13 Décembre 2021
Résumé : Les auteurs racontent le pouvoir solitaire d’un homme suprêmement habile, éperdu de lui-même. Ils révèlent les dessous de la conquête de l’Élysée, puis l’exercice de la toute-puissance, et la vaine quête d’une idéologie.
Auteur : Gérard Davet, Fabrice Lhomme
Nombre de pages : 638
Édition : Fayard
Date de parution : 13 octobre 2021
Prix : 24.50€ (Broché) - 16.99€ (epub, mobi)
ISBN : 978-2213705309
__________
Avis / Critique :
Selon Sun Tzu, "tout art de la guerre repose sur la duperie". Ces quelques mots résument le personnage principal de ce livre consacré à Emmanuel Macron.
A l'orée de la campagne présidentielle qui commence et d'Emmanuel Macron qui va briguer un second mandat, les journalistes Davet et Lhomme, après s'être intéressés à Nicolas Sarkosy avec "Sarko m'a tuer" et "Sarko s'est tuer", François Hollande avec "Un président ne devrait pas dire cela", se penche cette fois sur Emmanuel Macron, celui qui se voulait le président des startupers français.
Le titre annonce déjà la couleur : "Le traitre et le néant".
Le traitre fait, bien sûr, référence au coup de Jarnac qu'aurait fait Macron à Hollande en préparant sous le manteau sa candidature, et "le néant" ferait plutôt référence à l'incompétence affichée de ses ministres, de sa politique changeante, de son "en même temps" qui bascule tantôt à droite, tantôt à gauche à la manière d'une balance, ménageant la chèvre et le chou, disant oui partout mais ne faisant rien ou sinon peu et n'importe comment.
Le livre est, quand on le referme, plutôt à charge. Pour ceux qui sont contre Emmanuel Macron, ils trouveront de quoi mettre de l'eau à leur moulin et les autres ressortiront avec une pointe de rancœur et un sentiment d'injustice. Cela dit, les propos ont été tenus par les protagonistes qui figurent dans ce livre, les faits se sont déroulés ainsi, et un sentiment de grand n'importe quoi jalonnent quand même, il faut le reconnaitre, la gouvernance Macron sur ces cinq dernières années. Inexpérience ? Amateurisme ? trop envie de bien faire ? Manque de gens compétents au service de la France ? Opportunisme ? Technocratie à outrance ? Mépris de classe ? Sûrement un peu de tout cela.
Bref, le livre commence par la généalogie politique de celui qui est le 8ème président de la République Française et qui sera peut-être le prochain. Le but de ce livre est de définir un homme, son arrivée au pouvoir, les circonstances qui l'y ont amenées et de décrire son entourage politique, le mouvement qu'il incarne, c'est-à-dire "En Marche".
Le premier à se livrer dans ce livre est Pierre Moscovici, chantre de la gauche qui rappelle combien Emmanuel Macron était le chouchou de Hollande et que celui n'a rien vu ou n'a rien voulu voir de la trahison à venir. Il reconnaît à l'homme du charme et un système du pouvoir personnel déjà bien développé, un "appétit du pouvoir insatiable" comme il le dira.
Alors qu'apprends-ton dans ce livre ? peu de choses finalement qu'on ne sache déjà mais qui éclaire néanmoins plus profondément le personnage. Emmanuel Macron n'a pas d'affect sinon ceux tournés vers lui-même. Il a une confiance en lui inébranlable, le goût du risque, du courage et de l'inconscience, de la trahison (car il trahit d'abord avant d'être trahi. Il oublie aussi et relègue les anciens "amis" d'hier au rebus avant de leur asséner une caresse quand le moment venu d'avoir besoin d'eux se fait sentir à nouveau.) C'est un tacticien, mais un tacticien qui navigue souvent à vu. C'est un hypermnésique et un hyper-énergique qui ne dort que très peu mais qui n'est pas forcément plus intelligent, au sens intellectuel, qu'un autre.
Il y a deux Emmanuel Macron : le premier, un homme solaire et charitable à qui personne ne résiste et l'autre, un homme calculateur, médisant, dissimulateur et plein de duplicité qui veut marquer de son nom l'histoire.
Tout aurait donc commencé à voir le jour dans les années 2007-2008, après la sortie de l'ENA.
