Au détour d'un livre

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Châtiment, de Céline Denjean

Châtiment, de céline denjean - chatiment de cecile denjean

 

Résumé : Une violence sourde ronge la très respectable famille Bellegarde dont la mère, Marie-France, a été sauvagement assassinée. Les fondations de l'édifice familial vacillent. La major Louise Caumont trouvera-t-elle la faille pour percer à jour les secrets du clan ?

Autrice : Céline Denjean
Nombre de pages : 400
Édition :
Michel Lafon
Date de parution : 8 février 2024
Prix : 20.95€ (Broché) - 9.99€ (epub, mobi)
ISBN : 978-2749956312

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Avis / Critique :

Les meurtres du tueur en série surnommé le "Thanatopracteur" vont enfin cesser. Son corps vient en effet d'être retrouvé chez lui. L'homme serait décédé quatre mois auparavant. Maurice Chamblonne, qui habitait dans le joli village d'Encausse-les-Thermes s'est éteint tranquillement, mettant donc un terme à la série d'homicides. Tout le monde souffle enfin. La paix peut revenir, sauf que... eh bien, sauf que le dernier assassinat qui lui est imputé, finalement n'est pas le sien. Et oui, l'homme était déjà mort depuis deux mois quand le corps de Marie-France Bellegarde, mère de famille, bonne catholique, fictivement sa 22ème victime fut retrouvé. Ce qui intrigue d'emblée la police, car il s'agit pourtant du même mode opératoire : nue, les bras en croix, le pubis rasé et deux indices qui laissent entendre qu'il serait bien l'assassin.
Ces deux éléments du mode opératoire étant inconnus de tous sauf des policiers, aurait-on affaire à un copycat ?
L'enquête est relancée et ce sont la major Louise Caumont, la major Violaine Menou et l’Adjudant Thierry Saint Orens qui sont mis sur le coup.
Il va donc falloir tout reprendre depuis le début : interrogatoire et alibi du mari, fouille de la maison, entretien avec les enfants, et passer au crible la vie de Marie-France.
Très vite, les gendarmes vont découvrir que la vie de cette famille catholique n'était pas si idyllique que cela. En faisant une fouille, les gendarmes vont retrouver un linge ensanglanté et un martinet ainsi que des perruques. Il semble alors que le couple s'adonnait à des pratiques sado-masochistes. Quant aux enfants, le plus jeune, Luc montre une certaine insolence, surtout envers son père alors que la plus jeune, Marie semble, au contraire en pleine dépression. Les policiers mettent cela sur la perte de leur mère, mais très vite Louise, en est persuadée, le mari, Kléber Blellegarde est coupable. Il va donc falloir remonter la piste et trouver des éléments pour l'inculper et surtout démonter son alibi.

De son côté, Philippe Georgel, enquêteur privé, est mandaté par le neveu d'une certaine Roseline Blanc pour retrouver sa tante. Celle-ci a disparu du jour au lendemain sans laisser de traces. La femme de 60 ans était bénévole dans une association venant en aide aux femmes maltraitées. Philippe, pugnace, va tel un chien fouineur, remonter sa trace et se rendre compte que Roselyne n'est pas la seule disparue. Sur plusieurs années, des femmes, hébergées par l'association et n'ayant plus de contact avec leur famille se sont évaporées du jour au lendemain. Philippe en est persuadé, il s'agit sûrement de victimes d'un tueur en série.

Les gendarmes et l'enquêteur vont alors remonter la piste chacun de leur côté jusqu'à ce que leurs recherches les orientent en direction d'un seul et unique suspect. Mais est-ce le bon ?

Meurtres, mensonges, violences intra-familiales, enfances qui recouvrent de sombres secrets, un établissement catholique finalement pas si catholique que cela, des soupçons... Voici le cocktail explosif que nous propose avec ce livre "Châtiment" (qui porte bien son titre), Céline Denjean.
Une fois de plus Denjean nous propose une histoire savamment menée qui se dévore. Comme une araignée, l'autrice étend sa toile sur les différents protagonistes et fournit des indices, mais aussi des questions qui ne trouveront leurs réponses qu'à la toute fin. Elle se permet, même, de nous mettre d'emblée sur la piste du potentiel tueur, c'est-à-dire le mari. Son thriller est suffisamment bien construit pour intégrer ce fait. On pourrait donc s'attendre à un livre à la Columbo : on connait d'entrée de jeu le coupable, mais non, Céline Denjean remixe le tout au milieu, étend sa toile et resserre le tout sur la proie à la fin de son intrigue pour nous servir une résolution qui nous laisse agréablement surpris et qui rebat entièrement les cartes.

