19 Décembre 2019
Résumé : Comment apprend-on à se construire dans les années soixante-dix, à la campagne, quand on est une jeune femme attirée par d'autres femmes ? À l'époque, Danièle est mariée, élève ses trois enfants. Une vie conforme aux attentes de sa famille. Seule la littérature lui ouvre d'autres horizons.
Auteure : Danièle Saint-Bois
Nombre de pages : 198
Editeur : Juliard
Date de parution : 4 janvier 2018
Prix : 18€ (Broché) - 12.99€ (epub, mobi)
ISBN : 978-2260032229
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Cela commence par un décès. Danièle reçoit un appel qui l'informe de la mort de celle qu'elle a aimée 45 ans plus tôt et c'est l'occasion alors de revenir pour elle sur ces romances interdites qui ont traversé sa vie.
Danièle, a 25 ans, mère de trois enfants, mariée à un cadre d'usine, vit dans une petite ville de montagne. Au lycée, elle a connu les affres de l'amour avec une amie, puis s'est "rangée". Quand sa voisine Suzie lui propose de monter une petite association qui donnerait la parole à des jeunes autour de la littérature, du cinéma, de la vie, Danièle a un coup de foudre pour Mia, la blonde étudiante de 17 ans. Mais celle-ci s'en va étudier les métiers du livre et Danièle a du mal à se remettre de cette séparation et tombe dans la dépression. Ce n'est pas la première fois qu'elle a un coup de cœur pour une fille. Focus alors sur Frankie, la collégienne qui attire autant la directrice de l'école que ses copines de classe. Danièle se sent défaillir quand Frankie la regarde, la touche, mais une fois encore ce sera un amour platonique même, quand plus tard, Frankie s'invitera un jour dans sa vie de femme mariée. La gaucherie de Danièle, la peur de mal faire leur vaudra une nuit chaste. Et quand est-il de Linda ? Elle aussi amour du bout des lèvres, à peine deux mains entrelacées en guise de contact physique.
Danièle Saint-Bois revient dans "Trois amours de ma jeunesse" sur ses années d'adolescente, de jeune femme où es sentiments se dessinent, où certains se cherchent dans leur sexualité, dans une époque d'après-guerre, dans un village des montagnes, loin de la grande ville. C'est aussi un focus sur la pauvreté de sa famille, les attouchements de son père, la détestation de sa mère pour ce géniteur, la découverte des livres, de l'écriture qui ne va jamais la quitter, l'amour donné et reçu par et pour ses enfants, sa vie de femme, sa vie d'amoureuse.
Sans fioriture, rempli de phrases qui se suivent au fil des pages, sans pause, passant de l'un à l'autre de ses souvenirs, Danièle Saint-Bois revient sur les trois histoires d'amour qui l'ont marqué. On sent du regret dans ses mots, mais aussi le plaisir de s'y replonger malgré la souffrance, cherchant à contenir ses émotions même au travers de ses pensées.
Entre digressions autour du métier d'écrivain, de la vieillesse, des souvenirs d'enfance et même parfois autour d'un morceau de chair comme la main qui écrit, Danièle Saint-Bois offre un livre qui est plus écrit pour elle que pour les lecteurs. C'est presque un livre de fin de vie et cela sent dans l'écriture. Certains le trouveront certainement pompeux, mais ce "Trois amours de ma jeunesse" offre de beaux moments de vie à lire et à découvrir.
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Un soir du mois de mai 2015 le téléphone a sonné aux alentours de vingt et une heures. Comme tout le monde ou presque le sait parmi nos proches qui s’amusent d’ailleurs à nos dépens de cette consigne, tout en la respectant scrupuleusement, je dirais à la minute près, été comme hiver on n’appelle plus après vingt heures.
Un coup de fil aussi tardif ne pouvait qu’être porteur de mauvaise nouvelle.
