meurtre d’un jeune homme, le caporal Noyer. J’apprends alors, médusée, qu’il a pu ouvrir un compte Facebook en cellule, mais surtout qu’il a entretenu une correspondance avec une jeune lycéenne. C’est elle qui a fait le premier pas. Elle a 17 ans… »

À la suite de cet épisode, un tas de questions assaillent Valérie Benaïm. Qui sont ces femmes qui et même de l’amour pour des hommes accusés de meurtres, de viols ? Que recherchent-elles ? Y a-t-il un profil particulier ? Ou bien chacune d’entre nous peut-elle tomber sous le charme de ces hommes ?

Autrice : Valérie Benaïm
Nombre de pages : 342
Éditeur : Fayard
Date de parution : 14 février 2024
Prix : 22€ (Broché) - 14.99€ (epub, mbi)
ISBN :
978-2213725321

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Avis / Critique :

Valérie Benaïm est une journaliste et animatrice de télévision, chroniqueuse régulière de l’émission Touche pas à mon poste ! sur C8, elle écrit également. Après s'être intéressée au couple Bruni-Sarkosy et avoir rédigé une biographie de Jean-Pierre Bacri, Valérie Benaïm s'intéresse ici au sujet des femmes amoureuses de détenus qu'ils soient médiatiques ou non. Qu'est-ce qui amène ces femmes, des jeunes femmes à s'enticher de tueurs en série ou de prisonniers de droit commun et à leur écrire en prison, et parfois à faire des choses inconcevables pour eux jusqu'à en oublier la teneur de leur crime. L'amour ? Le syndrome de l'infirmière ? Des failles dans leur vie ? Le mythe du bad boy ?
Qui peut expliquer pourquoi Marc Dutroux condamné à la perpétuité pour viols, séquestration de mineurs et assassinats reçoit un abondant courrier de jeunes filles de l'âge de ses victimes ? Que Guy Georges, le tueur de l'Est parisien ou Patrice Allègre et d'autres, reçoivent des demandes de mariage de femmes qui pour la plupart ne les aurons jamais rencontré ?

Cette passion amoureuse a un nom : l'hybristophilie qui caractérise les personnes attirées sexuellement ou érotiquement par quelqu'un ayant commis des crimes odieux.
Certaines sont parfaitement insérées dans la société, cultivées, ont un travail, des enfants, et d'autres, au contraire, ont un schéma de vie plus compliqué avec une enfance violente, de la détresse, de la solitude.

Valérie Benaïm, qui souhaite en savoir plus sur le sujet, va alors mener une enquête à la rencontre de ces femmes et leur donner la parole pour comprendre leur cheminement. Mais pas seulement, car la chose va se montrer ardue. Peu de femmes veulent témoigner par peur notamment de se faire vilipender par la société qui ne va pas comprendre que, pour plusieurs d'entre elles, il peut s'agir d'une histoire d'amour, d'une attirance, de l'intérêt, voire de la compassion pour l'homme enfermé qui n'est pas, à leurs yeux, qu'un meurtrier, un violeur ou autre.

Il existerait trois types de femmes amoureuses de criminels :
- La femme qui croit au pardon et à la rédemption et qui pense être capable de changer l'être, est capable d'exaltation mystique, qui est plus amoureuse de la cause que de l'homme en lui-même.
- Celle qui souffre de solitude affective, qui a subi des violences et qui devient alors celle qui a le contrôle sur l'autre en vivant le grand frisson en toute sécurité, protégée par les barreaux.
- Enfin, la femme qui a besoin d'attirer l'attention sur elle en se mettant en scène, au travers du meurtrier. Elle vit enfin un destin !
A chacune de ces catégories, il existe bien sûr des sous-catégories.

Mais avant de se pencher sur ces femmes, Valérie Benaim va se tourner vers ceux qui peuvent expliquer ce phénomène. Ce sont les experts. Elle va donc rencontrer le criminologue Alain Bauer, les experts auprès des tribunaux : Daniel Zagury, psychiatre spécialiste des tueurs en série et Pierre Lamothe. Puis viendront l'avocat de Nordahl Lelandais, maitre Alain Jakubowicz.