Donc, comme pour ces précédents ouvrages, cette maitresse es thriller est une redoutable machiniste.
D'une part, l'on suit les investigations de la gendarmerie et de l'autre celle du détective jusqu'à ce que la seconde vienne apporter du grain à moudre à la première et permettre une autre piste qui va amener à la résolution du tout. La psychologie a une grande part ici, surtout chez les enfants avec le mal-être de Marie qui monte crescendo, puis Luc dont les pensées nous sont livrées. L'ambiance stricte de l'institution catholique qui fait office d'école nous est parfaitement rendue tout comme l'est celle des différentes familles qui la fréquente. Le glauque s'installe au fil des pages montant en puissance. C'est l'univers d'une institution familiale dysfonctionnelle au possible qui nous est narré avec ses sombres secrets, ses châtiments, allant chercher ses origines dans les tréfonds du passé. 

Ce "châtiment" est savamment construit, bien écrit, mené intelligemment d'une main de maitre. Vous l'aurez compris, j'ai adoré ce thriller. Céline Denjean est vraiment la Reine du genre et nous le prouve une fois de plus dans son sixième livre.
N'hésitez pas, foncez le lire.

 

 

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Extrait :

1991

La pièce est grande et sent l’encaustique. Le parquet resplendit, impeccable. Tout est propre. Pas un grain de poussière, ni sur l’immense croix où agonise le Christ, ni sur les étagères où reposent les livres sacrés et les manuels scolaires, ni même sur les rebords de fenêtres donnant sur le grand parc. Derrière le bureau, dressée contre le mur du fond, une horloge décompte le temps. Tac. Tac…

– Quel âge as-tu, mon petit ?

La voix est rêche.

– … Onze ans.

Tac. Tac. Tac. Tac.

– Approche-toi… Encore un peu.

À chaque pas, le vieux parquet grince. Au bout des chaussures où se réfugient les yeux, les rainures du bois forment de petits sillons polis par le temps et le frottement des chiffons enduits de cire.

– Redresse-toi et lève le menton !

L’horloge est très haute. Le balancier poursuit son mouvement invariable. Le disque cuivré flirte avec les contours de sa prison circulaire. Tac. Tac. Tac.

– Ton corps a rompu avec l’innocence de l’enfance, et c’est pour cela que tu es ici.

La phrase claque comme un coup de fouet. Une main l’accompagne qui se pose à plat sur le bois lisse du bureau Empire. Grande. Propre. Aux doigts longs et aux ongles coupés court.

– Tu as souillé tes draps, la nuit dernière.

Dans l’intonation, le dégoût. La main s’est resserrée. Elle forme désormais un poing inamical. Ses phalanges blanchies cognent contre le bureau. Un bruit mat et fort qui rompt le rythme lénifiant de l’horloge.

– Onze ans… Onze ans, et l’impureté jaillit déjà de ton corps !

Tac. Tac. La chaise racle contre le parquet. Les lames de bois geignent sous le poids des pas qui font une ronde dans la pièce avant de s’arrêter. Tac. Tac. Tac.

– Ton corps est le temple du Saint-Esprit ! Le sais-tu seulement ?!

Plus qu’un cri, une fulmination. Une fulmination qui éventre le ciel et porte la tempête. Tac. Tac. Au bout des chaussures, entre les lames du parquet rutilant, se dessine une minuscule tache sombre. Tac.

– Portes-tu le Christ dans ton cœur ?

Tac. Tac. Un acquiescement timide du bout du menton. Le Christ est partout. Au réfectoire. Dans le dortoir. Dans les salles de classe. Il voit tout, Il entend tout, Il sait tout. Proverbe, 15:3, « Les yeux de l’Éternel sont en tout lieu, observant les bons et les méchants ». Alors, comment ne pas le porter dans son cœur ?

– Ou bien…

Le murmure rampe, comme un courant d’air glacial, hérisse le fin duvet des bras et provoque un frisson.

– … lui préfères-tu le diable ?

Le diable… la géhenne… le feu des Enfers… la damnation éternelle… la souffrance… la tourmente perpétuelle de l’âme… les hurlements inaltérables des suppliciés aux visages déformés par la douleur… Non, pas le diable, pas lui !

– Je t’écoute.

Une lame grince, proche, et le souffle se pose sur la nuque. Après lui, un temps suspendu que ne rompt même plus le tic-tac de l’horloge, parce que les oreilles bourdonnent de terreur.

– … Je… je préfère… le Christ…

Tac. Tac. Tac. Tac. Tac.

– La tête raisonne bien… mais que dit le corps ?

