1 Septembre 2016
Résumé :
"Elle était une femme de tête et de coeur, vertigineuse." Lawrence d'Arabie. Il faudrait dire "Bell de Bagdad" comme on dit "Lawrence d'Arabie". L'aventure de Gertrude Bell auprès des chefs bédouins de Mésopotamie est le reflet au féminin de celle du colonel Lawrence en Arabie. Fille d'un grand industriel du Yorkshire, titulaire d'un premier prix à Oxford, celle qu'on surnommait la "khatun", la "dame" ou "la reine du désert", accomplit entre 1900 et 1914 six expéditions archéologiques et diplomatiques entre le Levant et l'Euphrate.
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Auteur : Christel Mouchard
Nombre de pages : 336
Edition : Taillandier
Collection : Biographie
Date de parution : 8 octobre 2015
Prix : 20.90 euros (Broché) - 13.99 euros (epub) - 7.60€ (poche)
Avis / Critique :
C'est en écoutant un post de France-Culture que le nom de Gertrude Bell a tilté en moi. Connue pour avoir été l'une des amies de T.E. Lawrence (Lawrence d'Arabie), je n'avais jamais rien lu la concernant. Intriguée par son destin aux multiples facettes, je me mets alors en quête d'une des biographies qui lui est consacrée. Comme le titre l'indique, cette femme fut tour à tour et parfois en même temps, aventurière, archéologue, mais aussi espionne pour son pays. Et l'Irak de 1920 n'aurait probablement pas vu le jour sans son combat pour l'émergence d'un pays qu'elle voulait aux mains des arabes et non des anglais. Ce ne sera pas entièrement le cas, mais ses recommandations pour une majorité chiite et une minorité kurde et sunnite, seront suivies.
Issue d'une famille qui s'est hissée à l'ère industrielle (son arrière-grand-père était forgeron. Son grand-père fut co-fondateur de la Losh, Wilson and Bell), Gertrude Bell traversa l'ère victorienne et le 20ème siècle en sachant conjuguer la rigueur du style victorien et l'esprit des femmes aventurières. Adorée par son père, élevée par une belle-mère à l'âge de huit ans, Gertrude aime apprendre. Elle a la chance de pouvoir assister à des cours jusque-là interdit aux femmes, et de rejoindre Oxford. Elle lit, beaucoup, s'intéresse à tout. Après ses études, elle est envoyée en Orient pour tisser un futur mariage avec un cousin éloigné (qui n'aura pas lieu) et trouve en Henry Cadogan, un ami, un allié. Celui-ci la demande en mariage, mais sir Hugh Bell refuse de donner sa fille à cet homme qui est plus âgé, infortuné. Bien lui en a pris, l'homme meurt d'un accident dans l'année.
Gertrude Bell passe alors son pseudo-veuvage de fiançailles à voyager en Europe, en Amérique. Il faut dire que c'est le truc en vogues chez les jeunes aristocrates et grands bourgeois. Pas besoin de chaperon, il suffit de partir entre filles ou sinon flanquée d'un jeune frère qu'on délestera quelque part quand le moment d'être seule se fera sentir. Gertrude Bell profite de ses voyages pour apprendre les langues étrangères. Au Japon, elle parle japonais, en Iran,le perse, etc. Après un périple en Europe, la voici de retour au Moyen-Orient. Elle trace des routes, jusque-là peu empruntées, établit le dialogue avec les chefs en faction, devient une aventurière au grand sens du terme. Mais une aventurière qui ne se déplace jamais sans sa baignoire, ses robes, ce qui lui vaut d'avoir derrière elle, une véritable petite maisonnée sur tente. Elle dort par tous les temps sous la toile, prend le thé à 4 heures du matin avec ses accompagnateurs, est capable de marcher pendant onze heures dans le désert. Elle force l'admiration et le respect de tous.
C'est le début de l'aventure qui la conduira à devenir agent secret pour l'Angleterre.
Cette biographie est intéressante dans le sens où elle met en avant un personnage oublié de la fondation de l'Irak. Amie de T.E. Lawrence qu'elle côtoie et des grands d'Angleterre, Gertrude Bell méritait cette mise en avant. L'avantage de cette biographie est qu'elle nous permet de découvrir Gertrude Bell à travers les lettres écrites à son père et sa belle-mère. La plupart sont cependant mesurées, car à l'époque, il fallait minimiser pour une femme la réalité et la travestir afin de pouvoir vagabonder en toute liberté.
