19 Juin 2022
Résumé : Suivez le fil infernal.
Une scène de pure folie dans un chalet. Une victime au visage réduit en bouillie à coups de tisonnier. Et une suspecte atteinte d'une étrange amnésie. Camille Nijinski, en charge de l'enquête, a besoin de comprendre cette subite perte de mémoire, mais le psychiatre avec lequel elle s'entretient a bien plus à lui apprendre. Car avant de tout oublier, sa patiente lui a confié son histoire. Une histoire longue et complexe. Sans doute la plus extraordinaire que Camille entendra de toute sa carrière...
Auteur : Franck Thilliez
Nombre de pages : 374
Édition : Fleuve éditions
Date de parution : 5 mai 2022
Prix : 21.90€ (Broché) - 16.99€ (epub, mobi)
ISBN : 978-2265155558
________
La gendarme Camille Nijinski se trouve au chevet d'une femme amnésique à l'hôpital. Celle-ci a été retrouvée couverte de sang dans les bois à proximité d'un cadavre. Qui est-elle ? Seul indice, une pièce d'échec qu'elle portait sur elle. Le docteur Fibonacci fait alors part à Camille d'une étrange histoire dans laquelle cinq femmes semblent jouer le premier rôle. Il y a la journaliste, la psychiatre, la kidnappée, la romancière et la cinquième personne qui semble être le fil de ce dédale.
Qui sont-elles et quel est leur lien ?
Il y a d'abord Lysine, journaliste au courrier Normand. Elle va chercher une enveloppe à la poste qui aurait été déposée par elle-même. Dans l'enveloppe, un film avec des images où une femme est torturée. Seuls indices, l'image d'un taureau et les lieux, familiers.
Véra Clétorne, est, elle, une ancienne psychiatre qui s'est retirée du monde à cause de ses problèmes d'hyper-électrosensibilité. Elle vit dans un chalet au milieu de rien, ne parle que par CiBi, ne rencontre que des gens comme elle jusqu'à ce qu'une femme vienne la déranger dans son quotidien.
Et puis, il y a Julie, une jeune étudiante, qui a rencontré un auteur de polar étrange, Caleb Traskman et qui se fait enlever et séquestrer.
Et puis, il y a Sophie Enrichz, la romancière dont Véra lit le livre, "La fille venue de l'ombre" un thriller très noir. Et enfin la cinquième personne...
Un labyrinthe, celui du cerveau, celui d'une séquestration, celui d'une quête pour découvrir la vérité. Franck Thilliez s'amuse à nous perdre et effectivement en commençant ce livre, on se demande où il veut nous emmener, car nous passons de l'un à l'autre des personnages sans vraiment comprendre le but de tout cela, chacune avec son histoire. Et puis... et puis, peu à peu le schéma se dessine, les indices se dévoilent et le lecteur commence à comprendre la mécanique qui s'opère et à suivre le chemin qui va le mener vers la sortie du labyrinthe. Et quand on parvient aux 100 dernières pages, impossible de décrocher, car on est happé par le récit, par l'intrigue, par ce Labyrinthe qui s'insinue jusque dans notre esprit pour tenter de comprendre.
C'est diablement bien amené et il faut s'accrocher même si, au départ, on peut se montrer décontenancé. Un peu à l'instar de ces autres livres comme "Rêve", l'auteur sort de son duo "Sharko et Hennebelle", comme une récréation libératrice qui lui permettra ensuite de mieux replonger dans l'écriture d'une nouvelle aventure de ce duo. Cet intermède lui fait du bien et à nous aussi.
A la fin du livre, nous revenons au début comme une boucle et en refermant le dernier chapitre, on se demande soi-même si tout ce qui nous entoure est finalement la vérité... Quelques millisecondes d'une question qui se pose et qui démontre la force du roman de l'auteur qui est capable de nous faire questionner même un bref instant sur nous-même.
Encore un Franck Thilliez plein d'imagination, déconcertant au début, malaisant au milieu et jubilatoire à la fin. Une réussite qui demande au lecteur de s'accrocher pour se laisser amener vers la sortie de la folie... A moins que... mais shut.
A vous de vous lancer dans le dédale de ce Labyrinthe.
________________
1
— Comment va-t-elle, docteur ?
Camille Nijinski avait ôté ses gants fourrés et se massait doucement les mains. La chaleur infernale qui régnait dans l’hôpital contrastait avec les températures à pierre fendre de l’extérieur et tiraillait les crevasses encore à vif sur ses doigts. D’un geste, le docteur Fibonacci lui intima de ne pas s’avancer davantage dans la chambre. Face à eux, la patiente dormait ; le bip lent de l’électrocardiogramme indiquait un sommeil paisible qu’il n’était pas question de perturber.
— D’après ses médecins, physiquement, il n’y a pas de risques. Les analyses biologiques révèlent des carences, mais rien de grave. Quant à ses engelures, même si certaines sont assez profondes, elles ne laisseront pas de séquelles. Psychologiquement, en revanche, c’est une autre histoire. Je vais faire au plus simple : tout a disparu de sa mémoire.
