1 Février 2024
Le visage de ceux qui nous ont précédés raconte une histoire : la nôtre. Aujourd'hui, grâce aux archéologues et paléontologues qui ont reconstitué avec patience les squelettes de nos ancêtres, et grâce aux généticiens qui ont étudié leur ADN, des artistes ont pu recréer les traits des premiers hommes, de Lucy à la momie Ötzi en passant par Néandertal.
À travers quinze visages, le généticien italien Guido Barbujani raconte la vie quotidienne de ces hommes et femmes.
Auteur : Guido Barbujani
Nombre de pages : 368
Édition : Albin Michel
Date de parution : 27 septembre 2023
Prix : 22.90€ (Broché) - 15.99€ (epub, mobi)
ISBN : 978-2226479754
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Avis / Critique :
Nous sommes les maillons d'une chaine généalogique issue des époques les plus reculées et appelée à se prolonger dans l'avenir. Mais d'où venons-nous exactement, qui étaient nos lointains ancêtres, nos lointains cousins ?
Guido Barbujani est généticien des populations, biologiste et professeur de génétique à l'université de Ferrare. Autant dire qu'il est bien placé pour nous faire parcourir l'arbre de la famille des hominidés qui ont peuplé la terre jusqu'à nous, aujourd'hui, Sapiens sapiens.
Nous commençons donc ce voyage par la plus connue des australopithèques, Lucy, qui faisait donc partie de ces premiers proto-humains à avoir marché sur deux jambes, même si son espèce continuait de dormir dans les arbres pour se protéger des prédateurs. Lucy serait d'ailleurs morte en tombant d'un arbre. Guido Barbujani nous décrit la forme de son visage, son aspect, son style de vie, les circonstances de sa découverte.
Si nous ignorons toujours quelle espèce est le chaînon manquant qui nous a permis de nous distinguer des chimpanzés, on sait que la séparation s'est faite à peu près il y a 6 millions d'années. A l'époque de Lucy, il y avait également d'autres types d'australopithèques, peut-être également bipèdes : les Kenyanthropus et Ardipithecus.
C'est ensuite le tour du garçon du Turkana, retrouvé dans la vallée du Grand Rift qui nous ressemblait par certains égards puisque ses mains n'étaient pas très différentes des nôtres avec un pouce déjà assez long et une taille qui nous laisse assez pantois puisqu'il pouvait atteindre les 1.85m, et avec un développement de l'ère de Broca susceptible donc de produire du langage !
On passe après à la femme et aux hommes de Dmanissi, en Géorgie, encore proches du singe, mais dont les crânes entre eux sont si différents en capacité qu'ils auraient pu être rangés dans différentes espèces s'ils n'avaient pas été retrouvés ensemble. Avec l'homo Georgicus, on peut parler de première migration en provenance d’Afrique, certaines caractéristiques corporelles étant proches des nôtres.
Puis c'est le tour du Pithécanthrope, à mi-chemin entre l'homme et le singe, d'homo erectus (dont nous ne descendons pas), de notre cousin Neandertal (dont certaines populations posséderaient encore quelques gènes qui tendraient à se diluer au fil des générations). Neandertal, qui utilisait des coquillages pour se raser, enterrait ses morts, peignait, faisait preuve d'assistance mutuelle, était capable d'amputer un membre (bien loin de l'image du rustre décrit dans les vieux ouvrages d'histoire), qui était probablement clair de peau et roux aux taches de rousseur et qui s'est réparti depuis l'Afrique sur L’Europe et l'Asie occidentale. Puis nous découvrons Homo Heidelbergensis qui utilisait le feu et fabriquait des projectiles pour tuer des proies à distance et qui habitait dans plusieurs endroits du monde comme l'Europe, l'Asie, et l'Afrique. Guido Barbujani nous parle ensuite de l'homme de Denisova, également un de nos parents, mais moins proche de nous que Neandertal, qui lui aussi aurait laissé des traces dans l'Adn de certaines populations asiatiques, notamment.
Et arrive enfin, Sapiens dont le plus ancien fossile connu provient d'Omo Kibish, en Éthiopie et remonterait à 190 000 ans. Et là commence la route des migrations successives par petits groupes, vers 80 000 vers la Chine, l'Anatolie, puis vers l'Europe, alors que d'autres partaient à leur tour, peut-être de l'autre côté.
Guido fait également place à l'homme de Fiorensis ou homme de Florès, surnommé les Hobbits, ces hominidés âgés de 13 000 ans (dont des outils primitifs suggèrent l'implantation dès 84 000 av. JC.), avec des caractéristiques plus proche du chimpanzé, mais dont la dentition est celle d'un homme moderne. Véritable combinaison archaïque et de nouveautés, frappé de nanisme insulaire ou dut à une détérioration génétique suite à une consanguinité poussée et inévitable. Énigme encore de la science. D'où provient ce hameau tantôt assimilé à Georgicus ou Erectus qui s'est développé avec ses caractéristiques propres ?
