4 Avril 2023
Résumé : Avec Carmilla, Joseph Sheridan Le Fanu a créé l'un des grands contes gothiques qui hante les lecteurs depuis près de deux cents ans. Ce conte glaçant raconte comment une jeune fille tombe sous le charme d'une autre fille qui s'avère être un vampire.
Auteur : Joseph Sheridan Le Fanu
Nombre de pages : 128
Éditeur : Le Livre de Poche
Date de parution : 1872 (texte original) - 2004 en réédition
Prix : 2€ (Poche) - Gratuit sur Ebooks gratuit
ISBN : 978-2253087793
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Avis / Critique :
Classique de la littérature, Carmilla est peut-être l'un des livres les moins connus de John Sheridan le Fanu, lui-même un peu tombé dans l'oubli. L'écrivain irlandais du XIXè siècle, va inspirer avec cette nouvelle qui fait quand même 126 pages un certain Bram Stocker qui écrira 25 ans plus tard, son Dracula.
Mais ici, il ne s'agit pas de comte, mais de comtesse. Cette nouvelle fait partie d'une série d'histoires sur la comtesse sanglante Bathory. S'inspirant du mouvement gothique qui a lieu à l'époque au travers d'écrits, mais aussi de peinture, John Sheridan le Fanu, nous emmène en Styrie, une contrée d'Europe de l'est qui ressemble aux Carpates, et où les personnages portent des noms français, allemands et anglais, ce qui est assez amusant.
Le roman commence par l'arrivée au château où vivent Laura, une jeune fille et son père, une certaine Carmilla et sa mère. La jeune adulte qu'est Carmilla semble souffrir d'un mal étrange, et a mère, qui doit poursuivre sa route pour une mission urgente, confie sa fille aux habitants du château. Carmilla, d'une étrange beauté fascine aussitôt la jeune Laura qui oscille entre intérêt, amour et une répulsion qu'elle ne peut expliquer. Le comportement de Carmilla l'intrigue. La jeune adulte ferme en effet le soir venu sa porte à clef et ne réapparait que le matin très tard. Laura, quant à elle, rêve et voit une ombre venir près de son lit la nuit, s'asseoir et l'embrasser. Très vite, sa santé se dégrade et elle semble souffrir des mêmes symptômes que plusieurs jeunes filles des environs, des mois plus tôt. La réponse va être apportée par un militaire qui va surgir à la fin et révéler à Laura et à son père la vraie nature de Carmilla.
Dans ce roman gothique, John Sheridan Le Fanu plante le décor d'entrée de jeu, en posant ses personnages dans une région froide, où les premiers voisins se situent à plusieurs lieues, où vivait autrefois une vieille famille aristocratique depuis longtemps oubliée et dont les ruines du château ne se voit que dans le brouillard. Tout le monde sait qu'il se passe quelque chose, mais personne ne sait vraiment quoi ou se cache la vérité. Des rumeurs ayant trait à cette ancienne famille nimbe le roman tout du long et contribue à l'ambiance du livre. La narratrice du récit est Laura qui relate les faits depuis sa perception, mais aussi depuis celle de son père, et du colonel qui vient révéler le fond de l'histoire. Il n'y a pas d'action dans cette nouvelle. Tout est amené petit à petit, les gestes sont suggérés plus qu'ils ne sont décrits, seul l'amour que porte Carmilla à sa victime transparait.
Si Carmilla est moins profond et construit que le Dracula de Bram Stocker, il n'en demeure pas moins un récit que l'on a plaisir à lire. On retiendra le clin d’œil de Stocker fait à Le Fanu en donnant le nom de Renfield à son personnage d'adorateur du comte qui rappelle celui donné par Le Fanu à l'une des victimes de Carmilla, une certaine Bertha... Rheinfeldt.
Carmilla, un classique gothique à l'écriture délicieusement surannée à mettre dans sa valise en compagnie du Dracula de Bram Stocker et de "la créature du Dr Frankestein" de Mary Shelley.
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Carmilla, de John Sheridan Le Fanu - www.audetourdunlivre.com
Extrait :
Une invitée
Je vais maintenant vous narrer une chose si étrange qu’il vous faudra faire appel à toute votre confiance en ma véracité pour ajouter foi à mon histoire. Cependant, non seulement elle est vraie, mais encore elle relate des faits dont je fus le témoin oculaire.
Par une douce soirée d’été, mon père m’invita, comme il le faisait parfois, à me promener avec lui dans cette superbe clairière qui, je l’ai déjà dit, s’étendait devant le château.