Gertrude bell, est l'archétype de l'aventurière à la Indiana Jones qui n'a pas froid aux yeux, mais qui ne se déplace jamais sans une robe de bal et sa baignoire. Et oui, so british, il fallait garder son rang en toutes circonstances.
Si l'on excepte donc la première partie de la biographie qui peut paraitre quelque peu pompeuse à force d'y conter les "accessoires de malle", la seconde est bien plus passionnante, car elle pénètre au coeur de l'histoire du Moyen-orient et de la fondation de la Jordanie et de l'Irak actuelle.
Un personnage truculant à découvrir sans qui la face de l'orient eut été, peut-être, changée.
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Extrait :
La lueur d’une lanterne vacille dans la pénombre du petit matin, devant la grotte d’Et Tuneib. Sur l’escarpement, on distingue les ruines abandonnées d’une cité antique. En contrebas, une vallée aux maigres champs en damiers, quelques maisons de terre. Un peu plus loin, des rails, ceux du chemin de fer du Hedjaz, tout neuf, que les Allemands ont construit pour l’Empire ottoman. C’est la dernière trace d’un État organisé. Au-delà, la plaine immense et vide s’étire jusqu’à l’Euphrate.
Il fait encore froid à cette heure, et pas un soldat turc ne se risquerait à quitter sa couverture pour venir patrouiller en ce lieu perdu aux frontières des terres bédouines. Le gouverneur de Madaba, la ville la plus proche, ignore même qu’un campement étranger s’y est installé. Il ne peut donc s’inquiéter de l’agitation qui s’en est soudain emparé. Dans l’obscurité à peine trouée par l’auréole tremblante des lanternes, des hommes plient les tentes, serrent les cordes autour des caisses, chargent les mules. Au milieu d’eux, une silhouette à cheval, un keffieh enroulé autour d’un chapeau à larges bords. Pas de cris, pas de grands mouvements, pas de temps perdu ; chacun sait ce qu’il doit faire et le fait en silence. Bientôt, les étoiles pâlissent, le ciel d’Orient blanchit. Il est six heures. Le cheval prend le pas sur la piste. C’est le signal du départ. La petite caravane s’ébranle à la suite de son chef.
Florence aurait du mal à reconnaître sa belle-fille dans cette cavalière emmitouflée qui marche en tête. Les Turcs qui la rencontrent l’appellent khatun, qui signifie noble dame, et les Bédouins bint arab, qui signifie fille du désert.
Si Gertrude Bell part à l’aube, et très vite, ce 7 février 1905, c’est qu’elle n’a demandé aucune autorisation au gouverneur de Madaba pour entrer dans le désert où nomadisent des tribus farouches que le pouvoir ottoman peine à contrôler. Peu lui importe, elle s’est préparée, et très bien, à tout affronter. Une autre femme a surgi du cocon de mousseline blanche.
Quand la mue a-t-elle commencé ? Peut-être était-elle déjà enclenchée dans le courant de cet été 1892, sur les bords du Lar, tandis que Gertrude explorait les montagnes avec Henry Cadogan ; mais ses proches n’en avaient rien deviné. Sauf les Rosen. Ce couple franco-allemand avait guidé la nouvelle venue dans sa découverte de l’Orient ; ils l’avaient connue amoureuse, ils l’avaient connue malheureuse. Ils avaient aimé ce qu’ils
appelaient en français sa joie de vivre* et éprouvé son endurance physique sur les pistes où ils l’entraînaient.
Dans ses Mémoires, Freidrich Rosen consacre plusieurs pages à Miss Bell, « bien connue de tous ceux qui s’intéressent à l’histoire de l’Orient ». « Elle possédait la faculté de prendre toujours le meilleur de chaque situation, et agissait sur nous comme un aiguillon, nous poussant toujours à voir toujours le plus que nous pouvions. […] C’était une excellente cavalière, intrépide, même, qui ne montrait jamais la moindre nervosité quand nous nous trouvions sur des sentiers escarpés ou des roches glissantes. »
Gertrude de son côté est restée attachée à ce couple qui comptait parmi les rares amis d’Henry Cadogan. Aussi accepte-t-elle leur invitation à les rejoindre pour l’hiver quand, en 1899, Freidrich Rosen part occuper le poste de consul d’Allemagne à Jérusalem. Ce sont eux qui, sept ans après Téhéran, vont accompagner Gertrude Bell dans son apprentissage de l’aventure.
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