Au détour d'un livre

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Anéantir, de Michel Houellebecq

 

Résumé : Le nouveau roman de Michel Houellebecq

Auteur : Michel Houellebecq
Nombre de pages : 736
Édition : Flammarion
Date de parution : 7 janvier 2022
Prix : 26€ (Broché ) - 17.99€ (epub) - 0€ (audiolibre)
ISBN : 978-2080271532

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Avis / Critique :

Il était attendu le nouveau Houellebecq par ses aficionados. Chacun se demandait ce que celui que certains surnomment le prophète allait pouvoir raconter dans son livre. Allions-nous retrouver le même talent qu'avec "Soumission", "La carte et le territoire" ou bien se retrouver face à, une nouvelle fois, une déception comme son précédent roman, "Sérotonine" ?
736 pages.
736 pages à se tartiner pour celui-ci. Autant dire qu'il ne se lit pas en une heure ce "Anéantir" alors même que les dialogues se font rare.
Alors que raconte-t-il ce roman ?
Eh bien, nous sommes en 2027. A la fin de l'année. C'est l'heure de la réélection. On comprend que Macron est passé en 2022 et qu'entouré par de super ministres, il a fait un boulot énorme car les comptes de la France se sont miraculeusement redressés. Le ministre de l'économie, un certain Bruno est donc le chouchou puisque c'est lui qui est à la manœuvre du redressement. Et d'ailleurs Bruno est pressenti pour se présenter pour un mandat (oui, afin de laisser Macron revenir ensuite). Mais Bruno n'en a pas envie, alors c'est un clown de la télé, rival de Cyril Hanouna qui tient la dragée haute pour l’élection, aidé par l'équipe du sortant. Ça, c'est pour l'aspect politique du livre.
D'un autre côté, nous suivons surtout Paul, qui travaille avec Bruno. Paul est marié, mais lui et sa femme vivent en colocation dans le même appartement en se croisant très peu. Paul a une famille, une sœur, un frère et surtout un père qui vient d'avoir un infarctus. On suit donc Paul à l'hôpital, avec sa famille la dernière semaine de décembre. Et Houellebecq décrit cette famille et leurs affres, les souvenirs, les pièces rapportées, les neveux et nièces dont l'un fait par GPA. Il décrit la société en instillant à chacun un peu de ce que l'on voit aujourd'hui. Prudence, la femme de Paul devient végan, se met au paganisme alors que la sœur de Paul est très religieuse. Il y a le chômage du beau-frère (pourtant notaire de profession), la pièce rapportée qui ne pense qu'à l'héritage, le jeune frère artiste qui ne trouve pas sa place dans la fratrie.
Bref, on suit la vie de Paul. Paul à Matignon. Paul avec des terroristes du net  (qui font une apparition ultra rapide dans le livre). Paul à l’hôpital. Paul en famille. Paul avec Prudence. Paul qui fait sortir son père de l'Ehpad... et c'est là une des parties les plus intéressantes du livre, car c'est un peu le seul sujet qui colle à l'actualité du moment : la maltraitance dans les Ehpad. Même si ici, il s'agit plus de maltraitance psychologique que physique.
D'ailleurs, la psychologie tient une part importante dans ce "Anéantir". Surtout à la fin, quand on assiste à la déchéance de Paul.

Houellebecq nous entraîne donc ici dans un livre familial qui décrit les affres des couples, les affres de la maladie, les affres de la vieillesse, les affres du sexe, les affres d'un homme. Les choix de cet homme, sa renaissance, sa mort. Autour, gravitent des histoires comme celle de Bruno, des terroristes qui, somment toute, n'apportent pas grand-chose à l'ensemble sinon à meubler ou à situer un peu le contexte politique.

Ça se lit, mais on est loin du chef-d’œuvre.  Dans le même genre, si l'on doit retenir l'aspect familial, je préfère un livre comme celui écrit par Chloe Benjamin, "Les immortalistes" qui m'a faite vibrer que cet "Anéantir" de Michel Houellebecq qui m'a laissé assez indifférente. Et c'est peut-être là que le bât blesse. On lit le roman mais on ne s'attache pas aux personnages. Il n'y a pas de connexion, on reste en retrait comme des spectateurs, sans identification.
On ne vibre pas pour eux.
Bref, c'est le plat.
Alors si ce roman se lit, il est loin de faire ressentir tout un panel d'émotions qui aurait pu en faire un très bon roman. 

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Autres livres de l'auteur commentés sur le blog :

- Soumission
- Sérotonine

 

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Extrait :