Guido arbujani clôture son livre par les premières arrivées sur le continent Américain, et en Australie d'homo sapiens.
Chaque début de chapitre permet de se faire une idée de l'hominidé dont il est question par une représentation photographique. La fin du chapitre, lui, nous permet d'en savoir plus par l'intermédiaire d'une bibliographie succincte ou de liens qui nous renvoie vers des articles scientifiques abordant le sujet sur un point plus précis.
On apprend donc qu'il y a eu plusieurs vagues de sapiens vers l'Europe et que nous sommes quelque peu différents suivant la période où nos ancêtres sont partis d'Afrique pour gagner les autres régions du monde. En effet, certains ont acquis des gènes de Néandertal, de Denisova, des modifications génétique dues au climat, à l'environnement, aux populations qui se sont dissociées au fil du temps en emportant leur propre combinaison génétique, alors que d'autres sapiens demeuraient toujours en Afrique.
Les Sapiens ne sont donc pas tous les mêmes, mais sont tous issus du même rameau sapiens originel qui a ensuite dévié suivant les vagues. Nous apprenons également, et là, j'en suis tombée de ma chaise qu'au terme d'un long processus de plusieurs millions d'années, nous avons perdu nos poils... bon, cela on le savait, mais l'information à retenir c'est que nous étions à l'origine blanc (enfin, nos ancêtres les singes ayant perdu leurs poils étaient blanc et donc, j'ai également appris que les singes avaient une peau blanche sous les poils. Ce qui semble logique puisque les poils ont un rôle protecteur), et donc qu'ayant perdus nos poils, le corps a dû se foncer pour protéger les cellules de notre épiderme et des cellules plus profondes de notre corps du soleil (puisqu'il n'y avait plus les poils pour faire office de protection). La blancheur des Européens n'étant réapparue qu'il y à 5 000 à 10 000 ans selon les scientifiques, au sud du Caucase avant de se répandre sur le reste de l'Europe. L'homme de Cheddar, en Angleterre, daté d'environ 10 000 ans, aurait en effet eu la peau sombre, mais des yeux bleus alors que dans le Caucase 2 000 plus tôt, Sapiens avait déjà perdu sa peau sombre pour une peau plus claire.
"Album de famille", c'est donc un livre qui nous apporte de nouvelles infos sur les premiers cousins présumés des sapiens, sur nos ancêtres, sur la route qu'ils ont suivis, sur la capacité des cerveaux d'alors, sur Neandertal, Denisova. On remonte avec "L'album de famille", notre album. On fait le point sur les dernières découvertes, les premières migrations d'Afrique des hominiens (mot qui rassemble le genre homo et ses ancêtres), les premières présences des hominiens dans les vallées de Géorgie il y a 1 800 000 ans, les migrations suivantes, le rôle des bactéries, de la nourriture, des gènes qui se sont modifiés au fil du temps. On apprend que Neandertal avait besoin de 6000 kilocaries par jour, par exemple (ce qui pourrait expliquer en partie son extinction, car il avait besoin d'énormément de nourriture pour survivre et sapiens qui arrivait, beaucoup moins). Guido Barbujani évoque également l'Eve mitochondriale, et même la théorie de l'évolution de Darwin.
Même s'il nous reste énormément de faits encore à découvrir, de fossiles à trouver, des réponses à certaines questions qui demeurent toujours en suspens (qui est le chaînon manquant ?, par exemple), ce livre couvre les principales avancées scientifiques sur le genre sapiens et ses lointains cousins.
Intéressant, instructif, bien amené, de lecture facile pour les non-érudits et donc pédagogique, "Album de famille" est un livre à se procurer pour ceux qui s'intéressent à nos origines. Beaucoup de réponses nous sont ici apportées. Guido Barbujani rend le tout très intéressant à lire. Les chapitres sont bien découpés, il y a peu de redondances, ce qui rend la lecture agréable. Je l'ai dit, les liens en fin de chapitre permettent à ceux qui le souhaitent d'approfondir tel ou tel sujet.