La grande main surgit dans le champ de vision et se pose sur le ventre qui se pétrifie. Les muscles qui se tendent, la peau qui se rétracte, l’abdomen qui se rentre comme pour s’échapper,

tout cela ne l’arrête pas. Non. Au contraire, la main n’hésite pas. Elle tire d’un coup sec sur la chemise et se faufile dessous. Quand elle rencontre la peau, elle est étrangement chaude et douce.

– Tu préfères le Christ, vraiment ?… Vérifions ça.

La main descend lentement vers l’entrejambe. D’autorité, elle effleure l’intimité encore glabre, elle palpe délicatement, elle touche, elle caresse. C’est une main qui sait.

– Tu dis que tu aimes le Christ…

La main glisse, va et vient, douce et ferme à la fois.

– Cependant… tu mens, sale môme. Je sens d’ici l’odeur du vice.

Le souffle est dans l’oreille, lui aussi caressant, mais pourtant glaçant.

– Ton corps n’est pas le temple du Christ…

La main se fait plus ferme, ses mouvements, plus rapides. Et sous son emprise, la respiration s’accélère un peu et se hache, la chair fourmille, se hérisse, palpite et se tend finalement. L’esprit, lui, se liquéfie, tente de balbutier quelques vagues idées mais s’égare. Dominé, vaincu, il rend l’âme.

– Ne le nie plus, ton corps est gouverné par le Malin !

C’est abominable, mais c’est vrai ! Le corps obéit à la main. Malgré la peur du diable. Malgré l’abjection, la honte, le feu de la géhenne. Malgré le Christ qui n’en finit jamais de sauver l’Homme, crucifié sur son bois, mais l’œil ouvert sur le monde. Malgré les lois de Dieu le Père, malgré le sacrifice du Fils de Dieu, malgré le miracle du Saint-Esprit, malgré tout ça, le corps frémit, tremble, tressaille et se cambre. Électrisé, nerveux, il s’excite, s’enhardit, bouillonne, s’agite, supplie qu’on le soulage, implore une délivrance. Et elle vient d’un coup, dans une décharge qui ébranle le corps tout entier et le fait chavirer.

La main se retire. Luisante. Souillée.

– Rhabille-toi, sale môme ! Tu as bel et bien le diable au corps !

La sentence est sans appel. C’est un murmure courroucé qui draine l’infamie dans son sillage. L’esprit quitte son étourdissement, brutalement ramené sur terre. Mortifié par la honte. Scandalisé par sa capitulation. Convaincu de sa faute. Certain de ne rien gouverner de ce corps coupable. Entre les lames du parquet, il y a toujours cette minuscule tache. Une bosse indéfinissable, à peine visible, de couleur noire.

– Ta chair est faible, ton corps est corrompu… Tu ressembles à un chien sacrilège que Satan tire en laisse !

Les lames du parquet craquent sous l’assaut des pas qui s’éloignent. Depuis un angle de la pièce s’élève le bruit d’un robinet. L’eau coule longtemps. Par terre, la tache semble bouger. Est-ce possible ? Puis, de nouveau, le bois fatigué gémit, et la voix sévère reprend, en se rapprochant :

– Que diront tes parents quand ils sauront que le démon est en toi ?

Le sol semble s’ouvrir. Tac. Tac.

– Je vais devoir les prévenir.

La honte fait rougir jusqu’à la racine des cheveux. Puis les larmes roulent sur les joues écarlates. Tac. Tac. De nouveau, la tache entre les lames remue.

– À moins que… Souhaites-tu expier ton péché et marcher dans la voie de pureté que le Christ t’a ouverte ?

Tac. Tac. Tac.

– Veux-tu, oui ou non, guérir du mal qui siège dans tes entrailles ? Réponds !

– … Oui… Oui, je veux guérir.

Tac. Tac.

– Soit… Puisque tu en appelles à la miséricorde de Dieu, tu viendras dans mon bureau chaque mercredi à 17 heures, et nous travaillerons à ta purification. Es-tu d’accord ?

– Oui.

– Est-ce là tout ce que tu as à dire, sale môme ?!

Tac. La gorge nouée s’étrangle dans un murmure à peine audible :

– … Je… je vous remercie.

– Bien… Une dernière chose : je ne saurais tendre la main à l’ensemble des élèves qui en auraient besoin. Je n’en ai guère le temps… Alors, considère ta chance, je fais une exception pour toi… Mais ce sera notre secret… Promets-le devant Dieu.

– Je promets devant Dieu.

– Bien. Disparais, maintenant ! Et va te laver, tu me répugnes.

Dehors, un nuage se déplace et délivre le soleil. Un rayon de lumière éclaire alors la tache, révélant une mouche agonisante, engluée dans la cire.

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