21 Février 2022
Résumé : Azincourt, un joli nom de village, le vague souvenir d'une bataille perdue. Ce 25 octobre 1415, il pleut dru sur l'Artois. Quelques milliers de soldats anglais qui ne songent qu'à rentrer chez eux se retrouvent pris au piège par des Français en surnombre.
Auteur : Jean Teulé
Nombre de pages : 208
Édition : Mialet Barrault
Date de parution : 2 février 2022
Prix : 19€ (Broché) - 13.99€ (epub, mobi)
ISBN : 978-2080243447
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Azincourt.
Le nom rappelle les heures sombres d'une guerre de 100 ans qui a vu la déroute de l'ost (armée de campagne à l'époque féodale) française face aux anglais.
La pluie, une fin des règles de la chevalerie à la française qui refuse le progrès, et des tactiques de combat qui ne tiennent pas compte de la réalité ont mené l'armée française à la débâcle. Et qui mieux que Jean Teulé, avec sa manière de manier la langue française, son humour, pouvait raconter ce fiasco ?
Et pourtant, il y en avait du beau monde à Azincourt, ou du moins à Maisoncelle, ce petit hameau coincé entre la forêt de Tramecourt et le village d'Azincourt. 30 000 hommes prêts au combat contre 6 000 anglais malades d'avoir mangé des moules pas fraîches de la baie de Somme.
On y trouvait Charles d'Orléans, prince et poète, neveu de Charles VI le Fol, Charles d'Albret, le Comte de Nevers, le baron de Gourcy, le maréchal Boucicaut.
En face, le balafré Henri V, 29 ans au compteur, le duc d'York et le Comte du Suffolk et surtout les nouveaux arcs Gallois de deux mètres et peu courbés. Une armée malade mais aux idées claires et encline à la triche.
Et puis pas de bol, il y a la rivière près de Ruisseauville qui dégouline encore et encore de tonnes d'eau. Il pleut en continu et de ce fait la boue fait place à la terre dure. Et puis, il y a Fleur de Lys, la putain qui entre deux passes analyse la situation et comprend vite la débâcle à venir et tente de prodiguer ses conseils, sans succès bien entendu. Comment des militaires de renom et aguerris pourraient écouter une personne de mauvaise vie qui est supposé ne rien y entendre à l'art de la guerre en chevalerie ?
Garder les arbalètes au sec ? Pas besoin.
Ne pas faire la fête et bonne ripaille la veille du combat ? Ben voyons, faut pas pousser surtout que la victoire est sûre.
L'armée française est située en bas et il faudra monter la pente boueuse pour combattre ? Pas de problème. C'est oublier malheureusement le poids des chevaux et des armures...
Une bataille de mouvement ? Que nenni, la chevalerie française se bat dans un affrontement direct, non mais !
Jean Teulé nous fait vivre la veille et le jour de la bataille d'Azincourt comme si nous y étions. Avec son français mêlant bribes du Moyen Âge et langage moderne retravaillé à l'ancienne, l'ambiance y est. Bien sûr, ce n'est pas un livre où l'action se retrouve à chaque page et, au contraire, Jean Teulé tente de nous montrer pas à pas comment la catastrophe et la débâcle vont arriver. Pour cela, il a donc fallu pour l'auteur inventer les dialogues de ces personnages, auxquels le lecteur adhère sans problème.
Tout du long du roman, il alterne les différents points de vue suivant qui il choisit comme orateur, tantôt Charles d'Orléans, tantôt Henri V, un archer, un prince, et la fameuse Fleur de Lys qui pointent du doigt les erreurs magistrales commises par les français.
On sent que Jean Teulé a abordé ce livre en s'amusant, nous faisant part après de nombreuses recherches de cocasses anecdotes mêlant le tragique, l'absurde et l'humour. C'est parfois cru, poétique, et ce livre ne plaira pas à tout le monde, notamment à ceux qui ont l'habitude de lire un roman sans tournures grammaticales ni langage d'époque. Mais pour ceux qui ont aimé Héloise, ouille !, ils n'hésiteront pas à s'y plonger.
