Au détour d'un livre

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Le talon de fer, de Jack London

Le talon de fer, de Jack London

Résumé : Jack London écrit ce roman en 1908. Il est constitué par les souvenirs d'Avis Cunnigham, épouse d'Ernest Everhard. Ces souvenirs déroulent la vie de son mari, dirigeant socialiste des USA, depuis 1900 jusqu'à son exécution en 1932. Ces souvenirs sont commentés par une personne qui vit 7 siècles plus tard et qui donne quelques éléments sur la suite de l'histoire jusqu'en 2400. Ce roman brosse un tableau sombre et pessimiste de la société des USA du début du 20e siècle, et l'avenir de cette société est vu comme un cataclysme.
 

Auteur : Jack London
Nombre de pages :  320
Editeur : Phébus
Collection : Libretto
Date de parution : 24 janvier 2003 (nouvelle édition)
Roman libre de droits
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Avis / Critique :
C’est une lente plongée dans l’horreur que nous décrit Jack London. Un monde qui peu à peu s’enfonce dans une dictature sanguinaire.
Un récit terrifiant dont on sort bouleversé.

Le livre est écrit en 1908. À l’époque, la révolte ouvrière grondait. Partout dans le monde, issu de la révolution industrielle, le communisme gagnait du terrain. Des grèves éclataient un peu partout. En Russie, une révolution venait d’avorter en 1905. L’auteur lui-même, militant socialiste, avait dans son livre « Le peuple de l’abime » partagé la misère des ouvriers de l’East End londonien. À partir de cette situation, London imagine un futur où s’affrontent les capitalistes et les communistes dans une guerre civile sanglante.
La construction du livre est complexe : il se présente comme une édition commentée, éditée en l’an 2600 après J.-C., d’un manuscrit écrit en 1932 et décrivant les événements qui se déroulent au cours des 20 années qui précèdent.

Il raconte comment l’auteur du manuscrit, Avis Cunningham, fille d’un professeur réputé de l’université de Berkeley, rencontre un leader socialiste, Ernest Everhard. Au début, Ernest se contente d’exposer ces théories à différents auditoires incrédules. On y retrouve, pour beaucoup, des thèses élaborées par Karl Marx, mais écrite d’une façon claire. D’abord méfiante, Avis finit par se rallier à ses thèses et à tomber amoureuse de lui.
Puis vient les troubles qui vont mener à la montée de la dictature de l’oligarchie capitaliste et qui vont exploser lors de la terrible commune de Chicago, bien pire que la commune de Paris.
Les nombreuses notes de bas de pages nous éclairent sur le contexte général. Elles ont été écrites 6 siècles plus tard, après que la dictature ait finalement été battue et où les hommes vivent enfin en fraternité dans un monde utopique.

Evidemment, vu de 1908 tout cela n’est qu’anticipation. On sait très bien que les choses ne se sont pas déroulées comme le décrit London. Il préfigure néanmoins les massacres de masse qui ont marqués le XXème siècle.
Par rapport à « cent ans après ou l’an 2000 », le livre d’Edward Bellamy, chroniqué ici il y a peu et écrit vingt ans auparavant, le contraste est saisissant. Là où Bellamy décrivait un monde où l’homme vivant en paix dans un monde idéal, on a ici une dictature qui manipule l’opinion et qui réprime les révoltes dans le sang.
Le livre est passionnant de bout en bout. Du début, qui présente les thèses socialistes d’Everhard – que l’on adhère ou non à ces thèses qui, de nos jours, sont datées – à la montée en puissance de la dictature et jusqu’au massacre final, le lecteur est tenu en haleine. Les commentaires du XXVIème siècle, qui donnent du recul à l’histoire, permettent habilement d’ajouter des éléments contemporains de la vie de London et donnent une dimension plus concrète à l’histoire.

Certes, ce n’est pas toujours réaliste. C’est par exemple le cas dans la chronologie des évènements où des changements majeurs de la société s’opèrent en quelques semaines. Mais cela n’est pas gênant à la lecture.
Loin de « Croc-Blanc » ou de « L’appel de la forêt », on sent la patte du grand écrivain qu’est Jack London.

Un grand livre méconnu

Critique faite par Evil.g

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Extrait :

