Au détour d'un livre

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669, de Giacometti et Ravenne - tome 5 du cycle du Soleil noir

669, de Giacometti et Ravenne - tome 5 du cycle du Soleil noir

 

Résumé : À l’approche du débarquement, dans le paris sombre de l’occupation, des meurtres étranges portent la signature 669.
Le signe de l’apocalypse ?
Face à un cercle de satanistes, les héros vont devoir plonger dans les ténèbres…

 

Auteur : Giacometti et Ravenne
Nombre de pages : 432
Édition :
JC Lattès
Date de parution : 13 avril 2022
Prix : 22€ (Broché) - 15.99€ (epub, mobi)
ISBN :
978-2709666923

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Avis / Critique :

Après un "Résurrection" en deçà de ce que l'on pouvait attendre, revoici le duo Giacometti-Ravenne de retour avec la suite du cycle du soleil noir qui nous redonne envie de plonger dans la saga. Ici, le père de notre commissaire Marcas, Tristan Marcas se retrouve mêlé à une succession de meurtres, l’œuvre d'un tueur en série ?

Mais remontons un peu le temps. Le livre débute au mois de mai 1447 au cœur de la Forêt-Noire. Un cercle de sorcières se réunit pour invoquer le Maître quand le Grand Inquisiteur apparait et les arrête. Sans ménagement, il les fait conduire au bûcher et brûlées.
Paris, 1944, le colonel Gellen attend la visite d'une prostituée. Mais au lieu de s'amuser une dernière fois à Paris, il va trouver la mort, une mort atroce. En effet, son caporal va retrouver son corps sur une nacelle, la tête décapitée auprès d'une svastika.
Seul indice, un nombre dessiné avec le sang de la victime : 669.
Est-ce le signe du Maître ? Le nombre marquant la fin d'Hitler ? Ou s'agit-il d'un tout autre symbole ?
Genève. Laure d'Estrillac retrouve la piste de Tristan Marcas et l'oblige à collaborer avec elle pour retrouver un carnet, celui où figurent les noms des possesseurs d'œuvres volées aux français. Mais l'affaire tourne mal et Marcas doit, pour sauver Laure, aider la Gestapo aux côtés du commissaire Montalivet à mettre la main sur l'auteur des meurtres au 669. Il va alors découvrir le monde des sciences occultes au travers du cercle spiritualiste de Mme Zaepfel, des nombres auprès d'Eisenberg, un Juif caché par le mage Necroman, de Marie Olinska une jeune actrice et du Dr Petiot, le tueur en série français.

Donc, comme je l'ai dis, ce livre redore le blason de la saga qui s'était quelque peu ternie avec le précédent. On retrouve ici toute l'essence qui a fait le bonheur des autres tomes : de l'action, de l'ésotérisme, de l'histoire, du polar. Le livre se lit rapidement et donne hâte de se plonger dans le suivant. Marcas, partage dans 669 l'affiche avec le commissaire Montalivet, mais là où dans Résurrection le personnage du moine ne semblait pas très charismatique ni attachant, Montalivet est un bon pendant à Marcas d'autant qu'il a un rôle qui va se trouver déterminant pour la résolution de l’énigme.

Le petit plus, c'est l'apparition de Marcel Petiot, le tueur en série français auquel Giacometti et Ravenne apportent une touche toute personnelle.
A lire sans hésiter cet été sur la plage pour passer un bon moment. 

 

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669, le cycle du Soleil Noir, tome 5 - Giacometti et Ravenne "audetourdunlivre.com"

Extrait :