Si le style peut donc décontenancer, l'ensemble reste plutôt plaisant à lire et permet de mieux connaitre une page de l'histoire de la guerre de 100 ans sous un nouveau jour, celui notamment de l'humour et de l'absurde.
Autres livres de Jean Teulé à retrouver sur le blog :
- Héloïse, ouille !
- Gare à Lou !
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Jeudi 24 octobre 1415
— Tiens, voilà aussi le poète !… Parmi les plis remuants de sa bannière trempée, on aperçoit un serpent couronné avalant un enfant. C’est celle du duc Charles d’Orléans !
— Oh, père, le neveu du souverain ? Il semble jeune d’allure.
— Vingt et un ans, à peu près votre âge, mes garçons. Son géniteur, frère cadet de Charles VI, ayant été assassiné, si Sa Majesté continue à perdre ses dauphins les uns après les autres, c’est ce gars-là arrivant avec la fin du jour qui deviendra roi de France.
« Oooh !… » s’en extasie en chœur le trio de rejetons entourant leur paternel : robuste quinquagénaire ganté de fer et couvert d’une longue tunique orange sur laquelle sont cousues des bandes jaunes horizontales.
En face, ruisselant d’eau coulant le long des manches de son manteau en peau de daim et coiffé du velours d’un petit bonnet bordé de perles, Charles d’Orléans, stoïque à cheval allant au pas près de son porte-étendard, s’approche des quatre qui le scrutent, pour être accueilli, par le plus âgé, d’un :
— Eh bien, on ne peut pas dire que vous nous apportez le beau temps, monseigneur ! Il pleut encore plus que lorsque nous sommes presque tous arrivés en début d’après-midi. Une semaine, paraît‑il, que ça tombe ici continuellement à flots. On se demande même si, durant la nuit, la rivière près de Ruisseauville ne va pas se transformer en torrent et inonder une partie de notre campement.
— Qui sont ces trois soldats vêtus à vos couleurs, David de Rambures ?
— Mes fils : Jean dit « le Flameng », Hugues dit « le Danois » et Philippe, seigneur du Quesne. Ainsi que pour vous, ce sera leur première bataille. Tous s’impatientent de participer à la poursuite de l’ennemi héréditaire en déroute.
— Il me tarde de manger de l’Anglais, confirme Jean dit « le Flameng ».
Alors que, provenant de la Manche, un vent d’ouest, dans les toutes dernières lueurs du jour, déforme les nuages en de drôles de têtes, le neveu du roi, dont des rafales de pluie glacée cinglent le visage, regarde la campagne autour de lui et s’enquiert :
— Où sont‑ils ?
— Devant vous, à l’autre bout de ce champ fraîchement labouré et semé de blé d’hiver, coincé entre l’épaisse forêt de Tramecourt et celle du village d’Azincourt dont on devine encore la silhouette des créneaux du petit château. On les estime à quinze cents pas, seulement quatre volées de carreaux d’arbalètes, mais même de jour on ne pourrait les apercevoir car étant au sommet de ce terrain légèrement en pente, ils se terrent à la bascule du plateau, regroupés dans le hameau de Maisoncelle.
— Ils se savent tous condamnés, ces délaissés par la Providence. Aucun n’en réchappera, promet Hugues dit « le Danois » en bombant le torse.
— Je ne suis donc pas arrivé après la fête, s’en réjouit le duc d’Orléans.
— L’affrontement se produira demain à l’aube, l’informe le robuste quinquagénaire.
— Sommes-nous maintenant au complet ? demande le neveu du roi.
— On attend encore le duc de Brabant passé d’abord célébrer un baptême en son château de Pernes à vingt lieues d’ici, et puis aussi le duc Jean V de Bretagne à la tête de deux mille hommes mais qui ne serait encore qu’au sud d’Amiens. Ceci dit on n’a pas besoin de lui. Nous voilà déjà largement assez nombreux. Regardez autour de vous, monseigneur, peut-être trente mille fringants alors que de l’autre côté du champ ils ne sont que six mille malades.
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