Enfin, viennent le témoignage de ces femmes : la fameuse Madame G. qui a le courage de raconter son cheminement, comment cette histoire va la faite basculer jusqu'à en ressortir avec du dépit et l'impression de s'être faite exploitée par un Nordahl, manipulateur. Pour lui, elle aurait passé de la drogue, un téléphone, se serait fait violenter physiquement et verbalement quand elle refusait. Mais son comportement est aussi interrogatif. A quoi s'attendait-elle vraiment ? Son témoignage permet d'y voir en tout cas plus clair.

Valérie Benaim approchera cette Canadienne qui a tout quitté en emmenant ses enfants en France pour Patrice Allègre qu'elle ne connaissait qu'au travers des lettres échangées. Benaim tombera là, sur un os, car la Canadienne refusera d'apporter son témoignage, mais la journaliste raconte néanmoins leurs échanges épistolaires. Elle nous rappellera aussi quelques coupures de journaux parlant de femmes, d'étudiantes, écrivant à des tueurs en série.
Valérie Benaim s’intéresse également à ces femmes gardiennes de prison qui peuvent tomber amoureuse de prisonniers. Après tout, la tentation est facile, ces personnes passant pratiquement plus de temps à leur travail qu'à la maison et ayant en face d'elle l'autre facette du meurtrier ou du voleur, celle qui leur redonne le statut d'humain. Quand advient pareille situation, l'administration carcérale qui a mis en place des garde-fous, n'hésite pas alors à muter ou à déplacer le détenu, voire les deux.

Trois autres portraits amènent un éclairage sur ces "amoureuses". Il y a celui d'Isabelle Coutant-Peyre, avocate, qui a épousé Illich Ramirez Sanchez, alias Carlos, celui de cette productrice de cinéma, qui a épousé un Italien auteur d'un meurtre (que l'on pourrait qualifier d'accidentel) et qui s'est d'ailleurs parfaitement réinséré dans la société et enfin, le portrait, peut-être le plus émouvant, celui de Sandrine Ageorges-Skinner qui a mis sa vie de côté pour tenter de sauver du couloir de la mort, celui devenu son mari par procuration, Hank Skinner. Un combat de 27 ans pour cette femme dont l'histoire d'amour a commencé par un échange de lettres. 

Même si son livre manque de témoignages pour pouvoir recouvrir les différents types de femmes qui s'inscrivent dans la typologie des "amoureuses" de tueurs, Valérie Benaim n'a pas manqué d'envie de bien faire. Elle a tenté du mieux qu'elle a pu de réunir des cas, de trouver des experts, d'apporter des éclairages. Bon, on ne va pas se le cacher, il manque un vrai travail de sociologie, de données scientifiques, de recherches. Je dirais qu'elle a fait ce qu'elle a pu avec les moyens qu'elle avait et le temps qu'elle s'était imparti (deux ans). Disons que c'est une première approche. Il aurait été intéressant de comparer la typologie avec d'autres pays, d'avoir des avis d'experts étrangers, de parler du travail des canadiens sur la question (le Canada est, en effet, très riche en publication et recherches sur ce type de sujet), et d'avoir des témoignages plus nombreux. Le but de ce livre était de donner la parole à ces femmes, mais finalement, à part trois d’entre elles, les autres sont plutôt des bouts de récits contés ou des anecdotes ramassés ci et là.
Je suis donc restée un peu sur ma faim.
Côté lecture, rien à redire. Cela se lit tout seul et ne demande pas particulièrement d'effort de concentration. Valérie Benaim a une plume journalistique, rédactionnelle, structurellement simple, et cela se sent. Les récits sont plaisants à parcourir.
Même si pour moi, le sujet est donc partiellement traité, il offre cependant une bonne première approche. Benaïm a le mérite de s'être intéressée à ces femmes et à permettre à la société de mieux en comprendre certaines.
Un bon travail, une belle envie, mais qui mériterait d'être approfondie par une suite et un travail plus fourni.

 

 

Il n'est pas celui que vous croyez: Ces femmes amoureuses de tueurs en série, de Valérie Benaim

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Il n'est pas celui que vous croyez "ces femmes amoureuses de tueurs en série" - www.audetourdunlivre.com

Extrait :

L’EFFET VOLDEMORT

« Alors, comme ça, vous vous intéressez à ces histoires… Mais vous allez en faire quoi, de cette interview ?

– Comme je vous l’ai expliqué, c’est pour le livre sur lequel je travaille.