Dès 2007, on le retrouve dans le cabinet de Ségolène Royal, où il a le rôle de scribouilleur, puis c'est la commission Attali, la banque Rostchild ensuite pour gagner de l'argent et être libre de faire après de la politique. Tout est déjà programmé chez Macron qui suit la flèche de son destin, de son but (tel le Sagittaire qu'il est). Dès ses débuts, il aime conseiller d'un côté et pactiser de l'autre, se faire l'ami des grands patrons qui font part alors à Alain Minc de la nécessité de le faire nommer d'abord comme secrétaire général adjoint à l'Elysée, avant de le voir comme secrétaire général à l'économie, et ensuite ministre des Finances, où là il va brade l'industrie française à tout va. On se souviendra d'Alstom vendu à General Electric, Alcatel à Nokia, Lafarge à Holcim, STX Chantiers navals à l'italien Fincantieri, l'aéroport de Toulouse à la Chine, par exemple.
Emmanuel Macron s'est constitué un réseau, continue à le faire en étant ministre de l'économie en invitant à tout va (avec les deniers de l’État) intellectuels, chanteurs, acteurs, écrivains, hommes d'affaires, se fait conseiller en sous-main par un Julien Dray qui sera lui aussi abandonné sur l'autel une fois les marches du pouvoir montées, recrute ses futurs d'En Marche, les Griveaux, Cédric O., Adrien Taquet, Julien Denormandie, Stanislas Guérini, Christophe Castaner... Un groupe de technocrates pas très doués au service d'une vision politique.
Dans ce livre ressortent donc les confidences de ceux qui l'ont côtoyé avant la trahison, ceux d'après, les déçus du patron, certains aficionados comme Schiappa, des députés qui reconnaissent aujourd'hui n'être qu'une chambre d'enregistrement de ce qui est décidé par en haut..., la bande des premiers, puis l'équipe au pouvoir, des ministres de seconde zone. Macron n'est pas un manager, tous le reconnaissent et s'est entouré de mauvais : le macronisme a permis à des gens qui n'avaient pas beaucoup d'envergure intellectuelle, de trouver une enveloppe qui leur permettait d'avancer. Lui-même manque d'une chose principale pour gouverner : la connaissance du peuple. Robert Zarader, conseiller le dit lui-même : c'est le premier président confiné : il connaît sa femme à 15 ans, les écoles, l'ENA, la banque, l’Élysée. Mais à quel moment est-il sorti ?" Sous-entendu, à quel moment a-t-il été en prise directe avec les "vraies gens" ?
On regrettera évidemment le manque de témoignages de personnes qui lui trouvent des qualités, qui l'aime, qui sont prêtes à nouveau à se mouiller pour lui, à lui reconnaitre des qualités, car à part Schiappa ou les aficionados comme Castaner ou Griveaux, peu nombreux sont ceux qui parlent en bons termes d'Emmanuel Macron. Ce n'est pas un livre d'enquête, et c'est un peu dommage. C'est long à lire, quelquefois répétitif, car on a un peu l'impression de relire toujours les mêmes témoignages, les mêmes pensées. C'est un livre à charge, je l'ai dit et on ressort de ce "Traitre et le néant" sans en avoir vraiment appris plus qu'on ne le sait déjà sur le personnage.
Est-ce un livre politique ? Sans nul doute. Est-ce un livre d'investigation ? Pas vraiment. Finalement, il ne fera que renforcer ce que certains pensent déjà et n'apportera pas d'eau au moulin aux autres.
_______________
Le traitre et le néant, de Davet et Lhomme - "www.audetourdunlivre.com"
Extrait :
Au commencement fut Pierre Moscovici.
Il l’ignore – et le regrette – sans doute, mais c’est bien lui qui, le mercredi 17 avril 2019, au détour d’un entretien pour Le Monde, nous a mis sur la piste. Dans notre quête du macronisme, cet homme onctueux et sûr de son intelligence se trouvait en tête de liste des personnalités à interroger. Après tout, celui qui était pour quelques mois encore commissaire européen faisait un peu figure de témoin idéal. Sociologiquement parlant, ne présentait-il pas tous les atours du parfait macroniste ? Représentant de l’aile droite du PS, longtemps dans l’ombre de Dominique Strauss-Kahn, europhile convaincu, techno pur jus passé par la voie royale Sciences Po-ENA-Cour des comptes… Et puis, « Mosco », comme Macron, avait participé en 2012 à la campagne présidentielle victorieuse de François Hollande, alors…
À vrai dire, c’est pourtant sans grande illusion que nous nous étions rendus dans ses bureaux parisiens de commissaire européen aux Affaires économiques et financières, en bas du boulevard Saint-Germain, face au Palais-Bourbon. Le souvenir cuisant d’une interview empreinte d’une pure langue de bois, accordée deux ans plus tôt lorsque nous animions une émission politique sur Radio Nova, nous avait plutôt échaudés. Quelle ne fut pas notre surprise, nos dictaphones à peine allumés, de découvrir un Moscovici authentique, saignant, désinhibé même, multipliant les punchlines et les piques envers un Emmanuel Macron dont il pensait avoir percé la véritable nature !