— Quand vous dites tout…
— L’intégralité de sa vie d’avant. Elle ne se souvient de rien. Une page blanche.
La flic contempla sa suspecte. Des cheveux en bataille encadraient un visage qui, bien qu’abîmé par le froid, paraissait apaisé au milieu du grand oreiller blanc. Elle tira de sa poche un stylo et un carnet.
— Il va falloir que vous m’expliquiez, docteur. Je ne vois pas comment elle a pu « oublier » soudain toute sa vie, alors qu’elle est allongée sur un lit d’hôpital et que vous m’affirmez que, physiquement, elle n’a rien de grave. Cette femme a été retrouvée couverte de sang, dans les bois, à proximité d’un cadavre, elle n’a pas prononcé un seul mot depuis, et maintenant vous m’annoncez qu’elle ne se rappelle rien ?
Elle ouvrit son carnet, visiblement encore vierge de toute annotation, d’un geste sec.
— On n’a rien ! Ni sur elle, ni sur la victime, ni sur les circonstances de cet horrible drame. Personne ne connaît cette femme, personne ne l’a jamais vue. On ignore d’où elle sort. Se réfugier derrière une amnésie est peut-être un moyen de nous dissimuler qui elle est, ou de fuir ses responsabilités.
— Croyez-moi, elle ne simule pas.
— Dans ce cas, expliquez-moi, convainquez-moi, afin que je puisse moi-même convaincre mes supérieurs. Ils vont avoir besoin de réponses.
Fibonacci l’invita à rejoindre le couloir, referma la porte et pointa du doigt les deux hommes qui patientaient un peu plus loin.
— Lequel est votre supérieur ?
— Aucun. Ce ne sont que mes coéquipiers et ils sont assez hermétiques aux affaires compliquées. Tous les deux n’attendent que la retraite. Et puis, pour tout vous avouer, on n’a pas vraiment l’habitude de ce genre de trucs, dans notre patelin. Alors, qu’est-ce qu’on fait ? On met la nouvelle sur le coup. Une sorte de test, vous comprenez ?
Les deux hommes ne les lâchaient pas des yeux, les traits tendus.
— Je vais nous chercher des cafés, répondit simplement Fibonacci. Noir et très sucré ?
— Vous savez lire dans les pensées.
— C’est un peu mon métier. En attendant, installez-vous dans la chambre à côté, la 21, nous serons au calme pour discuter.
Camille l’observa échanger quelques mots avec ses collègues. Puis elle se reconcentra sur sa suspecte. Elle n’avait aucune notion en psychiatrie ou en psychologie, mais elle peinait à croire à la version du toubib. Qu’est-ce qui aurait pu provoquer pareil cataclysme sous son crâne ? Et en quoi consistait cette amnésie, au juste ? La femme était-elle encore capable de compter, par exemple ? Connaissait-elle au moins son prénom, son identité ?
Elle entra finalement dans la chambre voisine sommairement meublée : un lit dans le coin, deux chaises, une commode, une salle d’eau ridicule. Elle s’approcha de la fenêtre. Le givre s’accrochait aux vitres, donnant l’impression que le verre allait exploser. Deux étages en contrebas, elle distingua sa voiture vert bouteille, entre deux ambulances. Le parking était bondé. Les hôpitaux, comme les cimetières, ne désemplissaient jamais.
Camille ôta sa parka fourrée, fit le tour des lieux pour chasser sa nervosité et jeta un œil à son reflet dans le miroir au-dessus du lavabo. Elle avait une sale tête. Trop de travail, et cette enquête ne risque pas d’arranger les choses, songea-t-elle en soupirant. Elle avait l’impression d’avoir vieilli de cinq ans. Sans doute à cause de ses yeux, d’ordinaire si bleus, qui paraissaient éteints, et de la morsure du froid qui malmenait sa peau. Elle tira sur sa lèvre inférieure pleine de gerçures, frôla l’arête de son nez du bout de l’index. Tu es trop maigre, ma grande. Beaucoup trop maigre… Puis elle rajusta le col de son chemisier crème et boutonna le bas de sa veste assortie dans laquelle elle flottait afin de se redonner de la prestance. Elle n’aurait su dire pourquoi mais, depuis son arrivée, le psychiatre la mettait mal à l’aise. Sûrement ce profil d’aigle, et ces pupilles d’un noir intense qui semblaient pénétrer au plus profond de l’âme.
Marc Fibonacci entra avec deux gobelets fumants et repoussa la porte du talon.
— Asseyez-vous, mademoiselle Nijinski, je vous en prie. J’espère que vous avez du temps. Ce que je vais vous raconter, c’est comme ouvrir un roman à suspense particulièrement sombre et en prendre pour cinq cents pages de montagnes russes.
— J’ai tout le temps qu’il faudra. Il est important que nous établissions la vérité sur cette affaire.
— Ah, la vérité…
Fibonacci marcha jusqu’à la fenêtre où elle se trouvait quelques minutes plus tôt. Il garda un instant le silence, son gobelet au bord des lèvres. Puis il se tourna vers elle.
