6 Novembre 2019
Résumé : "Réactionnaire, disent-ils. Le moment m'a donc semblé venu de faire le point et de retracer mon parcours sans faux-fuyants ni complaisance. Il ne s'agit en aucune façon pour moi de rabattre la connaissance sur la confession et de défendre une vérité purement subjective. Je ne choisis pas, à l'heure des comptes, de me retrancher dans la forteresse imprenable de l'autobiographie.
Auteur : Alain Finkielkraut
Nombre de pages : 128
Edition : Gallimard
Collection : Blanche
Date de parution : 19 septembre 2019
Prix : 14€ (Broché) - 9.99€ (epub, mobi)
ISBN : 978-2072853197
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Avis / Critique :
Retournant sur ses jeunes années d'étudiant, Alain Finkielkraut revient sur son parcours d'intellectuel qu'il commence dans les années soixante-huitards et tisse ce qui a fait de lui l'auteur d'aujourd'hui. Penseurs, philosophes, amis ont aidé à pétrir l'intellect de l'homme en lui offrant tantôt de longues conversations, tantôt un coup de pouce littéraire, tantôt une inspiration au travers de livres.
C'est aussi pour Finkielkraut le besoin de revenir sur ses origines juives et d'expliquer sa pensée sur Israël et sur la Palestine, sur l'échec d'un pays à bâtir en commun et l'appel à scinder celui-ci en deux pour une paix à construire. Mais si Finkielkraut reconnait les abus du sionisme, il tient également à démontrer combien certains ont cherché et cherche encore à minimiser la tragédie de la Seconde Guerre mondiale dont le peuple juif fut entre autres la victime et revient sur le déracinement de celui-ci.
Avançant dans ses années d'étudiants puis de professeur, et d'écrivain, il constate comme spectateur combien pour lui le monde a changé, s'est clivé et continue de se diviser de multiples manières depuis notamment les années 2000 et la tragédie du 11 septembre 2001.
Là où il se reconnaissait comme Européen brassé par de multiples cultures du continent, il s'avoue perdu dans ce nouveau monde qui se dessine et où le civisme, l'individualisme, la religion prennent de plus en plus de place aux dépens de l'homme en tant qu'entité propre.
Plaçant Heidegger au-devant de sa scène d'écriture, il s'appuie sur ses écrits pour expliquer sa pensée et son regard sur le monde : religion, lgbt, patrimoine, technologie, discourant avec lui et avec nous sur sa peur du monde qu'il ne parvient plus à comprendre, qui l'interpelle et sur le climat ambiant qui s'installe en France.
Finkielkraut en mettant le curseur en arrière cherche finalement dans ce "A la première personne" a comprendre là où il a pu pêcher, ce qui a pu se passer et qu'il n'a pas compris pour être aujourd'hui en perdition avec ce qui advient dans la société, dénonçant une certaine pensée qui s'installe et qui relègue la "pensée" des auteurs d'autrefois et des intellectuels d'aujourd'hui à l'abîme.
Ce livre n'est pas le meilleur de Finkielkraut loin de là, la plume est moins bonne que le précédent ouvrage, le style aussi, mais il se laisse néanmoins lire. Une certaine culture philosophique est nécessaire pour l'appréhender totalement.
A lire également :
- La seule exactitude, d'Alain Finkielkraut
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Extrait :
Au tout début, était le conformisme.
En mai 1968, comme la majorité de ceux qu’on commençait à appeler, avec une tendresse où perçait déjà la déférence, « les jeunes », j’ai été happé puis porté par la vague. J’ai défilé bruyamment, j’ai vaillamment contesté, j’ai couru à perdre haleine ; j’ai puisé, pour mes premières interventions, dans un lexique qui m’était encore étranger au mois d’avril ; je me suis mis, d’un seul coup comme tout le monde, à utiliser le mot « camarade », j’ai prêté allégeance à l’époque par ma rébellion même contre les diverses formes d’autorité, j’ai rejeté les modèles du monde ancien pour mieux imiter les gens de mon âge, j’ai rompu avec la tradition et pris le parti de l’insoumission bien au chaud dans la foule, et j’ai, sur ma lancée, poussé le zèle jusqu’à vouloir précéder le mouvement en militant, pendant quelques années, à la gauche du gauchisme. De là, je pouvais tancer les tièdes sans risquer de subir moi-même les foudres du surmoi révolutionnaire.