Ce fut à la fin de la discussion que M. Wickson prit la parole. Il était le seul qui fut resté calme, et Ernest le traita avec une considération qu’il n’avait pas accordée aux autres.« Aucune réponse n’est nécessaire, – dit M. Wickson avec une lenteur voulue. J’ai suivi toute cette discussion avec étonnement et répugnance. Oui, Messieurs, vous, Membres de ma propre classe, vous m’avez dégoûté. Vous vous êtes conduits comme des nigauds d’écoliers. Cette idée d’introduire dans une pareille discussion vos lieux-communs de morale et le tonnerre démodé du politicien vulgaire ! Vous ne vous êtes conduits ni comme des gens du monde, ni même comme des êtres humains, vous vous êtes laissés entraîner hors de votre classe, voire de votre espèce. Vous avez été bruyants et prolixes, mais vous n’avez fait que bourdonner comme des moustiques autour d’un ours. Messieurs, l’ours est là (montrant Ernest) dressé devant vous, et votre bourdonnement n’a fait que lui chatouiller les oreilles.
« Croyez-moi, la situation est sérieuse. L’ours a sorti ses pattes ce soir pour nous écraser. Il a dit qu’il y a quinze cent mille révolutionnaires aux États-Unis : c’est un fait. Il a dit que leur intention est de nous enlever notre gouvernement, nos palais, et toute notre aisance dorée : c’est encore un fait. Il est vrai aussi qu’un changement, un grand changement se prépare dans la société ; mais, heureusement, ce pourrait bien ne pas être le changement prévu par l’ours. L’ours a dit qu’il nous écraserait. Eh bien, Messieurs, si nous écrasions l’ours ? »

Le grognement guttural s’enfla dans le vaste salon. D’homme à homme s’échangeaient des signes d’approbation et d’assurance. Les figures avaient pris une expression décidée. C’étaient bien des combatifs.
De son air froid et sans passion, M. Wickson continua : « Mais ce n’est pas avec des bourdonnements que nous écraserons l’ours. À l’ours, il faut donner la chasse. À l’ours on ne répond pas avec des paroles. Nous lui répondrons avec du plomb. Nous sommes au pouvoir : personne ne peut le nier. En vertu de ce pouvoir même, nous y resterons. »
Il fit soudain face à Ernest. L’instant était dramatique.
« Voici donc notre réponse. Nous n’avons pas de mots à perdre avec vous. Quand vous allongerez ces mains dont vous vantez la force pour saisir nos palais et notre aisance dorée, nous vous montrerons ce que c’est que la force. Notre réponse sera formulée en sifflements d’obus, en éclatements de shrapnells et en crépitements de mitrailleuses. Nous broierons vos révolutionnaires sous notre talon et nous vous marcherons sur la face. Le monde est à nous, nous en sommes les maîtres, et il restera à nous. Quant à l’armée du travail, elle a été dans la boue depuis le commencement de l’histoire, et j’interprète l’histoire comme il faut. Dans la boue elle restera tant que moi et les miens et ceux qui viendront après nous demeureront au pouvoir. Voilà le grand mot, le roi des mots, le Pouvoir ! Ni Dieu, ni Mammon, mais le Pouvoir ! Ce mot-là, retournez-le sur votre langue jusqu’à ce qu’elle vous cuise. Le Pouvoir ! »
– Vous seul m’avez répondu, – dit tranquillement Ernest, et c’est la seule réponse qui pouvait être donnée. Le Pouvoir ! C’est ce que nous prêchons, nous autres de la classe ouvrière. Nous savons, et nous le savons au prix d’une amère expérience, qu’aucun appel au droit, à la justice, à l’humanité, ne pourra jamais vous émouvoir. Vos cœurs sont aussi durs que les talons avec lesquels vous marchez sur la figure des pauvres. Aussi nous avons entrepris la conquête du pouvoir. Et par le pouvoir de nos votes au jour des élections nous vous enlèverons votre gouvernement.
– Et quand même vous obtiendriez la majorité, une majorité écrasante, aux élections, interrompit M. Wickson, supposez que nous refusions de vous remettre ce pouvoir capturé dans les urnes ?
« Cela aussi, nous l’avons prévu, répliqua Ernest, et nous vous répondrons avec du plomb. Le pouvoir, c’est vous qui l’avez proclamé roi des mots. Très bien ! ce sera donc une affaire de force. Et le jour où nous aurons remporté la victoire au scrutin, si vous refusez de nous remettre le gouvernement dont nous nous serons emparés constitutionnellement et paisiblement, eh bien, nous vous riposterons du tac au tac, et notre réponse sera formulée en sifflements d’obus, en éclatements de shrapnells et en crépitements de mitrailleuses.
« D’une façon ou d’une autre, vous ne pouvez nous échapper. Il est vrai que vous avez clairement interprété l’histoire. Il est vrai que depuis le début de l’histoire le travail a été dans la boue. Il est également vrai qu’il restera toujours dans la boue tant que vous demeurerez au pouvoir, vous et les vôtres et ceux qui viendront après vous. Je souscris à tout ce que vous-avez dit. Nous sommes d’accord. Le pouvoir sera l’arbitre. Il a toujours été l’arbitre. La lutte des classes est une question de force. Or de même que votre classe a renversé la vieille noblesse féodale, elle sera abattue par ma classe, par la classe des travailleurs. Et si vous voulez bien lire la biologie et la sociologie aussi correctement que vous avez lu l’histoire, vous vous convaincrez que cette fin est inévitable. Peu importe que ce soit dans un an, dans dix ou dans mille, – votre classe sera renversée. Et elle sera renversée par le pouvoir, par la force. Nous autres de l’armée du travail, nous avons ruminé ce mot au point que l’esprit nous en cuit. Le Pouvoir ! C’est vraiment le roi des mots, le dernier mot. »

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