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Album de famille, de Guido Barbujani - "www.audetourdunlivre.com"
Le soleil brille sur Néandertal, et cet autochtone plutôt âgé plisse les yeux. Il a l’air fatigué. Rien d’étonnant : il en a vu de toutes les couleurs. On peut dire que la paléontologie humaine est apparue avec lui, non pas le jour de sa venue au monde (il y a 40 000 ans), mais le jour où, dans la carrière de Feldhofer, on a déterré son squelette (en 1856). Ajoutons qu’au fil du temps sa réputation s’est beaucoup améliorée. Sur une célèbre illustration de 1909, le peintre tchèque František Kupka l’avait imaginé sous l’aspect d’une grosse bête velue à l’affût derrière un rocher, qui brandissait une massue gigantesque et certainement animé des pires intentions. Kupka n’était d’ailleurs pas une exception : les spécialistes du début du XXe siècle insistaient tous sur la non-humanité des Néandertaliens. Et, en 1953, les affiches d’un film de série B américain, The Neanderthal Man, le présentaient encore comme « moitié homme, moitié bête » (dans le film, il se comportait comme tel). Rien à voir avec la reconstitution, que je serais tenté de qualifier d’affectueuse, des jumeaux Kennis, qui ont tenu à souligner nos points communs avec ces anciens Européens. Monsieur Feldhofer 1 a un gros nez et la peau claire, deux formes d’adaptation à l’environnement. Quand il fait froid (n’oublions pas que nous sommes en Allemagne, près de Düsseldorf), on risque moins de tomber malade si l’air, avant de descendre vers les poumons, se réchauffe dans une large cavité nasale. Concernant la peau, nous verrons un peu plus loin ce qui nous prouve qu’elle était blanche et, dans quelques chapitres, pourquoi c’était une bonne chose. Dans la reconstitution, notre homme tient son bras gauche baissé : il se l’est fracturé, on ne sait comment, et ilne peut plus le tendre complètement, en raison d’une mauvaise soudure des os. De son autre bras, il s’appuie sur un bâton ou peut-être sur un javelot ; dans le second cas, on ignore s’il était en mesure de le lancer : à ce jour, on n’a retrouvé sur aucun site néandertalien, en Europe ou en Asie, de javelots comparables à ceux dont Homo heidelbergensis se servait pour chasser, des dizaines de siècles auparavant. Le bois se détériore vite, certes, et on ne saurait donc exclure a priori leur existence ; mais il se pourrait aussi qu’ils ne soient pas parvenus jusqu’à nous tout simplement parce que les Néandertaliens ne les utilisaient pas. Une seconde raison, liée à leur anatomie, permet de douter qu’ils aient manié des armes de jet. En règle générale, l’os du bras, l’humérus, présente une section elliptique. Lancer des objets en faisant tournoyer son bras en l’air l’oblige à un effort qui, au fil des ans, l’amène à devenir plus robuste et à se remodeler. Si on le met beaucoup à contribution – c’est par exemple le cas pour les lanceurs de javelot ou les joueurs de base-ball –, il tend à prendre une forme circulaire. Or la section de l’humérus néandertalien décrit une ellipse très accentuée (beaucoup plus que celle des premiers Homo sapiens), ce qui, ajouté à d’autres considérations elles aussi d’ordre anatomique, laisse penser qu’ils étaient bel et bien incapables d’effectuer une rotation ascendante du bras, peut-être parce que leurs ligaments les en empêchaient. Si tout cela est exact, ils auraient pu jouer aux boules, mais pas au base-ball. Nous ignorons bien entendu jusqu’à quel point cette limitation les chagrinait, mais nous avons pu en évaluer les conséquences pratiques. Même à défaut de les employer comme armes de jet, il reste toujours loisible de chasser avec des lances, en leur imprimant un mouvement de bas en haut dans une lutte au corps-à-corps. Mais il faut alors, par définition, s’approcher très près de l’animal choisi pour proie, qui, s’il est gros et fort, rend l’opération des plus dangereuses. Les Néandertaliens pratiquaient la chasse au gros gibier : sur leurs lieux d’habitation, on a retrouvé des restes de mammouths, de bisons, d’ours des cavernes et même d’aurochs, de gigantesques ancêtres des bovins éteints au XVIIe siècle. Les ossements d’Homo neanderthalensis présentent par ailleurs un nombre impressionnant de fractures : tout au long de leur existence, les traumatismes étaient chez eux très fréquents. Une bonne nouvelle, enfin, pour les partisans des sociétés égalitaires : aucune différence majeure n’apparaît entre les hommes et les femmes, et selon toute apparence, les risques de la chasse au gros gibier étaient équitablement partagés, y compris avec les enfants. Après avoir comparé les mêmes lésions sur des fossiles néandertaliens et sur les squelettes d’individus modernes, Thomas Berger et Erik Trinkaus en ont conclu que de nos jours la seule catégorie professionnelle où les os subissent des traumatismes comparables est celle des cavaliers de rodéo américains.
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