Au détour d'un livre

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Spinoza - L'homme qui a tué Dieu, de JR Dos Santos

Spinoza - L'homme qui a tué Dieu, de JR Dos Santos

 

Résumé : Comment Spinoza a inventé le monde moderne.

Amsterdam, 1640.
Un homme est excommunié de la communauté juive portugaise à Amsterdam pour avoir remis en question les Écritures. Le jeune Benoît de Espinosa assiste à la scène et l'épisode fait germer en lui un doute.
Et si ce que raconte la Bible était faux ?
Le soupçon va lancer Bento dans la plus grande quête intellectuelle qui soit. Qui a vraiment écrit les textes sacrés ? Quelle est la vérité sur Dieu ? Qu'est-ce que la nature ?
Toutes ces questions sont interdites et le jeune Spinoza va bientôt en payer le prix. Rabbins et prédicateurs chrétiens commencent à le persécuter et l'accusent d'hérésie.

Auteur : Jose Rodriges dos Santos
Nombre de pages : 576
Éditeur : Hervé Chopin
Date de parution : 19 octobre 2023
Prix : 22.50€ (Broché) - 14.99€ (epub, mobi)
ISBN :
978-2357207141

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Avis / Critique :

Jose Rodrigues dos Santos, journaliste et reporter de guerre est surtout connu comme auteur à succès des aventures de Tomas Norohna, professeur d'histoire et cryptologue, contemporain de Robert Langdon, symbologue. Mais là où Dan Brown nous a servi le même genre de romans, Rodrigues dos Santos s'est diversifié et nous livre à chaque fois un livre où il fait preuve d'un incroyable travail de recherche. Et ce Spinoza, l'homme qui a tué Dieu ne fait pas exception à la règle. Une fois de plus, il parvient à vulgariser son sujet afin de le rendre accessible à tous, mais n'omet pas pour autant, loin de là, d'apporter une incroyable source de savoir. Grâce à lui, vous ne verrez plus les pensées et la vie du philosophe de la même manière.

Benito de Espinoza, ou Bento est le fils de Miguel de Espinoza et frère de Miriam, Rebecca, Isaac et Gabriel. Il est issu d'une famille juive originaire du Portugal. Ses parents ont fui la persécution des catholiques espagnols et rejoints la communauté juive portugaise en Hollande ou va naitre Benito, notre futur philosophe. Jeune enfant, celui-ci assiste à la repentance d'Uriel da Costa qui a subi un cherem (un exil de la communauté juive et une mise au ban de celle-ci pour hérésie). Benito ne comprend pas comment un homme a pu subir ainsi l'exclusion pour avoir remis en cause la loi orale du Talmud et avoir affirmé que l'âme n'était pas immortelle.

Lui-même va commencer à remettre en question la pensée commune au fur et à mesure qu'il se met à étudier la Torah. Benito qui est incroyablement intelligent lit tout ce qu'il peut et se met à poser des questions au grand Rabbin, tentant de comprendre les écrits et la loi orale. Mais les réponses que l'homme lui rapporte ne conviennent pas à Benito qui tente de chercher ailleurs ces réponses.
Alors que chacun voit en lui le futur grand rabbin de la communauté, Benito rejoint un collegianten, un mouvement de jeunes Hollandais et de libres-penseurs qui discutent de la Bible. Il se met également à suivre des cours de latin chez un érudit hollandais, Van den Enden qui lui fait découvrir Hobbes, Descartes, Bacon, Machiavel, et Galilée. Il faut dire qu'à l'époque, il n'est possible de lire les philosophes qu'en latin, seul moyen qu'ont trouvé les penseurs de biaiser les interdits des predikaten, les pasteurs de l'église réformée. Heureusement, pour Benito, celui qui est au pouvoir, Johan de Witt est un homme ouvert à la controverse qui protège tant qu'il le peut les libres-penseurs en leur permettant d'éditer. Auprès de Van den Enden, Benito, devenu Benedictus, étudie les textes et s'ouvre à l'analyse, à l'interrogation qui lui fait remettre en doute la notion de Dieu en elle-même. Qu'est-ce que Dieu, qui est-il ? A-t-il écrit les tables de la loi ? Qui a écrit la Bible et dans quel but ? Armé de ses réflexions, de ses recherches, de ses propres convictions, Benedictus de Spinoza rédige alors ses premiers textes portés par ses amis du collegianten. Bien vite, ses écrits heurtent les predikaten qui tentent de faire interdire ses livres et surtout de le faire emprisonner, voire tuer.

