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25 Avril 2025
Résumé : Attendue sur le plateau de La Grande Librairie pour parler de son livre, Le Consentement, Vanessa Springora est appelée par la police pour venir reconnaître le corps sans vie de son père, qu’elle n’a pas revu depuis dix ans. Dans l’appartement de banlieue parisienne où il vivait, et qui fut jadis celui de ses grands-parents, elle est confrontée à la matérialisation de la folie de cet homme toxique, mythomane et misanthrope, devenu pour elle un étranger. Tandis qu’elle s’interroge, tout en vidant les lieux, sur sa personnalité énigmatique, elle tombe avec effroi sur deux photos de jeunesse de son grand-père paternel, portant les insignes nazis...
Auteur : Vanessa Springora
Nombre de pages : 368
Éditeur : Grasset
Date de parution : 2 janvier 2025
Prix : 22€ (Broché) - 15.99€ (epub, mobi) -0.99€ (audiolibre)
ISBN : 978-2246840350
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Et si notre nom portait en lui les secrets les plus enfouis de notre histoire ?
Et si, derrière chaque syllabe, se cachaient des silences, des fautes, des fuites ?
Aujourd’hui, je vous parle d’un livre aussi intime que vertigineux : Patronyme, de Vanessa Springora.
Après le choc de Consentement, elle revient avec une œuvre tout aussi puissante, mais plus souterraine,
plus silencieuse – une enquête sur l’identité, la mémoire, et les fantômes que l’on porte en soi sans le savoir.
Alors qu'elle est attendue sur le plateau de La Grande Librairie pour parler de son livre qui vient de sortir , Le Consentement (chroniqué d'ailleurs sur ce blog), Vanessa Springora apprend le décès brutal de son père, avec qui elle n'avait plus de contact depuis neuf ans. Celui-ci vivait chez sa mère, la grand-mère de Vanessa, avec une petite retraite dans un appartement de 35m2. Marié trois fois, Patrick Springora avait tout raté : sa vie de père, de mari, sa carrière.
Un père étrange, fuyant, instable, mythomane et peu aimant.
Ce deuil réveille une curiosité ancienne, mêlée de colère et de tendresse chez Vanessa : qui était-il vraiment ? Que lui a-t-il transmis, au-delà de l’absence ?
En vidant son appartement devenu un capharnaüm, Vanessa va mettre la main sur des photos qui représente son grand-père paternel, Josef Springora, portant un vêtement d'escrimeur, mais sur lequel on peut voir un insigne nazi. Cette révélation va bouleverser l'image que Vanessa a de sa famille et va l'amener à enquêter sur ses origines. D'entrée de jeu, elle comprend en retrouvant des lettres que son nom "Springora" est une invention de son grand-père. "Springora", n’est qu’un pseudonyme. Une dissimulation.
Une invention pour échapper à son passé.
Vanessa Springora va alors se lancer dans une quête identitaire et remonter le fil de son histoire familial pour tenter de comprendre qui était vraiment ce grand-père, retrouver un pan de sa famille perdue, des origines de ce nom "Springer" devenu Springora, mais aussi mieux comprendre les traumatismes qui ont pu se transmettre inter-générationellement jusqu'à expliquer, peut-être, le comportement de son père à elle.
Le cœur du livre : une quête identitaire
Patronyme devient alors le récit d’une enquête : non pas policière, mais existentielle. Vanessa Springora remonte le fil d’une généalogie brisée, cabossée, pleine de trous qui va l'emmener jusqu'en République Tchèque à la rencontre de sa famille d'origine sudète (les Allemands de Tchéquie), en Allemagne à travers l'histoire de son grand-père escrimeur, policier, militaire dans la Werhmacht, La fuite de celui-ci pour échapper à la guerre, où à ce qu'il a dut faire ? Échapper à la police tchèque qui va traquer ses Nazis à travers l'Europe ? Un grand-père qui va trouver en Huguette, la grand-mère de Vanessa, une femme qui va le cacher par amour, qui va l'aimer, qui va elle aussi se défaire de sa famille pour lui. Et puis, en slalomant à la faveur de la libération, ce grand-père va leurrer les uns et les autres, jusqu'à parvenir à changer de nom et gommer à sa façon son histoire honteuse.
Une histoire familiale à la façon d'un puzzle qu'il faut reconstituer.
Patronyme questionne ici la manière dont les traumatismes, les fautes ou les silences se transmettent sans mots, parfois même malgré les générations. Ce que la narratrice croyait être une rupture avec son père se révèle en fait être une continuité involontaire, notamment dans la façon dont elle a été exposée à des abus (dans Le Consentement), dans un système de domination où le silence était déjà roi.
Le roman met en lumière la répétition inconsciente des schémas familiaux, et pose la question : peut-on réparer ce qu’on ne comprend pas encore ? Peut-on se libérer d’un héritage que l’on découvre trop tard ?
L'écriture :
Vanessa Springora poursuit dans ce second livre le style qui a marqué Le Consentement : sobre, fluide, précis, avec une grande maîtrise de l’introspection sans trop de pathos. Elle parvient à mêler un juste équilibre entre émotion contenue et recherche de vérité.
J'ai beaucoup aimé la première et la seconde partie de ce roman biographique : la découverte de cet appartement poussiéreux où son père vivait et les circonstances qui ont fait qu'il en arrive là ; le récit de la relation de Vanessa avec celui-ci, les révélations de sa personnalité cachée, puis enfin, le choc des photos de ce grand-père en tenue d'escrimeur avec ce symbole nazi dessiné. J'ai adoré la quête, ses recherches aux archives, son arrivée en République Tchèque, la rencontre avec une femme de sa famille, ses réflexions personnelles sur son histoire, ses hypothèses, son honnêteté, ses peurs, les confrontations avec la réalité des faits. J'ai moins apprécié la dernière partie qui se dégageait de cette histoire familiale pour tenter de faire un rapprochement avec l'histoire actuelle, les populismes en Europe. Le soufflet retombe sur la fin. Le gros de la découverte a été effectué en seconde partie, et le reste vient alourdir le tout.
Patronyme, c'est donc une quête, finalement, sur ce qui peut nous parler à tous : les secrets de famille. A travers le récit de Vanessa Springora, certaines personnes pourront s'y retrouver. Pas forcément avec la même histoire, loin de là, mais avec les silences, les non-dits, et l'envie pourquoi pas de se lancer à son tour dans ce type de puzzle à résoudre.
Un beau livre sur la réappropriation de son histoire, dans lequel on plonge avec délectation et un brin de voyeurisme à la conquête de cette résolution familiale qui va déterrer de bien sombres secrets, mais aussi révéler de belles choses. Une belle première partie, une seconde qui nous plonge au cœur de l'enquête, une troisième un peu plus en demi-teinte.
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Patronyme, de Vanessa Springora - www.audetourdunlivre.com