Rapidement, à notre grand étonnement, l’entretien vira à l’acte d’accusation. Le tempéré Pierre Moscovici en procureur impitoyable du macronisme, on avait pensé à tout, sauf à ça ! Surtout, tel un boxeur dont chaque coup porterait, l’ancien député du Doubs, aujourd’hui patron de la Cour des comptes, étayait sa démonstration de manière implacable.
Au sortir d’une heure et demie d’entretien et saisis d’un léger vertige, un double constat s’imposait à nous : l’homme à la tête de l’État n’était sans doute pas celui que les Français croyaient avoir élu en mai 2017 ; mettre au jour son vrai visage et, partant de là, celui du mouvement qu’il incarne, devenait une mission primordiale. Une gageure, aussi.
Pierre Moscovici a fait la connaissance d’Emmanuel Macron à la mi-2011, par l’entremise de l’influent Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean Jaurès et poids lourd de l’agence Havas. Une personnalité, parmi tant d’autres, qui a préféré éviter de nous recevoir.
À l’époque, Mosco vient de faire le deuil de son maître à penser, Dominique Strauss-Kahn, dont les frasques new-yorkaises, en mai 2011, ont eu raison des ambitions présidentielles. Il a intégré l’équipe de campagne de François Hollande, comme ce jeune prodige dont tout le monde lui rebat les oreilles, un certain Emmanuel Macron. « Je le croisais, se souvient Moscovici. Il était en lien direct avec François Hollande, mais il n’était pas dans les équipes que je dirigeais. Il était l’homme de François. »
Intronisé ministre de l’Économie et des Finances après la victoire de Hollande en mai 2012, Moscovici fait véritablement, à ce moment-là, la connaissance d’Emmanuel Macron. À 34 ans seulement, ce dernier est déjà propulsé à l’Élysée en qualité de secrétaire général adjoint, tout spécialement chargé des questions économiques. D’emblée, l’expérimenté apparatchik du PS est estomaqué par le côté irrévérencieux du jeune homme. « Macron ne tient jamais un rendez-vous, il annule tout, tout le temps, avec un arbitraire absolument incroyable qui confine à l’inconscience. Un rendez-vous avec Emmanuel Macron, c’est deux jours à l’avance ; si c’est six mois avant, il est annulé de façon quasi systématique ! » cingle-t-il d’entrée. « Une gestion d’agenda à l’image du reste… », ajoute-t-il, visant cette fois sa présidence, puisque le « maître des horloges » a continué d’être fâché avec la sienne une fois élu à la présidence de la République.
Tous les mardis, à 17 heures, Moscovici participe à une réunion d’une heure à l’Élysée avec Hollande, à laquelle le « chouchou » du président assiste les trois premiers quarts d’heure. Moscovici est frappé, comme tant d’autres, par le charme naturel du personnage.
Très vite, toutefois, c’est un autre Macron qu’il voit prendre forme sous ses yeux : un jeune loup aux dents longues, « avec un système de pouvoir personnel déjà bien développé, car il avait un certain nombre de technos dont il était proche par génération qui travaillaient dans mon cabinet ». Le ministre de l’Économie découvre ainsi que son plus proche collaborateur, le directeur de son cabinet, le terne mais si efficace Alexis Kohler, incarnation parfaite du conformisme technocratique à la française, passe plus de temps dans le bureau de Macron que dans le sien ! Il n’est pas le seul : « Dès que je cherchais un conseiller, s’émeut Moscovici, on me répondait : “On est à l’Élysée”… dix à quinze heures par semaine ! Des réunions jusqu’à minuit ! Il y avait déjà cette concentration des pouvoirs, avec ce goût excessif de François Hollande pour les questions économiques et fiscales. Emmanuel tissait sa toile, mais de là à en faire un président de la République quatre ans après, c’était juste inimaginable… »
____________