– Je vois, je vois… »

Affable, sourire énigmatique en coin, le criminologue Alain Bauer m’interroge du regard, l’air de dire : « Vous vous embarquez dans une drôle d’affaire, ma petite dame… Vous n’aurez peut-être pas les épaules assez larges… » Je pourrais lui répondre que ce n’est rien d’autre que la légitime curiosité d’une journaliste, en droit de répondre à des questions et de chercher à comprendre, à informer, tout simplement. Mais laissons cela de côté. Pour l’heure, je veux du concret, des chiffres, des études. Je veux du rationnel, si tant est qu’il y en ait dans ce domaine. Bref : des faits, rien que des faits.

J’ai donc décidé de ne pas partir à l’aveugle en me tournant vers ce professeur de criminologie réputé1, auteur d’une quarantaine d’ouvrages, de La Criminologie pour les nuls aux Criminels les plus cons de l’histoire, en passant par une Introduction générale à la criminologie. Il va me permettre de poser des bases solides pour cette enquête, m’en dire plus sur ces relations hors normes, sur ce « syndrome de Bonnie and Clyde ».

Je ne me suis pas trompée. Il commence par évoquer… un sondage. Oui, un sondage. Je n’en ai vu aucun malgré les dizaines d’articles ou d’études dans lesquels je suis plongée depuis des semaines. Il sera le seul à m’en parler.

En fait de sondage, qu’il qualifie lui-même d’un peu particulier, il s’agit du courrier reçu dans les prisons. On a pu établir que trois quarts des lettres sont signées par des femmes qui tombent amoureuses de prisonniers. Seul un quart sont écrites par des hommes qui s’éprennent de détenues. « Mais ce sondage, précise Alain Bauer, ne prend pas en compte, parce que ça ne se faisait pas à l’époque, les relations homosexuelles – lesbiennes ou gays. Malgré tout, on va dire qu’effectivement ces courriers reçus dans les prisons sont un indicateur qu’il faut prendre en compte. »

J’avais donc vu juste. Il s’agit bien d’un phénomène majoritairement féminin. Soit. Mais qu’y a-t-il de spécifique chez les femmes qu’il n’y aurait pas chez les hommes ? Le désir féminin est-il différent du désir masculin ? Ne serait-ce pas un vieux poncif ? Pourtant, les faits sont là. Les femmes écrivent dix fois plus que les hommes à des criminel(les).

Alain Bauer soulève un autre sujet : le lien entre les prisonniers et le personnel de prison et toutes celles qui sont en contact avec eux par leur métier : infirmières pénitentiaires, professeures, avocates… Il a raison. Il faudra que je creuse aussi cette piste-là. Décidément, plus j’avance, plus les questions s’accumulent. Mais n’est-ce pas le propre d’une enquête, ces portes qui s’ouvrent, quitte à les refermer si elles ne mènent nulle part ?

Et les trois profils types, qu’en pense-t-il ? Là encore, le criminologue confirme et développe : « Il y a effectivement trois syndromes qui ont été identifiés par les psys. Le premier est celui de Bonnie and Clyde : “J’ai tellement envie d’être une mauvaise fille !” C’est le syndrome de la bonne élève délurée dans les soirées de beuverie. Le second syndrome est celui de l’infirmière, dit le syndrome “Florence Nightingale”: “Je vais le sauver. Grâce à moi, la rédemption est possible.” Évidemment, on bascule de l’autre côté, car le sauvetage amène aussi à l’évasion, au passage de colis, à la transmission de documents qui permettent de poursuivre des activités criminelles. »

En fait de troisième catégorie, Alain Bauer préfère parler d’une série de mini-syndromes pas clairement qualifiés, comme cette forme de revanche sur soi-même que peuvent ressentir certaines femmes ayant été agressées, notamment sexuellement. En créant un lien avec un criminel plus « grand » que leur agresseur, elles se sentent elles-mêmes revivre. « On n’a pas vraiment défini ce syndrome, évoqué par l’auteure américaine Sheila Isenberg», m’explique Alain Bauer. Selon elle, il y aurait une volonté de sortir du statut de victime pour entrer en quelque sorte dans celui de complice afin de ne plus être rabaissée par l’agression, sexuelle ou autre. Bien sûr, cela ne couvre pas l’intégralité de tous les comportements, mais offre une lisibilité plus grande de ce phénomène.

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