Avec ce livre, ce sont les pensées d'Espinoza que nous retranscrit Jose Rodrigues dos Santos comme s'il était ce génie de la philosophie. Avec le jeune Benito, nous vivons dans cette communauté juive et découvrons comment celle-ci fonctionne, comment elle est perçue par les Néerlandais, comment est vécu le dogme juif à l'intérieur avec ses interdits et ses nombreuses règles, sa famille et ses premières interrogations. Ensuite, c'est l'heure de l'émancipation. D'abord, en reprenant les rênes du commerce familial, puis devenant étudiant donnant des cours, amoureux de la fille de Van der Enden, créateur ensuite de lentilles pour payer ses cours. C'est sa pensée que nous suivons avec ses premières interrogations puis les élaborations de sa pensée et la rédaction de celle-ci au cours des années, passant au travers des interdits. C'est la politique néerlandaise que nous découvrons enfin avec De Witt, le libertaire, puis les Orangistes. C'est aussi l'arrivée de la peste, de la maladie d'Espinoza qui l'entrave dans ses relations. 

A la manière qu'il a l'habitude de façonner ses livres, Jose Rodrigues dos Santos utilise chacun des protagonistes pour imposer un jeu de questions-réponses afin de faire parler son héros, Benito. C'est au travers de ce jeu que nous découvrons la pensée du philosophe, comment il a dans un premier temps assimilé les enseignements de Descartes, mais également et surtout les a supplanté avec sa propre pensée. Cela est savamment mené par l'auteur, car tout est fluide, et Rodrigues nous permet de comprendre ses concepts philosophiques sur la mort, la nature, Dieu, l'univers, le sens de la vie, de l'âme, mêlant la vie personnelle de Spinoza et l'impact qu'il a sur les gens qui le rencontrent dans cette société du XVIIe siècle, peu encline à remettre en cause les religions.

Spinoza un homme en avance sur son temps que l'on découvre ici sous la plume de Jose Rodrigues dos Santos. Ce livre est fait pour ceux qui veulent découvrir la pensée du philosophe s'en avoir nécessairement envie de lire ses ouvrages, ceux qui aiment les romans bien écrits, enfin, ceux qui aiment les livres profonds. Le seul bémol que je mettrais, c'est peut-être la longueur, mais une fois fini, on ne regrette pas de l'avoir lu et d'avoir dû y consacrer plusieurs heures.

Bref, ce livre est une réussite. Il faut dire qu'avec Jose Rodrigues dos Santos, il est rare d'être déçu tant l'homme met du cœur à l'ouvrage.
Spinoza, l'homme qui a tué Dieu, c'est en résumé un roman qui explore une figure singulière, et qui nous immerge dans l'histoire de la communauté des juifs néerlandais de l'époque, mais également des
collegianten qui ont permis à Spinoza, mort à seulement 44 ans de faire passer ses idées jusqu'à nous.

 

 

Spinoza - L'homme qui a tué Dieu, de JR Dos Santos

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Extrait :

 

Prologue

Les yeux bruns de l’enfant de 8 ans étaient rivés sur le tissu de soie rouge et or qui recouvrait les rouleaux de la Torah dans le Hekhal, le sanctuaire en bois à deux battants de l’arche. C’était comme si HaShem, Lui-même, le Nom, Dieu béni, omnipotent et omniprésent, El-Shaddai Tout-Puissant, Adonaï, Élohim ou n’importe lequel de Ses mille autres noms, était là, attendant d’être dévoilé pour pouvoir poser sur tout un chacun Son regard chargé d’infini. Miséricorde, justice, colère, compassion, majesté, puissance, amour, vie et mort. Il était tout ce qui existait. Tout. L’incommensurable.

À l’intérieur de la synagogue, connue chez les Yehudis sous le nom d’Esnoga, régnait le brouhaha caractéristique d’un moment de détente ponctué de bavardages entrecoupés de rires. Les courtiers échangeaient des informations utiles à leur activité boursière, les négociants discutaient de la date d’arrivée des dernières cargaisons de bois-brésil de Recife et de sel de Setúbal, ainsi que d’éventuels problèmes avec les Espagnols. D’autres membres de l’assemblée commentaient l’impudence des Tudesques qui voulaient vendre des aliments casher aux Portugais dans leurs boucheries, tandis qu’une poignée d’entre eux s’amusait de la dernière plaisanterie venue de Lisbonne ou de Séville. Les hommes portaient un tissu blanc accroché à leur chapeau, le talit, qui leur tombait sur l’épaule, et ils s’asseyaient tous à la place qui leur était réservée. Tous, sans exception, tenaient un Tanakh, la Bible juive, à la main ; certains écrits en hébreu, la plupart en portugais.