6.
Paris
Tour Eiffel

Le vent soufflait avec une vigueur accrue derrière les vitres de l’immense bureau. La carcasse de fer commençait à geindre de façon inquiétante, comme si la tour s’était transportée dans le Finistère pour jouer les phares de mer démontée.
Montalivet contemplait le nombre de sang tracé sur la table. 669.
Le petit numéro de flagornerie du SS sur ses états de service était une mise en bouche. L’officier allemand était au courant d’un autre meurtre sur lequel lui, Montalivet, menait l’enquête depuis une semaine.
Un crime qui portait la même signature.
— Ça vous rappelle quelque chose, commissaire ?
— Oui. La dernière fois que je l’ai vu, il était tracé avec du rouge à lèvres écarlate sur le miroir d’une salle de bains.
Le SS sortit une liasse de feuillets de la poche de sa veste. Montalivet reconnut le rapport qu’il avait envoyé à ses supérieurs. Il n’avait été nullement étonné. À peine deux heures après les premières constatations, Montalivet avait vu débarquer deux officiers de la Gestapo dans son bureau au 36 quai des Orfèvres. De notoriété publique, cette chère baronne éprouvait un faible pour les officiers de la Wehrmacht, de préférence avec un grade supérieur à celui de commandant. Et on la soupçonnait de jouer les V-Frauen1 de haut vol pour la Gestapo.
— En effet… Dans un appartement parisien, rue des Eaux, du côté de Passy. J’ai parcouru votre rapport. Et surtout, il y avait le cadavre. Celui d’une femme nue, pendue à la barre de douche. Le visage crayeux piqueté de plaques cramoisies, la bouche tordue comme un pied de vigne. Vous avez le sens de la description, c’est plaisant à lire.
Montalivet se pencha sur la table, la mine soucieuse.
— C’est bien la même main qui a tracé ce 669. La graphie ne laisse subsister aucun doute.
Le gestapiste tourna les feuillets et s’arrêta sur un passage qu’il lut à haute voix.
— La victime, la baronne Victoire de Luzy, a été énucléée. Le meurtrier a arraché ses globes oculaires et les a emportés avec lui.
— Oui, c’était pour le moins déconcertant, répondit Montalivet
— Quelle injustice, je l’ai souvent croisée dans certaines soirées, ajouta le SS, je me souviens de son regard vert émeraude.
Le commissaire hocha la tête.
— Une femme admirable. Connue du grand public, le jour, pour ses bonnes œuvres en faveur des orphelins de guerre. Et la nuit, par la Brigade mondaine, pour ses soirées très spéciales où les invités des deux sexes ne s’embarrassaient guère de leurs vêtements.
— Peu importe. La présence de ce 669 me trouble. Si la presse a fait état du meurtre de la baronne, j’ai fait effacer ce détail du rapport fourni à la presse.
Le Standartenführer Keller rejoignit le policier et tapota la planche de ses doigts gantés.
— 669… Ça fait furieusement penser à un autre nombre, plus satanique… Il suffit de renverser le troisième chiffre, et nous obtenons 666, la marque du diable.
— De l’Antéchrist plus exactement. Je ne savais pas qu’on lisait la Bible dans les bureaux de la Gestapo.
— Himmler nous en préserve, mais il me reste un vieux fonds d’éducation catholique. Allons droit au but, la baronne de Luzy était l’une de nos plus fidèles agentes depuis 1940. J’ai lu dans votre récit préliminaire que vous n’aviez écarté ni la piste de terroristes ni celle d’adeptes de sectes satanistes ou d’illuminés.
— Oui. La belle Victoire organisait des soirées où se croisaient des gens de toutes sortes. Des compatriotes à vous aussi. Et plutôt haut placés. Dans mon métier, il faut flairer toutes les pistes.
Le policier releva la tête pour balayer la salle. À l’extérieur, le vent avait redoublé de vigueur. Il eut l’impression que le sol bougeait sous lui, mais reprit d’une voix qui se voulait ferme :
— Peut-être que l’homme en morceaux dans la malle était l’un des invités de marque de la baronne. Puis-je enfin savoir à qui appartiennent ces restes ?
— Il s’agit de l’Oberführer Gellen, en poste à Paris depuis deux semaines. Il n’a jamais croisé la baronne de Luzy. Et nous sommes dans son bureau.
— Était-il chargé de réouvrir la tour au public, ou d’installer une batterie de DCA au sommet ?
Deux soldats entrèrent dans la pièce et emportèrent une lourde caisse en bois d’où dépassaient les plans rédigés par l’ingénieur SS.
— Ni l’un ni l’autre, répliqua sèchement l’Allemand. Et vous n’avez pas à le savoir, c’est couvert par le secret militaire. Nous sommes en guerre, ne l’oubliez pas.
— Qui peut l’oublier, colonel ? Mais si vous ne répondez qu’à la moitié de mes questions, je ne vous serai pas d’une grande utilité.
Le SS s’adossa à la vitre.
— Vous me surprenez, commissaire. À l’évidence, ce 669 montre que l’assassin de mon compatriote est le même que celui de la baronne de Luzy. Ça devrait vous aider pour votre enquête. Avez-vous avancé depuis la rédaction de votre rapport ?
— C’est possible…
L’Allemand haussa d’un ton.
— Ne me prenez pas pour un imbécile. Vu la personnalité de la défunte, vous vous doutiez que votre rapport atterrirait dans nos services. Vous pouvez très bien avoir sciemment caché des indices.
— Colonel, ne me prenez pas pour ce que je ne suis pas. Depuis mon arrivée, vous m’interrogez sur le crime de la rue des Eaux et je suis obligé de quémander des informations pour faire le lien avec celui-ci. Vous me cachez la façon dont votre ex-collègue a trouvé la mort. Il n’y avait aucune trace de sang dans cette malle. Les membres y ont été déposés quand le sang était sec, soit plusieurs heures après son décès. Et je doute que le meurtrier soit resté toute la nuit ici. En revanche, quand je suis passé devant la nacelle qui sert d’ascenseur, j’ai remarqué de la peinture à l’hémoglobine sur l’un des flancs. On aurait dit une sorte de croix gammée, mais je peux me tromper.
Le SS scruta longuement le policier avec amusement. Montalivet se dit que cet homme devait avoir le même regard quand il torturait des suspects.
— Vous faites honneur à votre réputation, finit par répondre le SS. Après tout, il est dans notre intérêt mutuel de collaborer pour mettre la main sur le dégénéré qui a commis ces meurtres atroces. On ne peut pas laisser en liberté un tel individu.
Le commissaire s’abstint de répondre. Venant d’un responsable de la Gestapo qui devait avoir des hectolitres de sang sur les mains, la remarque devenait presque cocasse.
— Peut-être. Ce que je vais vous révéler doit rester strictement confidentiel, reprit le SS. Excepté le soldat qui a découvert le cadavre et mes hommes, personne n’est au courant des circonstances du décès. À part vous, désormais. Me suis-je bien fait comprendre ?
— Vous m’avez déjà proposé un billet de train sans retour tout à l’heure. Je pense avoir compris…