Camille est arrivée dans ma chambre le bras tendu avec dans la main l’appareil menaçant. Elle a dit : « Un Vincent, je crois, qui veut te parler. » Sur le moment, je me suis demandé qui était ce Vincent, j’ai rapidement fait le tour de tous les Vincent de mon répertoire personnel et culturel, mon ami Vincent – mais ça ne pouvait être lui, sinon Camille aurait dit : Vincent ! –, un Vincent du village, un du cinéma, un peintre que tout le monde connaît, un président français que tout le monde a oublié. Tout cela, toutes ces pensées inextricablement mêlées entre elles en un laps de temps n’excédant pas une seconde. J’ai porté l’appareil jusqu’à ma bonne oreille. La gauche. Bonne, c’est vite dit, elle défaille aussi désormais, moins cependant que la droite qui ne veut plus s’en laisser conter depuis plusieurs années. Je lui ai infligé un temps l’introduction d’une oreillette récalcitrante reliée à un mignon petit appareil qui m’a coûté un bras et que j’ai abandonné dans sa jolie boîte à l’instant où j’ai compris que ce genre de surdité n’est pas vraiment un handicap, lorsqu’il se fait tard dans notre espoir innocent de repos, et qu’il devient épuisant de continuer à entendre les cris et les chuchotements du monde.
J’ai dit « Allô ? » comme il est d’usage lorsqu’on répond au téléphone ; une pointe d’inquiétude a assourdi ma voix, abrégé la dernière syllabe, afin de laisser comprendre à l’oreille inconnue, à l’autre bout du fil, que ce n’était vraiment pas le moment. Souvent j’ai envie de dire pronto, je trouve que pronto, c’est mieux, et en plus, si on connaît un tant soit peu l’italien, ça peut vouloir dire : rapido, dépêchons, finissons-en. Je ne sais pas pourquoi j’aime tant l’Italie, ses paysages, ses noms de villes, son huile, ses filets d’anchois, sa mortadelle, son cinéma, ses actrices et acteurs, ses écrivains, Alberto Moravia, Umberto Eco, Elsa Morante, Elena Ferrante, Goliarda Sapienza.
J’écris comme je respire. Pas de méthode de docteur ès lettres, du brut de brut qui tourne parfois au vinaigre. Je ne suis pas un écrivian − tiens j’ai écrit « -vian » comme Vian mon Boris adoré −, je voulais bien entendu écrire « -vain », écrivain, je ne suis pas un écrivain diplômé. À propos de diplôme, Mia disait : « Quand tu es en bas, les diplômes, il faut les arracher avec les dents et même avec ces trophées entre les canines on voit tout de suite que t’as des canines de prolo, pas vraiment photogéniques. » Ça, c’était Mia, hein ? C’était ça. Je tourne autour du pot pour fuir la réalité de ce coup de fil que je pourrais qualifier de nocturne, alors qu’on était en mai et qu’il faisait encore jour. Tourner autour du pot, c’est un procédé, sinon un livre ferait juste deux pages. Pourquoi aller droit, alors qu’il est si surprenant de zigzaguer ? Il peut même apparaître impérieux, dans certains cas, de creuser des tunnels dans toutes les directions, afin de retrouver celui du passé, le sens du passé ou, à défaut de sens, une preuve de ce que nous avons vécu, de l’existence des morts. Il faut néanmoins recommencer sinon nous allons nous perdre. Je suis couchée, il est très tôt, mais je n’aime pas qu’on me téléphone après vingt heures, je refuse les appels, je suis irrémédiablement perdue pour la normalité. Lorsque j’ai entendu la voix au bout du fil, comme on dit, bien qu’il n’y ait la plupart du temps plus de fil au bout des téléphones, alors qu’une quantité monstrueuse de câbles de toutes sortes serpentent et s’emmêlent derrière les meubles et entre les pieds des bureaux, je n’ai eu qu’un instant d’hésitation, une fraction de seconde avant de reconnaître le compagnon de Mia déclinant son identité. Autrefois il ressemblait à David Bowie, un peu. C’est un rapprochement que je n’ai jamais fait auparavant et qui ne m’apparaît évident qu’aujourd’hui, alors que l’un est mort et que je ne sais pas à quoi peut bien ressembler l’autre à soixante ans passés. Autrefois. Ce temps dont on se demande s’il serait possible qu’il existe encore dans un espace inconnu et cependant réel. Dans la fraction infinitésimale suivante où ma gorge s’est serrée et ma voix étranglée sur les quelques mots que j’ai prononcés : « Que se passe-t-il ? », j’ai su que Mia était morte. C’est ce qu’il a dit très vite, évacuant les préliminaires précautionneux : « Mia est morte. »
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