Mais j’avais beau parler la langue de bois comme si c’était ma langue maternelle et prendre mes quartiers dans la radicalité, je pouvais bien me griser de surenchères et rendre des verdicts sans appel, un malaise s’insinuait progressivement en moi. Ma subjectivité se fissurait sans crier gare. Mon dogmatisme prenait l’eau. Une autre éducation minait les certitudes que je croyais avoir acquises. L’idée qui m’enchantait d’une solution globale du problème humain était battue en brèche par la découverte naissante de ce que signifie concrètement être un homme parmi les hommes. J’arrivais de moins en moins à me reconnaître dans les mots d’ordre tranchants de ma tribu générationnelle. On célébrait la libération sexuelle, on affirmait sur un ton péremptoire que tout est politique. Ce « on » m’avait pris sous son aile. J’y puisais mon inspiration et je rongeais mon frein : le peu que je savais de la vie par mon expérience et mes lectures démentait silencieusement ses formules définitives.
Un jour vint cependant où, surmontant la peur adolescente de penser à contre-courant, je suis sorti de ce silence. C’était en 1974, j’avais vingt-cinq ans, j’ai écrit pour la revue Critique un article intitulé « Bêtises de Rousseau ». J’y commentais notamment l’épisode des Confessions connu sous le nom d’idylle aux cerises. Au terme d’un pique-nique improvisé, le jeune Rousseau obtient, pour toute privauté, de baiser une seule fois la main de Mlle Galley. Pour les libertins qui tiennent alors le haut du pavé, ce délice furtif est bien peu de chose, c’est même un véritable fiasco. Le balourd n’a pas su profiter de l’aubaine ! Honte à lui ! Rousseau entend ce jugement. Il connaît tous les articles de la nouvelle doxa. Il a dans l’oreille le ricanement des esprits forts et, au lieu de faire profil bas, il s’enorgueillit de sa gaucherie, il revendique la bêtise de ses premiers émois.
Sachant qu’un ridicule est beaucoup plus difficile à avouer qu’un vice flamboyant ou un grave péché, je rendais hommage à l’audace de Jean-Jacques et je l’admirais aussi d’opposer à la volupté estampillée non la vertu, mais une autre volupté qui, nous dit-il, vaut bien la première parce qu’elle n’est pas une course frénétique vers le dénouement final et qu’« elle agit continuellement ». Anachronique en son temps, Rousseau l’était aussi pour le nôtre qui dénonçait la répression sexuelle et qui, comme l’écrit Annie Ernaux, faisait de peine-à-jouir l’insulte capitale. Je n’érigeais pas en modèle de conduite ce personnage si peu performant, mais je lui savais gré de me libérer d’une vision trop directive de la liberté et de la jouissance en renversant les hiérarchies admises dans l’ordre des plaisirs et en faisant si grand cas des petits riens. « Ne jamais céder sur son désir », disait-on sentencieusement autour de moi. « Ne rien céder au récit canonique du désir », rétorquait, par anticipation, Rousseau.
Cette critique d’Éros au nom d’Éros, je l’ai poursuivie et développée avec Pascal Bruckner et grâce à lui dans Le Nouveau Désordre amoureux. Je dis grâce à lui, car, sans Pascal, rencontré à l’été 1967 sous le signe de l’album des Beatles Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band, et qui, dix ans plus tard, avait déjà à son actif deux romans et un essai sur Fourier dans la prestigieuse collection « Écrivains de toujours » au Seuil, je n’aurais peut-être jamais franchi le pas du livre. Avant notre collaboration, en effet, j’étais un bon élève. J’écrivais devant un jury de maîtres, je rendais, tout tremblant, ma copie à Barthes dont, avec Pascal, je suivais les cours à l’École pratique des hautes études, à Genette dont j’empruntais les concepts et, plus généralement, aux structuralistes qui régnaient sans partage sur les études littéraires. Pour avoir une bonne note, pour être reçu avec mention à cet examen imaginaire, j’ai donc truffé de mots savants mon éloge de la bêtise. Pascal m’a décoincé. Ce qui ne veut pas dire que j’ai acquis sa fluidité : à aucun moment je ne me suis senti l’heureux possesseur d’un don ou même d’un talent. Aujourd’hui comme hier, chaque ligne me coûte et je me console en répétant après Flaubert qu’« on n’arrive au style qu’avec un labeur atroce, avec une opiniâtreté fanatique et dévouée ». Mais au contact de mon ami, j’ai mis mon jury en vacances. J’ai même oublié les lecteurs. J’ai appris à écrire pour tout le monde et pour personne. Je ne cherche plus, depuis Pascal, à faire étalage de mon intelligence, je m’efforce de progresser dans l’intelligence des choses. Et je ne me risque pas tout seul sur ce chemin difficile. J’ai besoin de guides. À l’époque du Nouveau Désordre amoureux, il y avait Rousseau et il y avait surtout Levinas, ce philosophe à fleur de peau, que je venais, le cœur battant, de découvrir.
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