4

Tournant à droite immédiatement après son bureau pour rejoindre la batterie d’ascenseurs nord, Paul aperçut, au bout du long couloir faiblement éclairé menant aux appartements du ministre, une silhouette qui avançait avec lenteur, vêtue d’un pyjama gris de déporté. Quelques pas plus loin, il le reconnut : c’était le ministre lui-même. Depuis deux mois, Bruno Juge avait demandé à bénéficier de son appartement de fonction, qui était pratiquement toujours resté inoccupé depuis l’édification du ministère. Il avait donc, même s’il ne l’avait pas explicitement formulé, décidé d’abandonner le domicile conjugal, mettant ainsi un terme à un mariage de vingt-cinq ans. Paul ignorait la nature exacte des problèmes de Bruno avec sa femme - même s’il les imaginait, par pure empathie entre hommes occidentaux d’âge et de milieu comparables, à peu près similaires aux siens. Il se murmurait, dans les couloirs du ministère (comment des choses de ce genre parviennent-elles à se murmurer dans les couloirs ? c’était demeuré pour Paul un mystère ; mais elles se murmuraient, sans aucun doute), qu’une question plus sordide, à base d’infidélités conjugales répétées - infidélités de la femme - gisait au fond de l’histoire. Certains témoins semblaient avoir surpris des gestes sans équivoque d’Évangéline, la femme du ministre, lors de réceptions données au ministère des années auparavant. La femme de Paul, du moins, se tenait à l’écart de ce genre de scandale. Prudence n’avait pas, autant qu’il le sache, de vie sexuelle, les joies plus austères du yoga et de la méditation transcendantale semblaient suffire à son épanouissement, ou plus probablement est-ce qu’elles n’y suffisaient pas, mais que rien n’aurait pu y suffire, et le sexe encore bien moins, Prudence n’était pas une femme pour le sexe, c’est au moins ce dont Paul essayait de se persuader, sans réel succès parce qu’il savait bien, au fond, que Prudence était faite pour le sexe au même titre, et peut-être davantage, que la plupart des femmes, que son être profond aurait toujours besoin du sexe, et dans son cas il s’agissait du sexe hétérosexuel, et même, s’il fallait être tout à fait précis, de la pénétration par une bite. Mais les mimiques de positionnement social à l’intérieur du groupe, aussi ridicules et même méprisables soient-elles, ont leur rôle à jouer, et Prudence avait été, pour le sexe comme pour l’alimentation végane, une sorte de précurseur ; les asexuels se multipliaient, tous les sondages en témoignaient, mois après mois le pourcentage des asexuels dans la population semblait connaître une augmentation non pas constante mais accélérée ; les journalistes, avec leur habituel goût pour l’approximation et le terme scientifique inapproprié, n’avaient pas hésité à la qualifier d’exponentielle, en réalité ce n’en était pas une, le rythme de croissance n’était pas celui, extrême, des exponentielles authentiques - il n’en était pas moins très rapide.

Au contraire de Prudence et de la plupart de ses contemporains, Évangéline avait parfaitement assumé, assumait peut-être encore d’être une authentique chaudasse, ce qui ne pouvait naturellement convenir à un homme comme Bruno, épris avant tout d’un foyer chaleureux et douillet, apte à le distraire des luttes de pouvoir nécessairement inhérentes au jeu politique. Leurs problèmes de couple, en réalité, n’avaient à peu près rien à voir.

« Ah, Paul, tu étais là ? » Bruno ne semblait pas tout à fait réveillé ; son ton était incertain, un peu égaré, heureux cependant. « Tu travaillais encore ?

– Non, pas vraiment. Pas du tout, même. Je m’étais endormi sur mon canapé.

– Oui, les canapés... » Il avait prononcé le mot avec délice, comme s’il s’agissait d’une invention merveilleuse, dont il venait juste de redécouvrir l’existence. « Moi je dormais mal, poursuivit-il sur un ton tout différent, alors j’ai repensé à un dossier. Tu veux venir boire quelque chose à l’appartement ? On ne peut pas laisser les Chinois en situation de monopole sur les terres rares », enchaîna-t-il presque aussitôt, alors que Paul lui avait déjà emboîté le pas. « Là, je suis en train de finaliser un accord avec Lynas, la société australienne - ils sont durs en négociation, ces Australiens, tu ne peux pas savoir ; ça suffira pour l’yttrium, le gadolinium et le lanthane ; mais il reste plein de problèmes, surtout avec le samarium et le praséodyme ; je suis en contact avec le Burundi et la Russie.

– Ça devrait le faire, avec le Burundi » répondit Paul avec insouciance. Le Burundi était un pays africain ; là s’arrêtaient, à peu près, ses connaissances sur le Burundi ; il le supposait cependant proche du Congo, en raison du syntagme « Congo Burundi », qui flottait dans un coin de sa mémoire sans qu’il puisse lui attribuer de contenu sémantique stable.

« Récemment, le Burundi s’est doté d’une équipe dirigeante tout à fait remarquable, insista Bruno, cette fois sans attendre de réponse.

– J’ai un peu faim, dit Paul, en fait je n’ai pas pensé à manger ce soir, enfin le soir dernier.

– Oui ?... Je crois qu’il me reste un sandwich, enfin une sorte de sandwich, j’avais prévu de le manger cet après-midi. Il n’est peut-être pas très bon, remarque, mais c’est déjà ça. »

Ils pénétrèrent dans l’appartement de fonction, puis Bruno se retourna vers lui. « J’ai oublié, j’étais sorti pour aller chercher un dossier dans mon bureau. Tu peux m’attendre un instant ? »

Son bureau ministériel, celui où il recevait responsables politiques, syndicaux et patrons de grandes entreprises, était situé dans une autre aile, le trajet aller-retour lui prendrait une vingtaine de minutes. Bruno s’était installé un bureau annexe dans une petite pièce de son logement : un simple plateau recouvert de mélamine de faux frêne, sur lequel étaient posés son ordinateur portable et quelques dossiers, complété d’un retour imprimante. Il avait tiré les rideaux, occultant toute vue sur la Seine.

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