Le regard du petit Bento se dirigea vers la galerie où étaient rassemblées les femmes, voile sur la tête et, pour la plupart, accompagnées de leurs filles. Deux ans plus tôt, il pouvait encore voir sa mère assise là, silencieuse et attentive, toussant parfois ; mais précisément à cause de cette maudite toux, Ana Débora n’était déjà plus de ce monde. À sa place, il vit deux fillettes de son âge qui lui souriaient. Il se redressa immédiatement. On lui disait parfois qu’il était joli garçon, ce qui attirait apparemment tous ces sourires et ces regards des filles, mais, timide comme il l’était, il ne savait comment réagir.

Le brouhaha cessa brusquement. Ce silence soudain était si inhabituel qu’il arracha Bento à ses rêveries. Les visages de tous les fidèles se tournèrent vers la porte donnant sur la rue ; assis dans le sanctuaire avec sa famille, le garçon en fit de même.

Dans la lumière blafarde du soleil qui filtrait à travers l’entrée, se dessinait la silhouette d’un homme aux cheveux gris en bataille, les épaules voûtées, immobile et tête basse ; on aurait cru qu’il avait peur d’entrer. Les regards des Yehudis restèrent fixés sur le nouveau

venu, sans l’inviter à entrer, mais sans le rejeter non plus ; ils attendaient simplement de voir ce qu’il allait faire. Oserait-il s’avancer ou ferait-il demi-tour ?

Sentant la tension soudaine qui s’était installée dans le sanctuaire, Bento se tourna sur le côté.
— Qui est-ce ?

Ses deux frères, Isaac, son aîné d’un an, et Gabriel, plus jeune de deux ans, haussèrent les épaules avec indifférence.
— Aucune idée.
Il regarda alors l’homme qui les accompagnait.
— Qui est cet homme, Père ?
— C’est Uriel da Costa.
— Pourquoi tout le monde le regarde ?
Agacé, le père porta son index à ses lèvres.
— Chut !

Le petit se tut et regarda à nouveau l’homme qui venait d’arriver. Toujours debout au milieu de l’entrée, Uriel da Costa prit une profonde inspiration, comme pour s’encourager à faire ce qu’il était venu faire là. Il se remit à marcher, échine courbée sous le poids de la défaite, regard apeuré rivé au sol, et entra dans la synagogue par le couloir central, autour duquel les fidèles le dévisageaient.

Il atteignit la bimah, la plate-forme en bois située au centre du sanctuaire, où se déroulaient habituellement les lectures. Après une nouvelle hésitation, il la gravit à pas lents et lourds, tel un condamné qui se rend vers l’échafaud. La bimah était déserte et les regards des Yehudis étaient tous braqués sur lui, comme s’il s’agissait du hakham prêt à officier. Se tournant vers la foule, Uriel sortit de son manteau le papier que le hakham Saul Levi Morteira, le Grand Rabbin, avait préalablement rédigé avec les mots appropriés pour l’occasion. Il le déplia. Ses mains tremblaient de nervosité et le papier ne cessait de bouger. Il déglutit d’un coup sec en posant les yeux sur les premières lignes du texte. Puis il se racla la gorge.

— Moi, Gabriel da Costa, fils de Bento et Sara da Costa, né à Porto et diplômé en Droit canonique à l’université de Coimbra, revenu à la vraie foi en 1612 ici, dans la communauté portugaise d’Amsterdam où les Juifs vivent sans craindre d’être Juifs, après avoir été excommunié une seconde fois il y a sept ans pour mes péchés, je viens devant vous pour me confesser, dit-il d’une voix faible et tremblotante. Les péchés que j’ai commis mériteraient que je meure mille fois, car j’ai propagé des blasphèmes qui offensent HaShem, béni soit Son nom, j’ai violé le shabbat, je n’ai pas gardé la vraie foi et je suis allé jusqu’à dissuader d’autres personnes qui suivent la foi mauvaise de devenir Juifs. Je consens à obéir à l’ordre qui m’a été donné, et je m’engage à remplir toutes les obligations qui pourraient m’être imposées et à me soumettre volontairement aux punitions qu’on voudrait m’infliger. Je promets solennellement de ne plus retourner sur de mauvaises pentes désormais, d’éviter les turpitudes et les crimes dans lesquels je suis tombé, et de ne plus fouler que le chemin de la vraie foi.

 

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