– Le général Spielsdorf ne peut pas venir aussi tôt qu’il l’avait espéré, me déclara-t-il pendant que nous poursuivions notre marche.
Le général s’était proposé de passer quelques semaines chez nous, et nous avions attendu son arrivée pour le lendemain. Il devait emmener avec lui une jeune fille, sa pupille et nièce, Mlle Rheinfeldt. Je n’avais jamais vu cette dernière, mais j’avais souvent entendu dire qu’elle était absolument charmante, et je m’étais promis de passer en sa compagnie bien des jours heureux.
Par suite, je fus beaucoup plus déçue que ne saurait l’imaginer une jeune fille résidant à la ville ou dans un lieu très animé. Cette visite et la nouvelle relation qu’elle devait me procurer avaient nourri mes rêveries pendant plusieurs semaines.
– Quand donc viendra-t-il ? demandai-je.
– Pas avant l’automne. Sûrement pas avant deux mois. Et je suis maintenant très heureux, ma chérie, que tu n’aies jamais connu Mlle Rheinfeldt.
– Pourquoi cela ? dis-je, à la fois curieuse et mortifiée.
– Parce que la pauvre enfant est morte. J’avais complètement oublié que je ne t’en avais pas informée ; mais tu n’étais pas dans la salle, ce soir, quand j’ai reçu la lettre du général.
Cette nouvelle me bouleversa. Le général Spielsdorf avait mentionné dans sa première missive, six ou sept semaines auparavant, que sa nièce n’était pas en aussi bonne santé qu’il l’eût souhaité, mais rien ne suggérait le moindre soupçon de danger.
– Voici la lettre du général, poursuivit mon père en me tendant un feuillet de papier. Je crains qu’il ne soit en proie à une profonde affliction. Il me semble qu’il a tracé ces lignes dans un accès de quasi-démence.
Nous nous assîmes sur un banc grossier, sous un bouquet de tilleuls magnifiques. Le soleil, dans toute sa mélancolique splendeur, déclinait à l’horizon sylvestre ; la rivière qui coule à côté de notre château et passe sous le vieux pont dont j’ai parlé sinuait entre plusieurs groupes de nobles arbres, presque à nos pieds, reflétant sur ses eaux la pourpre évanescente du ciel. La lettre du général Spielsdorf était si extraordinaire, si véhémente, et, par endroits, si pleine de contradictions, que, l’ayant lue deux fois (et la deuxième à voix haute), je fus contrainte de supposer, pour en expliquer le contenu, que le désespoir avait troublé la raison de son auteur.
En voici la teneur :
« J’ai perdu ma fille chérie, car, en vérité, je l’aimais comme ma propre fille. Pendant les derniers jours de la maladie de Bertha, j’ai été incapable de vous écrire. Jusqu’alors je n’avais pas la moindre idée qu’elle fût en danger. Je l’ai perdue ; et voilà maintenant que j’apprends tout – trop tard.
« Elle est morte dans la paix de l’innocence, dans l’éblouissant espoir d’une bienheureuse vie future. Sa mort est l’œuvre du démon qui a trahi notre folle hospitalité. Je croyais recevoir, dans ma maison, l’innocence et la gaieté en la personne d’une charmante compagne pour ma Bertha disparue. Ciel ! quel imbécile j’ai été !
« Je remercie Dieu que cette enfant soit morte sans soupçonner la cause de ses souffrances. Elle a passé sans même conjecturer la nature de son mal et la passion maudite de l’auteur de toute cette misère. Je consacrerai le reste de mes jours à retrouver puis à exterminer un monstre. On m’a dit que je pouvais espérer accomplir mon équitable et miséricordieux dessein. Pour l’instant, je n’ai qu’une très faible lueur pour me guider. Je maudis ma vaniteuse incrédulité, ma méprisable affectation de supériorité, mon aveuglement, mon obstination ; mais tout cela trop tard. Je ne puis écrire ou parler de sang-froid à l’heure actuelle. Dès que j’aurai un peu retrouvé mes esprits, j’ai l’intention de me consacrer pendant un certain temps à une enquête qui me conduira peut-être jusqu’à Vienne. Au cours de l’automne, dans deux mois d’ici, ou même plus tôt, si Dieu me prête vie, j’irai vous voir – du moins si vous le voulez bien. À ce moment, je vous dirai tout ce que je n’ose guère coucher sur le papier aujourd’hui. Adieu.
Priez pour moi, mon cher ami. »
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