Montalivet avait perçu le sérieux de la menace. À la fin de l’année précédente, deux de ses collègues suspectés de faire partie de la Résistance avaient été déportés du jour au lendemain. Même si les Allemands allaient perdre la guerre, ils étaient toujours maîtres absolus du pays. Keller pouvait même, d’un claquement de doigts, le faire balancer de la tour, la tête la première. Personne n’irait lui demander des comptes.
— Je vous donne ma parole de policier, reprit-il avec gravité.
— Je n’accorde aucune valeur à votre parole de Français impatient de voir débarquer les Anglo-Américains.
— Je suis maréchaliste ! C’est écrit noir sur blanc dans mon dossier.
— Je me contenterai de l’effet dissuasif de ma proposition de voyage en train plombé.
Le SS hocha la tête et sortit une photographie en noir et blanc de la poche de son manteau.
— Voici comment a été découvert l’Oberführer Gellen ce matin.
Montalivet prit le cliché. On y voyait des bras et des jambes former une croix gammée sur l’un des flancs de la nacelle. Au centre, la tête de la victime avait été attachée. À l’évidence, une telle besogne avait pris beaucoup de temps au meurtrier. Découper un homme n’avait pas dû être difficile avec la scie, mais disposer ses restes de façon aussi diabolique, les attacher pour que l’ensemble tienne, cela pouvait demander une bonne heure. Peut-être moins avec un complice. Le tour de force était d’autant plus remarquable qu’il avait été conduit dans une enceinte militaire allemande. Tout en haut d’une tour.
— Comment avez-vous pris ces photos si rapidement ?
— L’Oberführer avait installé un laboratoire dans un appentis à l’étage. Il prenait des clichés de Paris et aimait les développer lui-même. Quand son cadavre a été découvert, l’un de mes adjoints a tiré des photos sur place.
— Votre collègue se passionnait donc pour la photographie… Compte tenu des circonstances actuelles, c’est remarquable de prendre le temps de faire du tourisme dans notre belle ville.
Le SS s’alluma une cigarette.
— Vous vous dispersez, commissaire. Je vous ai fait venir ici pour échanger des informations. Nous avons affaire au même meurtrier que la rue des Eaux. Nous ne voulons pas d’un troisième crime. Pas question que les Parisiens sachent que l’on peut assassiner et humilier ainsi un de nos officiers de haut rang. Le Reichsführer Himmler suit l’affaire en personne.

Montalivet sentit pour la première fois une pointe d’inquiétude chez le nazi. La machine de la Gestapo fonctionnait par la peur et elle n’épargnait pas ses responsables. La peur était l’huile indispensable aux rouages de la machinerie de la répression.
— D’accord. Pouvez-vous m’en dire plus sur la façon dont il a été découvert ?
— La nacelle avec les restes de Gellen est descendue du premier étage à 7 h 45 du matin. Quand le soldat de permanence a découvert cet horrible spectacle, il a sonné l’alerte. Les escaliers ont été bloqués et les gardes sont montés pour débusquer le coupable. Mais ils n’ont trouvé personne. La tour a été fouillée dans ses moindres recoins jusqu’aux étages supérieurs.
— Le meurtrier aurait pu actionner le mécanisme de l’ascenseur au matin et prendre immédiatement la fuite pendant la descente de l’engin, puis s’enfuir en escaladant les palissades ?
— Non. L’un des gardes a pris son service devant l’entrée de l’escalier. Un dispositif d’horlogerie est couplé au moteur de la nacelle. Il est réglé sur 7 h 45. Le meurtrier a eu tout à fait le temps d’élaborer sa mise en scène, puis de descendre par l’escalier dans la nuit. Il savait que le mécanisme allait se déclencher au matin.
— Il était bien renseigné. Personne n’est monté dans son bureau la veille ?
— Si. Nous avons un suspect, reprit le SS. Ou du moins, une suspecte. L’Oberführer avait fait venir une prostituée pour terminer sa journée de travail. Une habitude déplorable prise depuis son arrivée.
— Cette ville corrompt même les cœurs les plus purs, commenta le commissaire, vos supérieurs doivent être horrifiés par cet esprit de dépravation.

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