— Le cerveau humain peut déployer les plus incroyables stratagèmes pour protéger l’esprit. Il s’adapte sans cesse, se reconstruit sur ses ruines… Il est même capable de se piéger lui-même. De faire passer des souvenirs inventés pour réels. De nous persuader, par exemple, que nous avons été agressés à la cantine quand nous étions collégiens, même si cela ne s’est jamais produit. Savez-vous comment on appelle ce phénomène ?
— Absolument pas, je ne suis que policière…
— La paramnésie de certitude. La conviction du déjà-vu, du déjà-vécu… Une pure invention de l’esprit. Alors où se situe la vérité, là-dedans, à partir du moment où vous croyez que le passé que vous avez en mémoire est le vrai passé ?
Il s’installa en face d’elle après avoir pioché un objet dans sa poche.
— Vous jouez aux échecs, mademoiselle Nijinski ?
— J’en connais les règles, tout au plus…
— Elle portait ceci sur elle. Un fou du camp noir.
Camille manipula la pièce en bois, haute de cinq centimètres.
— Où ça, sur elle ? Nous n’avons rien trouvé et…
— Elle m’a parlé, l’interrompit Fibonacci d’un air grave. Avant d’oublier, la patiente m’a expliqué ce qui s’est passé, de A à Z.
Camille manifesta sa stupéfaction. Pourquoi Fibonacci ne les avait-il pas avisés plus tôt de cette information capitale ?
— Elle a avoué le meurtre ?
— C’est… plus compliqué que ça. Je dois vous confier que, au cours de ma carrière, je n’ai jamais été confronté à un cas pareil. J’en ai pourtant croisé, des patients. Mais elle, elle est hors du commun.
Il reprit la pièce d’échecs et désigna le carnet que son interlocutrice venait de poser sur ses genoux.
— Vous avez raison, écrivez, écrivez tout ce que vous pourrez, même si l’histoire que je vais vous raconter est longue et complexe. Elle est certainement la plus extraordinaire que vous entendrez de toute votre vie. De celles qu’on ne lit que dans les romans. Et encore.
Camille rouvrit son carnet vierge. Première page.
— Au fait, petite parenthèse, ajouta Fibonacci, j’aime beaucoup l’opéra et la musique classique, et votre nom de famille m’intrigue depuis notre rencontre. Ôtez-moi d’un doute : aucun lien avec Vaslav Nijinski, le célèbre danseur russe du siècle dernier qui fut atteint de schizophrénie ?
— Mon arrière-grand-père venait de Slovaquie. Il était ouvrier. Pas grand-chose à voir avec l’opéra. Enfin, je pense que je l’aurais su, si ce danseur figurait parmi mes ancêtres.
— Si ça vous intéresse, je serais ravi de vous parler de Nijinski, un de ces jours…
Est-ce qu’il la draguait dans de pareilles circonstances ? Ce type était vraiment déroutant et Camille se contenta de hocher la tête.
— Revenons à notre affaire, continua-t-il comme si de rien n’était. Vous devez savoir qu’il y a cinq protagonistes dans le récit que je vais partager avec vous. Toutes des femmes. Écrivez, c’est important pour la suite : « la journaliste », « la psychiatre », « la kidnappée », « la romancière »…
Elle inscrivit scrupuleusement, les unes sous les autres, les identités. Et se demanda si l’une de ces femmes était celle alitée de l’autre côté de la cloison. Probablement, mais laquelle ? La journaliste ? La kidnappée, peut-être ? Dans ce cas, avait-elle été la proie de l’individu au visage réduit en bouillie à coups de tisonnier ? Était-il question de vengeance ? Il y avait eu un tel acharnement… De la pure folie. Camille voyait encore tout ce rouge dans le chalet, jusqu’au plafond. Un véritable théâtre d’horreur.
Lorsqu’elle releva les yeux, Marc Fibonacci la fixait avec le regard froid et indéchiffrable qu’ont parfois les psys. Une carapace nécessaire, sans doute, lorsqu’on explore à longueur de journée des psychismes déréglés.
— La journaliste, la psychiatre, la kidnappée, la romancière, répéta-t-elle en relisant ses notes. Il me manque la cinquième personne…
Le médecin se cala au fond de sa chaise dans une longue inspiration. Son interlocutrice ne sut estimer s’il s’agissait là de lassitude, ou d’une façon de lui montrer qu’elle était beaucoup trop impatiente.
— Elle n’apparaît que plus tard, elle est la clé de tout, répondit-il. Son identité ne pourra vous être révélée qu’à la fin de mon récit. À présent, écoutez jusqu’au bout ce que j’ai à vous raconter…
Il brandit le fou noir devant lui.
— Et concentrez-vous, parce que cette histoire est un vrai labyrinthe où tout s’entremêle. Quant à cette cinquième personne, elle est le fil dans le dédale qui, j’en suis sûr, apportera les réponses à toutes vos questions.
_______________